Paris, terre d’exil et de création

C’est un Paris dont on parle peu. Celui de l’exil volontaire ou contraint, des valises posées en transit, des mots jetés comme des ancres dans la Seine. « Paris Noir », à la galerie Clémentine de la Féronnière, déroule les fils de cette mémoire éparse, mais essentielle : celle des circulations artistiques et des diasporas africaines et afro-descendantes entre 1950 et 2000, incarnées par trois photographes que rien n’opposait sinon les continents — George Hallett, William Melvin Kelley, James Barnor — mais que tout réunissait : l’exil, la résistance, la beauté. 

Par le biais d’Alicia Knock, conservatrice pour la création contemporaine et commissaire de l’exposition « Paris Noir » au Centre Pompidou, la galerie s’est associée à ce projet, enrichissant ainsi le parcours du public au-delà des murs du Centre Pompidou. Ces programmations sont identifiées par le label Echo Paris Noir. Collectivement, la galerie a contribué à l’exposition, que ce soit par les échanges réguliers avec le Centre Pompidou, avec Christine Eyene (commissaire de l’exposition George Hallett), ainsi qu’avec Jesi et Aiki Kelley, la famille de W. M. Kelley.

William Melvin Kelley 1937 - 2017 Kersten (Kerstin Dahmen-Barnette) in Shadow, 4 Rue Regis, 1967 Stamped by Artist's Estate Selenium washed gelatin silver print from the original negative Gelatin silver print from the original negative 11 x 14 in. / Image 9 x 13 in. 28 x 35,5 cm / Image 22,8 x 33 cm
William Melvin Kelley 1937 – 2017 Kersten (Kerstin Dahmen-Barnette) dans Shadow, 4 Rue Regis, 1967 Tampon de la succession de l’artiste Tirage gélatino-argentique lavé au sélénium d’après le négatif original Tirage gélatino-argentique d’après le négatif original 11 x 14 po / Image 9 x 13 po 28 x 35,5 cm / Image 22,8 x 33 cm

À travers leurs regards, la galerie devient un carrefour d’histoires et de visages, d’ombres et de lumières, d’instants suspendus entre l’ici et l’ailleurs. Car « Paris Noir », c’est moins un lieu qu’une tension — une tension créatrice, politique, poétique. Celle d’une diaspora en mouvement, insaisissable mais bien réelle, qui a fait de Paris un théâtre de réflexions et de luttes.

Trois regards, un sujet

On plonge tout d’abord dans l’univers photographique de William Melvin Kelley, également écrivain, « un géant perdu de la littérature américaine » d’après le New Yorker, et faisant l’objet d’une première rétrospective en France à Paris. Photographe discret, chroniqueur malgré lui d’une époque vibrante. En noir et blanc, il saisit la vie noire parisienne des années 1960 avec une grâce furtive, comme un photographe de famille qui se serait retrouvé au cœur d’un manifeste politique. Ses images ont dormi dans l’ombre, les voici comme exhumées, vivantes, brûlantes d’intimité et de clairvoyance.

William Melvin Kelley 1937 - 2017 Gail and Jesi on Grandpa Will’s Flag, 4 Rue Regis, 1967 Stamped by Artist's Estate Selenium washed gelatin silver print from the original negative Gelatin silver print from the original negative 11 x 14 in. / Image 9 x 13 in. 28 x 35,5 cm / Image 22,8 x 33 cm
William Melvin Kelley 1937 – 2017 Gail et Jesi sur le drapeau de grand-père Will, 4 Rue Regis, 1967 Tamponné par la succession de l’artiste Tirage gélatino-argentique lavé au sélénium d’après le négatif original Tirage gélatino-argentique d’après le négatif original 11 x 14 po / Image 9 x 13 po 28 x 35,5 cm / Image 22,8 x 33 cm
William Melvin Kelley 1937 - 2017 Melvin Van Peebles, Paris, 1967 Stamped by Artist's Estate Selenium washed gelatin silver print from the original negative Gelatin silver print from the original negative 11 x 14 in. / Image 9 x 13 in. 28 x 35,5 cm / Image 22,8 x 33 cm
William Melvin Kelley 1937 – 2017 Melvin Van Peebles, Paris, 1967 Tampon de la succession de l’artiste Tirage gélatino-argentique lavé au sélénium d’après le négatif original Tirage gélatino-argentique d’après le négatif original 11 x 14 po / Image 9 x 13 po 28 x 35,5 cm / Image 22,8 x 33 cm
William Melvin Kelley 1937 - 2017 , 1967 Stamped by Artist's Estate Selenium washed gelatin silver print from the original negative Gelatin silver print from the original negative 11 x 14 in. / Image 9 x 13 in. 28 x 35,5 cm / Image 22,8 x 33 cm
William Melvin Kelley 1937 – 2017 , 1967 Tamponné par la succession de l’artiste Tirage gélatino-argentique lavé au sélénium d’après le négatif original Tirage gélatino-argentique d’après le négatif original 11 x 14 po / Image 9 x 13 po 28 x 35,5 cm / Image 22,8 x 33 cm

