C’est une confusion de corps portant des sacs de terre dans une sorte de chorégraphie improvisée et infernale, où chacun est sur le point de chanceler, où l’effort à en perdre haleine se voit sur les dos courbés et les jambes tendues. Presque aucun visage sur cette photographie, sinon celui de cet homme en bas, comme pris au piège d’une cavité boueuse, le regard vague, l’air absent. Il semble s’offrir un léger repos dans cette tornade quand, derrière lui, une grappe humaine se fraye un chemin dans une tranchée et d’autres travailleurs, toujours plus nombreux, remontent vers le ciel.
© Sebastião Salgado
Sebastião Salgado a pris cette photographie en 1986. Très exactement pendant les trente-cinq jours qu’il a passés dans la mine de Serra Pelada au Brésil, plus grande mine d’or au monde à ciel ouvert. À ce moment-là, pas moins de 52.000 hommes y travaillent. Le photographe fera 200 rouleaux de 36 poses dans cet espace-temps. Avec les ouvriers, il partage tout : la nourriture, le logement, les conversations. Il devient quelqu’un qui inspire confiance. On le laisse photographier pendant qu’on trime dans la boue.
C’est peut-être cette capacité à se fondre dans le décor qui a porté autant ses fruits dans ce travail. Sebastião Salgado réussit à faire corps avec ceux des travailleurs, porte son appareil photo dans la plaie béante que représente cette masse humaine sur le paysage et donne à voir combien la quête de l’or peut rendre les êtres humains oublieux d’eux-mêmes. Il en sortira un reportage devenu mythique, acheté immédiatement par deux grands journaux et qui, selon lui, contribuera à faire revenir le noir et blanc dans la presse qui ne jurait plus que par la couleur.
Gold © Sebastião Salgado / TASCHEN
Par Jean-Baptiste Gauvin
Gold – Sebastião Salgado
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