Blind Magazine : photography at first sight
Photography at first sight
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Meryl Meisler, virée nocturne dans le New York des seventies

Meryl Meisler, virée nocturne dans le New York des seventies

Lorsqu’elle s’installe à New York dans les années 1970, Meryl Meisler photographie l’effervescence des soirées disco, clubs de strip-tease et bars punks. Les plaisirs de la décadence d’une époque mythique.
Le punk Stiv Bators au CBGB à New York, New York, avril 1977 © Meryl Meisler

Adolescente issue de la génération des Baby BoomersMeryl Meisler a grandi à Massapequa, Long Island, dans les années 1950 et 1960. Image même de l’enfance américaine parfaite: ses journées sont rythmées par des rassemblements Scout, de leçons de piano, d’entraînements de twirling et de cours de danse classique. Les weekends, sa famille l’emmène à New York pour assister aux spectacles de Broadway. Le glamour et la théâtralité imprègnent sa jeunesse, préparant le terrain pour ce qui va suivre, lors de son installation à Manhattan à l’été 1975.

A 23 ans, tout juste diplômée d’un master en Art de l’Université de Madison (Wisconsin), Meryl Meisler déménage à New York au moment même où la ville est au sommet de sa décadence. La faillite de la ville (à la suite de l’explosion des dépenses publiques), combinée à la révolution sexuelle, la Gay Pride et les mouvements de libération de la femme créent la tourmente : un terrain de jeu idéal pour une génération de jeunes qui peuvent à la fois y travailler, vivre et faire la fête.

Fast dancing au bal masqué des prostituées au COYOTE à New York, New York, février 1977 © Meryl Meisler
Pyramid Entrée Heat à New York, New York, avril 1979 © Meryl Meisler

Meryl sous-loue une chambre à sa cousine Elaine, dans le quartier de l’Upper West Side, à Manhattan. « Je me suis parfaitement intégrée », se souvient-elle. « Illustratrice indépendante, je gagnais modestement ma vie, et la photographie était un loisir. J’ai installé une chambre noire dans la buanderie, et voilà. J’ai adoré rencontrer tous ces gens, issus de milieux très différents. Mes cousines tenaient une galerie dans l’East Harlem, fréquentée par des poètes, des artistes et des musiciens de tout âge. Barbara, la sœur aînée d’Elaine, était amie avec la journaliste Betty Friedan et toutes les féministes célèbres du moment. Je courais les soirées, peuplées d’activistes et de fans de musique, et je terminais sur la piste de danse d’un club Latino. Je me sentais chez moi, à ma place. »

Femme au sol (Potassa de Lafayette) au Hurrah à New York, New York, mars 1978 © Meryl Meisler

Passant d’une scène à l’autre, Meisler ne se sépare jamais de son appareil et crée un portrait kaléidoscopique du New York libertin de l’époque. Au fil de la nouvelle exposition The Best of Times, The Worst of Times, Meryl Meisler nous fait découvrir l’intimité de clubs emblématiques tels que Les Mouches, Xenon, CBGB ou GG Barnum’s Room, au travers d’images issues de son livre publié en 2015, Purgatory and Paradise: SASSY ‘70s Suburbia & The City« C’était une époque qui vibrait d’énergie créative », se rappelle-t-elle. « On sentait qu’il n’y avait aucune limite. »

Drôle de casquette de marin, Les Mouches à New York, New York, juin 1978 © Meryl Meisler

New York City Girl

À l’automne 1975, bien décidée à profiter de tout ce que la ville peut lui offrir, Meryl Meisler passe un entretien pour intégrer un cours dispensé par la célèbre photographe Lisette Model« J’avais apporté mon portfolio avec les photos que j’avais sélectionnées pour mon Master. Elle a choisi un cliché, l’a montré à tout le monde et s’est exclamée, ‘Vous devriez montrer ça à John Szarkowski’ (le directeur photo du MoMA) », raconte t-elle avec fierté.

La compétition pour devenir reine du bal, Les Mouches à New York, New York, juin 1978 © Meryl Meisler

« Nous n’étions pas nombreux dans ce cours, 8 tout au plus, et Suzanne Opton se trouvait parmi nous. On affichait son travail au mur, et Lisette le commentait. Elle se montrait toujours très encourageante. J’ai présenté une série sur laquelle je travaillais. Le groupe a pensé qu’il s’agissait de portraits de princesses juives américaines, en référence à la chanson de Frank Zappa, Jewish American Princesses. En réalité, mes images montraient des sujets de toutes communautés ethniques confondues. Lisette a rétorqué qu’on empêchait les Juifs de faire carrière dans l’art et qu’on les orientait systématiquement vers le commerce: ‘les Gens du Livre prospèrent quand on leur permet de pratiquer les arts’. Je me suis sentie réconfortée et stimulée. »

