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After us the deluge : les images des terres bientôt englouties

After us the deluge : les images des terres bientôt englouties

Le photographe néerlandais de l’agence NOOR, Kadir van Lohuizen, signe After Us the Deluge; The Human Consequences of Rising Sea Levels (Après nous le déluge: les conséquences humaines de la montée des eaux). Il a parcouru le monde à la rencontre des peuples qui subissent d’ores et déjà les conséquences de la montée des eaux. Un travail photographique d’ampleur, très bien documenté.
Rijzend Water, Jakarta, 2018 © Kadir van Lohuizen

Jakarta, en Indonésie. Un enfant se tient en équilibre sur un rocher juste assez grand pour y mettre ses pieds. L’équilibre est précaire. L’enfant semble pouvoir tomber d’un moment à l’autre. Tout autour de lui, de l’eau. Elle inonde toute la route, et les maisons avoisinantes qui semblent se transformer en petites embarcations. A gauche, une longue digue semble bien inutile. Le gouvernement indonésien dresse des murs pour lutter contre la montée des eaux. A cause de l’extraction des eaux souterraines, la ville de Jakarta est en train de couler. Elle s’enfonce de 25 centimètres par an dans sa partie nord, alors qu’en même temps le niveau de la mer augmente. Des millions de personnes sont menacées. Si rien n’est fait, Jakarta sera une cité en partie engloutie d’ici 2050. 

En plus du recueil photo, le cœur du livre, le travail de recherche de Kadir van Lohuizen apporte à l’aide de textes, de cartes et de graphiques, une analyse approfondie sur les conséquences de la fonte des glaces et de la montée du niveau de la mer sur les territoires et les populations. Ce livre est une alerte. L’annonce d’un danger imminent. 

Montrer la menace invisible

Rijzend Water, Groenland, 2018 © Kadir van Lohuizen

Mais comment illustrer un phénomène qui parfois n’est pas encore visible ? Kadir van Lohuizen, grand photoreporter, membre de l’agence NOOR, veut montrer que derrière la référence biblique du déluge, l’urgence est bien réelle. « D’habitude, en tant que photographe, on joue avec la lumière. Pour ce projet, j’ai travaillé avec les marées. Il fallait avoir un planning très précis pour photographier pendant les heures de grandes marées. J’ai aussi rapidement réalisé que depuis les airs, on voyait davantage l’impact de la montée des eaux qu’en restant sur la terre ferme », explique le photographe dont nombre de ses photos ont été prises en aérien, parfois à l’aide d’un cerf-volant où était accroché son appareil.

Le photographe parcourt le monde. Depuis 2011, il s’est rendu au Groenland, aux Etats-Unis, au Bangladesh, en Indonésie, dans le Panama et aux Pays-Bas, son pays natal, pour illustrer et comprendre le phénomène. L’eau est le sujet principal. Le périple du livre commence au Groenland. Terre des glaces où les scientifiques étudient la fonte de la calotte glacière et les conséquences sur la montée des eaux pendant que les habitants observent ce réchauffement climatique et s’adaptent. Il y a parfois aussi de l’insouciance. Comme à Miami. Ses plages, ses soirées, sa jet set… Une ville bientôt sous les eaux ? D’ici 2060 selon les prédictions.

Rijzend Water, Miami, 2014 © Kadir van Lohuizen – NOOR

Sur une photo de Kadir van Lohuizen prise dans les rues de la ville du Sud-Est des Etats-Unis, un ouvrier sort d’une bouche d’égout. Seule sa tête est hors de l’eau. La scène est presque absurde. Il essaye avec son collègue de déboucher les canalisations mais conclut qu’il s’agit de l’eau de mer. « Aux Etats-Unis, les gens ne réalisent pas. Mais je pense que ceux du Bangladesh ou du Pacifique sont réellement conscients du danger. Il payent le prix fort alors qu’ils n’émettent pas de gaz à effet de serre par rapport aux occidentaux », commente Kadir van Lohuizen. 

Des millions de personnes déplacées

Le Bangladesh : peut-être l’un des pays les plus menacés par ce déluge annoncé. D’ici les prochaines décennies, la montée des eaux pourrait engendrer 50 millions de déplacés. Kadir van Lohuizen dresse le portrait de ces femmes et de ces hommes, peuple de pêcheurs dont l’eau est à la fois leur moyen de subsistance et leur pire ennemi. Au Panama, il rencontre des familles qui ont dû quitter leur île. Comme Norberto Hernandez, sa femme Olga et leurs enfants et petits enfants dont une des filles fixe l’horizon avec les sourcils froncés et le regard sombre, comme à la recherche d’un avenir meilleur. Le gouvernement a en effet lancé un plan d’évacuation de quatre des 300 îles qui font partie de l’archipel de Guna Yala, menacées par les tsunamis et les inondations. Mais il est parfois difficile de faire quitter ces îles à des familles attachées à leur culture et à leur terre.

Rijzend Water, Terschelling, 2019 © Kadir van Lohuizen – NOOR

Le livre se termine avec un reportage aux Pays-Bas, pays d’origine du photographe. Plat pays qui bataille contre la montée des eaux depuis déjà des décennies. Même avec l’un des réseaux de digues les plus développés au monde, cela suffira-t-il ? Une élévation de 2 à 3 mètres du niveau de l’eau nécessiterait de déplacer les habitants d’Amsterdam et de Rotterdam… A travers ces photos de paysages, de grandes étendues, et ses portraits, Kadir van Lohuizen ne montre pas seulement les conséquences géographiques de la montée du niveau de la mer mais aussi la réalité humaine de cette menace imminente. Les déplacements massifs de population, la disparition de zones de terre immenses. « Je voudrais être optimiste mais ce que je vois ne le permet pas », estime le photographe qui insiste sur la réelle urgence du phénomène et le manque de réaction de la part des autorités. 

Par Michaël Naulin

Michaël Naulin est journaliste. Passé par les rédactions de presse régionale et nationale, il est avant tout passionné de photographie et plus particulièrement de photoreportage.

Kadir van Lohuizen : After Us the Deluge ; The Human Consequences of Rising Sea Levels, 288 pages, 45 €. Disponible ici.

Rijzend Water, Sud de Tawara, 2011 © Kadir van Lohuizen
Rijzend Water, Bangladesh, 2011 © Kadir van Lohuizen – NOOR

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