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Sabine Weiss, un siècle de photographie

Sabine Weiss, un siècle de photographie

Scènes de rues parisiennes et new-yorkaises, reportages à travers le monde, photos de presse, de mode, publicités, portraits d’artistes… Rares sont les domaines qui ont échappé à l’objectif bienveillant de Sabine Weiss. A bientôt 100 ans, la dernière représentante de la photographie humaniste, dont l’oeuvre est actuellement exposée aux Rencontres d’Arles, dévoile quelques secrets de fabrication et son regard sur la photographie aujourd’hui.

Rue des Terres au Curé, Paris, 1954 © Sabine Weiss

Dans le 13ème arrondissement de Paris, une petite rue appelée Terres-au-Curé. En 1954, Sabine Weiss s’y promène à l’occasion d’un reportage sur les prêtres ouvriers, ces prêtres de l’église catholique travaillant à l’usine et engagés politiquement. Elle aperçoit deux enfants munis d’un seau qui vont chercher de l’eau à la fontaine. « Le petit garçon porte un béret et des chaussettes, mais il n’a pas de pantalon, parce que les enfants n’en portent pas à cette époque », se souvient-elle. « La petite fille a les cheveux courts, retenus par une barrette. Elle est en tablier et en pantoufles. J’aime bien cette photo parce qu’elle montre vraiment une époque. Je vais bientôt avoir un siècle, alors j’ai vu pas mal de choses différentes, qui n’existent plus maintenant ! »

En 70 ans de carrière, Sabine Weiss ne s’est pas contentée de « voir pas mal de choses différentes ». Elle les a surtout documentées, à travers une production sensible et décloisonnée. En premier lieu avec ces petites scènes de rues parisiennes. Elles s’inscrivent dans l’école humaniste française, réunissant Robert Doisneau, Willy Ronis ou encore Edouard Boubat, témoins poétiques des bons et mauvais moments de la vie quotidienne de l’après-guerre. 

Sur le point de partir en vacances, cette grande dame de la photographie nous confie avec la générosité et l’espièglerie qui la caractérisent les prémisses de ses instantanés pleins d’humanité. « Dans la rue, on n’aborde pas ! On a déjà fait la photo de toute façon. Et puis les gens n’étaient pas contre, qu’on les photographie. »


Gitane, Saintes-Maries-de-la-Mer, 1960 © Sabine Weiss

Une vie de photographe

Née en Suisse en 1924 dans une famille de chimistes, elle se passionne très tôt pour la photographie et ses aspects techniques, fabricant ses propres pellicules. A 18 ans, elle devient apprentie photographe au studio Paul Boissonnas. « Ce n’est pas l’apprentissage qui vous apprend la technique. On l’a en soi. On aime faire les choses ! », affirme-t-elle. Avec peu de ressources, mais la ferme intention de faire de la photographie son métier, Sabine Weiss s’expatrie à Paris en 1946 et devient l’assistante du photographe allemand Willy Maywald. De ce travail, qui la propulse dans le Paris modeux et mondain, elle retiendra l’importance de la lumière naturelle comme source d’émotion. 

1950 marque un tournant : son mariage avec le peintre américain Hugh Weiss et l’ouverture de son propre studio. Indépendante, talentueuse et déterminée, elle rejoint rapidement la prestigieuse agence Rapho, et collabore avec le New York Times MagazineLifeVogueParis Match. Dans la foulée, le MoMA présente ses clichés lors de l’exposition « Post-War European Photography ».