L’année suivante, Meryl Meisler s’inscrit à un atelier à l’école de l’International Center of Photography et se fait remarquer lorsqu’elle dégaine son portfolio. « Les élèves, les profs ont adoré. Les images ont fait tellement de bruit qu’il est remonté aux oreilles de Cornell Capa, qui a voulu me rencontrer ! », dit-elle, puis ajoute en riant: « Toute ma vie, j’ai failli faire carrière. »

Don’t Stop Til You Get Enough

DJ Booth à 4 heures du matin au Studio 54 à New York, New York, août 1977 © Meryl Meisler

Bien que sa rencontre avec Capa (le directeur de l’ICP) n’aboutisse à rien, la photographe reçoit de nombreuses commandes. Elle est ainsi invitée à la Maison Blanche pour accompagner le photographe Ricardo Thomas, à l’occasion des réceptions d’intronisation du président Jimmy Carter, en janvier 1977. En parallèle, elle suit un cours donné par le célèbre photojournaliste Bob Adelman, qui vient tout juste de publier Gentleman of Leisure: A Year in the Life of a Pimp, en collaboration avec l’écrivaine Susan Hall. Foisonnant d’illustrations, l’ouvrage dépeint la vie de Silky, un proxénète new-yorkais qui se définit comme un « gentleman professionnel du plaisir ».

Bien connu pour son travail en faveur du mouvement américain des droits civiques, Adelman présente bien d’autres facettes, et Meisler va le découvrir. « En voyant mon travail, Bob a eu une réaction très forte », dit-elle. « Il a dû sentir mon côté sauvage, et m’a parlé du COYOTE Hooker’s Ball de la Saint Valentin. Ma première expérience disco. Ce fut un succès, c’est le moins qu’on puisse dire. J’ai été prise dans un véritable tourbillon. En quelques jours, je suis passée de la Maison Blanche à un bal de professionnel(le)s du sexe, puis à La Nouvelle Orléans, la semaine suivante, pour Mardi Gras. »

Recalés du Studio 54 (avec Judi Jupiter) à New York, New York, octobre 1978 © Meryl Meisler

Installée dans le bus de retour pour New York, Meryl Meisler fait une rencontre qui va changer sa vie: Judi Jupiter, une femme qui sera sa plus fidèle amie et complice. « Dans le car, Judi s’est montrée extrêmement provocante », se souvient la photographe. Intriguée par le personnage, elle l’aborde et lui propose de travailler ensemble sur un projet photographique destiné à des magazines pour hommes, comme Cheri ou Swank. Meryl Meisler travaille alors déjà pour ces publications pornos sous un nom d’emprunt. Judi Jupiter accepte. Ensemble, elles se rendront dans des boîtes de nuit, comme le CBGB et Studio 54, les derniers lieux à la mode, où elles feront la fête des nuits entières, tout en les documentant.

Le Freak, C’est Chic

Une trapéziste au GG’s Barnum Room, la nuit où nous nous sommes fait recaler du Studio 54 à New York, New York, décembre 1978 © Meryl Meisler

Au fil des années, la prolifique Meryl Meisler va accumuler une incroyable collection de photos prises au quotidien. Qu’elle soit en escapade estivale à Summer Island ou au travail comme hôtesse dans un go-go bar, elle aborde ses sujets avec amour et respect. En grande adepte de ces lieux et en profonde amoureuse de la vie, Meryl Meisler dépeint ainsi le monde avec sagacité.

« Dans certains lieux, il coule des courants cachés, semblables à des sources magiques, des eaux au pouvoir guérisseur », dit-elle mystérieusement, tout en montrant de la tendresse pour l’énergie qui la lie à New York depuis toutes ces années. « Je n’ai jamais cessé d’apprécier cette ville ni de me passionner pour ce qu’elle m’offre, en particulier son cosmopolitisme. D’un endroit à l’autre, on découvre des univers bien différents. Tu n’as pas à te fondre dans un moule. Qui que tu sois, il y a une place pour toi. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment TimeVogueAperture, et Vice.

« The Best of Times, The Worst of Times », Jusqu’au 23 juillet 2021, Light Work, Kathleen O. Ellis Gallery, 316 Waverly Avenue Syracuse, NY 13244, USA. Plus d’informations ici.

Purgatory and Paradise: SASSY ‘70s Suburbia & The City, publié par Bizarre, $45,00. Disponible ici.

Ouvrir la porte vitrée le soir de l’ouverture (avec Judi Jupiter) à La Farfalle à New York, New York, juin 1978 © Meryl Meisler

Ne manquez pas les dernières actualités photographiques, inscrivez-vous à la newsletter de Blind.