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Martine Ravache : « Personne ne voit la même chose »

Martine Ravache : « Personne ne voit la même chose »

Avec Regards paranoïaques, l’historienne de l’art Martine Ravache partage sept histoires intimes et inédites de différents photographes. Un ouvrage qui permet de penser la photographie à l’heure où elle connaît un succès sans précédent. Entretien avec Martine Ravache.
Christophe Schimmel, L’assassinat de Pierre Overney devant les usines Renault, le 25 février 1972 © Christophe Schimmel

D’où vous est venue l’idée de ce livre ? 

J’écris depuis toujours. J’ai commencé une rubrique au Magazine littéraire en 1990. Pour moi, c’est un rapport naturel vis-à-vis de la photographie que d’écrire, puisque j’ai fait de la critique de livre, de photo et d’histoire de la photo. Je suis historienne de l’art et je me suis tout de suite intéressée à la photographie en tant qu’historienne de l’art – ce qui n’était pas évident dans les années 1990. Je voulais même faire un travail sur les femmes photographes. Inutile de vous dire que personne ne s’intéressait à ce sujet à cette époque. C’est ainsi que je suis entrée en contact avec la photographe Gisèle Freund qui est présente dans les deux premières histoires du livre et j’ai envie de dire que j’ai commencé à écrire ce livre à ce moment-là. Le livre raconte mes aventures en photographie. Il est très lié aux rencontres que j’ai faites en tant que journaliste. Il est le fruit d’une longue maturation.

Christophe Schimmel, Pierre Overney assassiné devant les usines Renault, le 25 février 1972 © Christophe Schimmel

Quelles rencontres par exemple ? 

La première histoire du livre c’est donc l’anniversaire de la photographe Gisèle Freund. Elle fêtait ses 90 ans. C’était à la fin des années 1990. C’est une histoire que j’ai tout de suite écrite en rentrant chez moi car je me suis retrouvée dans une soirée où il y avait un affrontement entre deux personnes qui parlaient de son héritage. Qu’est-ce qu’un artiste fait de son œuvre après sa mort ? C’est une question qu’il faut aborder de son vivant… 

Dans votre livre, nous pouvons découvrir sept histoires distinctes à propos de différents photographes. Qu’est-ce qui relie ces histoires ?

La photographie relie ces histoires. Le choix du titre l’indique. Ce n’est pas « paranoïaque » dans le sens « pathologique ». Il faut le voir dans le sens commun du terme : la puissance du regard. Tout ce qui est lié au conflit de l’image. Le conflit narcissique, avec sa propre image, avec l’image de l’autre, comme dans la deuxième nouvelle du livre où on découvre Virginia Woolf et sa mère, le rapport mère-fille, Virginia Woolf qui doit affronter son propre vieillissement à travers celui de sa mère…

Markus Hansen, Other people’s feelings are also my own, 2001-2017 © Markus Hansen

« Le regard est une construction historique »

En quoi ces histoires témoignent-elles du fait que le regard est une construction historique ? 

Oui, le regard est une construction historique, mais aussi sociologique, sociale, affective, mémorielle… C’est une construction, le regard. C’est justement le fond du livre. Si je vous demande qu’est ce que vous voyez, vous me répondrez qu’on voit la même chose. On pense tous qu’on voit la même chose, mais en fait personne ne voit la même chose. Tout part de là. Dans le livre, je parle par exemple de Christophe Colomb qui aurait dit quand il est arrivé aux abords des Caraïbes : « c’est beau comme un jardin de Valence au printemps ». Il habitait Valence. En fait, tout le monde regarde de cette façon, ramène toujours à ce qu’il connaît déjà, c’est une construction personnelle. Et cette construction personnelle doit être partagée collectivement. D’où, dans le monde, de nombreux malentendus… 

Et comment, justement, le photographe est acteur de ce regard… 

Bien sûr. 

Votre livre n’est-il pas la preuve que la photographie est entourée d’histoires humaines, que cette histoire vaut le coup d’être écrite ? Que la photo produit des mots en quelque sorte… 

Absolument. Il y a une phrase de Paul Valéry qui dit : « voir, c’est mettre des mots ». C’est très important pour un photographe et c’est très douloureux de passer par les mots, mais c’est inévitable.  

En couverture : © Victorien Ameline (détail)

Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin

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