« À la fin des années 1970, son œuvre bénéficie de l’intérêt grandissant des festivals et institutions pour la photographie humaniste, ce qui lui donne envie de reprendre un travail en noir et blanc », observe Virginie Chardin, commissaire de l’exposition, qui avait déjà réalisé la rétrospective de Sabine Weiss au Jeu de Paume en 2016. « Elle développe alors, la soixantaine passée, une nouvelle œuvre personnelle plus mélancolique et rythmée par des voyages en France et à l’étranger. »


L’homme qui court, Paris, 1953 ©Sabine Weiss

Profession : humaniste et artisan

« J’ai fait beaucoup de photographies de nuit car le soir je me baladais avec mon mari. C’est un travail spontané, parce qu’on voit des choses quand on se promène. Surtout la nuit ! », admet Sabine Weiss. Ses photographies sont le fruit de déambulations et de promenades. C’est ainsi qu’elle capture l’un de ses clichés les plus célèbres, L’homme qui court en 1953. Il s’agit en fait d’Hugh Weiss foulant les pavés d’une rue au pied du pont du Garigliano. « Un jour on se promenait là avec mon mari, la lumière était belle. Je lui ai dit: “Cours” ! », et il a couru. « C’est une photo que je n’aimais pas à l’époque, et il m’a dit “mais si, tire-la”. Il était de bon conseil. »

Sabine Weiss fait bien la distinction entre la photographie humaniste et les reportages qui lui étaient commandés, pour lesquels on faisait appel à son savoir-faire « d’artisan ». « Pour faire des photos humanistes, il faut se balader un peu partout. Dans les pays, dans les rues, dans les villes, dans les banlieues, dans les campagnes. Il faut du temps. Et pour avoir du temps, il faut manger. Et donc, le côté artisan de ma profession m’a permis de vivre, en exécutant des reportages très différents, plus techniques. »

En découle une oeuvre particulièrement généreuse et hétéroclite, de tableaux spontanés ou de mises en scènes. « J’ai photographié des gens simples, du peuple, et des gens très connus », avoue-t-elle. « Je m’acclimatais assez facilement. » Ainsi se côtoient des photographies emblématiques d’Alberto Giacometti dans son atelier, Françoise Sagan à sa machine à écrire, Romy Schneider dans sa loge, des premières collections Dior, mais aussi de gens très modestes et de parfaits inconnus, à qui son objectif et son tempérament curieux donnent une aura particulière. « En apparence inoffensives », Robert Doisneau déclarera au sujet de ces photographies qu’elles s’inscrivent « avec une volontaire malice juste à ce moment précis de déséquilibre où ce qui est communément admis se trouve remis en question ».


Anna Karina pour Korrigan, 1958 © Sabine Weiss

Faire tout soi-même

On demande souvent à Sabine Weiss si le fait d’être une femme l’a désavantagée dans sa carrière, et elle répond toujours par la négative. Elle explique qu’elle n’a jamais eu d’assistant et s’est toujours débrouillée toute seule. « Non, je ne peux pas dire que ça m’a porté préjudice (…) Évidemment, moi je travaillais sans assistant, j’étais toujours seule, je portais des appareils quelquefois très lourds, des flashes, des lampes (…) J’ai beaucoup porté mon matériel, mais enfin j’étais costaude ! », confie-t-elle amusée.

Aujourd’hui, elle ne prend plus de photos, et demeure curieuse mais perplexe devant les facilités qu’offrent le numérique et les smartphones. « Evidemment, ça m’intéresse, tout ce qu’on fait avec les petits téléphones portables ! On peut prendre en photo un paysage et tout à coup on se dit je veux le transformer en scène de nuit, ou d’aube (…) J’ai fait beaucoup de photos de publicités. Dans le temps, on faisait tout soi-même. On voulait des vagues, on voulait un feu, on voulait n’importe quoi, on se débrouillait soi-même pour le faire. Tandis que maintenant, tout est fait par ordinateur. D’une façon différente. Plus facile. Intéressante, mais facile ! »


Porte de Saint Cloud, Paris, 1950 © Sabine Weiss

Par Charlotte Jean

Charlotte Jean est journaliste et auteure. Ancienne collaboratrice de Beaux Arts Magazine et

fondatrice de Darwin Nutrition, elle est diplômée de l’Ecole du Louvre et spécialisée en art

contemporain.

« Sabine Weiss, Une vie de photographe », Jusqu’au 26 septembre 2021, Chapelle du Muséon Arlaten, dans le cadre des Rencontres de la photographie d’Arles. Plus d’informations ici.

Sabine Weiss, Autoportrait, 1953 © Sabine Weiss

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