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La RDC vue par les photographes congolais

La RDC vue par les photographes congolais

Crise sanitaire aidant, le prix Carmignac du Photojournalisme s’est mué cette année en un projet collaboratif qui donne à questionner la notion de représentation dans ce pays africain et à valoriser le journalisme local.
Goma, République démocratique du Congo, 2 avril 2020. Vendeurs et acheteurs au marché de Kituku sur les rives du lac Kivu. Le Congo a l’un des taux les plus élevés de travailleurs informels au monde avec environ 80 pour cent de travailleurs urbains impliqués dans l’économie informelle, selon la Banque mondiale. La Confédération syndicale du Congo estime qu’à l’échelle nationale, l’économie informelle représente un astronomique 97,5 pour cent de tous les travailleurs. © Moses Sawasawa pour la Fondation Carmignac

Lorsque Finbarr O’Reilly, lauréat du prix Carmignac en 2020, a commencé à travailler en début d’année sur son projet en République démocratique du Congo (RDC), il s’attendait à couvrir les conséquences de la deuxième plus virulente épidémie d’Ebola de l’histoire. Et puis, le coronavirus a fait son apparition et O’Reilly s’est temporairement transformé en éditeur, supervisant un groupe de photojournalistes locaux dans leur documentation des aspects sociaux, politiques, économiques et environnementaux du pays.

Collaborer pour offrir représentation plus nuancée 

« Depuis le début, je pensais à faire quelque chose dans l’esprit de la collaboration. Lors de mon premier voyage en janvier (2020), j’ai rencontré des journalistes et des photographes avec cette idée en tête. Donc quand le coronavirus est apparu, on a pensé avec Emeric Glayse, directeur du Prix Carmignac, que l’on pourrait faire quelque chose dans l’esprit de ce que j’avais fait en Ethiopie », explique-t-il. En 2019, il avait ainsi reçu une commande du comité du Prix Nobel pour réaliser un portrait du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali, lauréat du prix de la paix, et du chemin de l’Éthiopie vers la paix et la démocratie. Et pour y répondre, il avait impliqué des photographes locaux.

Des voisins et des travailleurs de la Croix-Rouge en tenue de protection se préparent à enterrer une fille de 11 mois décédée lors de l’épidémie d’Ebola au Congo dans la ville de Rutshuru dans la province du Nord-Kivu au Congo, février 2020. © Finbarr O’Reilly for Fondation Carmignac

Photojournaliste de guerre, O’Reilly a couvert les conflits et crises humanitaires dans le monde entier, et notamment en Afrique, ou il a longtemps vécu. Et bien qu’il connaisse très bien le Congo, ou il a réalisé de nombreux documentaires, il a conscience des limites du regard extérieur. « Il y a un certain eurocentrisme que l’on ne peut pas éviter, différent du point de vue des Congolais. Et ce, quel que soit le temps que l’on passe dans le pays », dit-il. Pour ne pas tomber dans cet écueil, il a cette fois travaillé avec dix photographes locaux, invités à photographier leur réalité au-delà des représentations dominantes de la presse internationale. « Il s’agit de créer une plate-forme où découvrir la photographie congolaise, pour briser les perceptions et les stéréotypes. »

Goma, République démocratique du Congo, du 27 au 28 avril 2020. Avec les écoles fermées pendant la période de confinement au Congo et la ville mettant en œuvre des coupures de courant régulières, ma sœur Marie, 13 ans, étudie chez elle à la lumière d’un téléphone portable. © Arlette Bashizi pour la Fondation Carmignac

Une grande diversité de sujets

Malgré une situation rendue compliquée par la crise sanitaire de Covid-19, ces 10 photographes ont documenté la situation au Congo sous une variété d’angles – depuis les infrastructures d’accès à l’eau et à l’électricité jusqu’à la conséquence du coronavirus sur la protection des gorilles dans la réserve naturelle de Virunga. « C’est une jeune génération très éduquée, qui connaît bien les médias et en a marre de la corruption et de la façon dont les choses ont été faites au Congo, d’un point de vue politique. Ils sont très engagés dans les médias et dans l’éducation populaire. » Compilées dans un catalogue, une sélection des photographies qu’ils ont réalisées pendant les six derniers mois ne peuvent que confirmer cette description. 

Province du nord-est de l’Ituri, RDC, février 2020. La ressemblance d’un soldat congolais se tient dans un champ près du village de Tche, dans le nord-est de la province de l’Ituri au Congo à la mi-février. Avec peu de forces gouvernementales dans la région, les villageois de la communauté Hema ont érigé la ressemblance dans l’espoir d’éloigner les membres armés de la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO), une secte politico-religieuse armée issue du groupe ethnique Lendu qui a été blâmé pour une vague de meurtres dans la province au cours des deux dernières années. © Dieudonné Dirole pour la Fondation Carmignac

En revanche, pour ce qui est des sujets moins attendus, des compétitions de rollerblade a l’intimité du quotidien, c’est sur les plates-formes digitales du projet qu’il faut se tourner, ou ils ne sont pas non plus nombreux. « Si les photographes locaux ne font que reproduire ce que font les étrangers, nous ne changeons pas le problème. Ce premier volet de la collaboration n’est pas un point final mais un point de départ dans ce processus d’apprentissage réciproque. Nous avons encore un long chemin à parcourir, mais c’est un pas dans la bonne direction », conclut O’Reilly.

Ce premier volet du projet fait ainsi l’objet d’une exposition en janvier à Paris, avant que le projet dans son intégralité, complété du travail d’investigation sur le terrain de Finbarr O’Reilly, soit présenté à l’automne prochain sous la forme d’un livre et d’une exposition. 

Goma, RDC, mai 2020. Des enfants vulnérables se rassemblent pour un repas partagé dans un centre communautaire musulman à Goma pendant le Ramadan la semaine dernière. © Ley Uwera pour la Fondation Carmignac

Par Laurence Cornet

Laurence Cornet est directrice éditoriale de l’association Dysturb, journaliste spécialisée en photographie, et commissaire d’expositions indépendante, à Paris.

Bukavu, RDC, mai 2020. Anglebert Maurice Kakuja, 29 ans, Sapeur, ou dandy congolais, montre son sens de la mode tout en portant un masque fait maison dans la ville de Bukavu, dans l’est du Congo, cette semaine. Les sapeurs tirent leur nom de l’acronyme de leur groupe: SAPE, signifiant Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes, ou «personnes élégantes qui créent l’ambiance». © Raissa Karama Rwizibuka pour la Fondation Carmignac

Exposition: Grilles de la tour Saint-Jacques, Paris 1er
Du 6 au 27 janvier 2021

Livre: « Congo in Conversation » 
Coédition Reliefs / Fondation Carmignac
Bilingue français / anglais
128 pages, 35 euros / 45 USD
Disponible ici.

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