Puis il y a George Hallett. Sud-africain, contraint à l’exil sous l’apartheid, il capte l’humanité dans ce qu’elle a de plus digne, de District Six à Cape Town jusqu’aux portraits d’écrivains exilés à Londres ou Paris. Il y a chez lui une tendresse de l’œil, une pudeur dans le cadre. Ses images ne dénoncent pas, elles révèlent — dans les regards, les gestes, les lieux, la fierté nue d’exister. Les couvertures de livres et tirages gélatino-argentiques qu’on découvre ici sont autant de fragments d’une œuvre-monde, où le combat s’incarne dans les corps et les silences.

Enfin, dans l’espace de la librairie, James Barnor — le doyen — figure emblématique de la photographie ghanéenne et de la diaspora, réveille les couleurs du rêve. Le Ghana post-indépendance, le Swinging London, la jeunesse noire en majesté pour Drum magazine, un journal influent fondé en Afrique du Sud en 1951, symbolisant le mouvement anti-apartheid. Il shoote des mannequins dans les rues de Kilburn, immortalise les afro-coiffures et les espoirs nouveaux. Entre photographies de studio et clichés pris dans les rues, avec lui, la photographie devient surface de projection : mode, fierté, avenir. Ses images ont la légèreté joyeuse d’une époque qui croyait au changement, et dont la trace, ici, se révèle plus précieuse que jamais.

« Chacun des artistes exposés à son propre parcours », ajoute Jehan de Bujadoux, directeur de la galerie Clémentine de la Féronnière. « W.M.Kelley est américain, il a été très actif dans la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, il était présent lors de l’assassinat de Malcom X et cet évènement marquera son départ pour la France. George Hallett est Sud-Africain, son travail sur District Six se déroule en plein Apartheid dans un quartier désigné comme « blanc » et amené à être transformé (en réalité partiellement détruit). Enfin, James Barnor est ghanéen, son studio à Accra ouvert en 1947 a été le témoin pendant 10 ans des mouvements d’émancipation qui aboutiront à l’indépendance du pays vis-à-vis de l’Angleterre en 1957, avant de lui-même partir à Londres jusqu’à la fin des années 1960. »

James Barnor b. 1929 Marie Hallowi during a photoshoot for Drum magazine in Rochester, Kent, 1966 Printed in April 2023 Signed by the artist Lambda C-Print 22 x 22 cm 36 x 36 cm
James Barnor né en 1929 Marie Hallowi lors d’une séance photo pour le magazine Drum à Rochester, Kent, 1966 Imprimé en avril 2023 Signé par l’artiste Lambda C-Print 22 x 22 cm 36 x 36 cm
James Barnor b. 1929 Rosemarie “Funflower” Thompson posing for Drum at the Campbell-Drayton Studio, Gray’s Inn Road, London, 1967 Printed in 2023 Modern gelatin print from original negative 70 x 70 cm
James Barnor né en 1929 Rosemarie « Funflower » Thompson posant pour Drum au Campbell-Drayton Studio, Gray’s Inn Road, Londres, 1967 Tiré en 2023 Tirage gélatino-graphique moderne d’après le négatif original 70 x 70 cm
James Barnor né en 1929 Bill Hutson, un ami et artiste américain chez lui à Kilburn, Londres, 1966-67 Signé par l’artiste Tirage gélatino-argentique moderne d’après le négatif original Prochaine édition : 1/5 Formats disponibles : 22 x 22 cm

Archives d’une lutte

Mais « Paris Noir » n’est pas qu’une exposition d’archives sensibles. C’est une cartographie des liens. Une traversée. On y lit en filigrane la naissance d’un langage visuel commun aux diasporas africaines et afro-descendantes, un langage de l’entre-deux, de l’entrelacement. À une époque où les questions d’identité, d’héritage et de mémoire sont récupérées, instrumentalisées, cette exposition rappelle l’essentiel : la photographie n’est pas qu’un art, c’est une boussole.

À la galerie Clémentine de la Féronnière, on sort lestés de visages, de voix, de rythmes d’une époque révolue mais qui a laissé sa trace. De l’écho de cette phrase inscrite au fond d’une image de Hallett : « Vive les Noirs ». Comme une évidence.

George Hallett 1942 – 2020 Arnie et Mado, Paris, 1998 Caption by the artist on the back Gelatin silver print by the artist 42 x 51 cm / Image 31 x 45,5 cm
George Hallett 1942 – 2020 Arnie et Mado, Paris, 1998. Légende de l’artiste au dos. Tirage gélatino-argentique de l’artiste 42 x 51 cm / Image 31 x 45,5 cm

« Paris Noir » est à voir jusqu’au 17 mai 2025 à la galerie Clémentine de la Ferronière, à Paris.

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