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Dans les couleurs de Vivian Maier

Dans les couleurs de Vivian Maier

La mystérieuse photographe américaine a livré une œuvre passionnante qui n’en finit pas d’intriguer. La Galerie Les Douches à Paris propose une relecture de son travail avec ses clichés colorés.
Vivian Maier

Milwaukee, MI, 1967 ©Estate of Vivian Maier/Maloof Collection, Courtesy Les Douches la Galerie, Paris & Howard Greenberg Gallery, New York

Il y a d’abord ses autoportraits. Vivian Maier avait visiblement une passion : se prendre en photographie à travers tous les supports qui pouvaient rendre son reflet. Dans le rétroviseur d’une voiture, dans la vitrine d’un magasin, face à un étrange appareil en métal, la photographe a capturé sa silhouette et son visage si particulier dans des images déconcertantes. Elle regarde l’objectif comme si elle se savait regardée, comme si elle anticipait le fait qu’un jour des milliers et des milliers de visiteurs allaient se presser autour de ses clichés. « C’est vraiment une énigme ces autoportraits » estime Françoise Morin, directrice de la galerie, « c’est peut-être là où Vivian Maier trouve le plus sa singularité en tant que photographe ». Une étrange dame qui ressemblait à une drôle de passante, vêtue de long manteaux et de chapeaux distingués made in France et qu’elle se faisait fort d’immortaliser en attrapant l’effet de son ombre avec son appareil photo.

145.000 photos

Car il existe un mythe Vivian Maier. Cette femme qui a été une nourrice dans différentes familles et qui, presque sous le manteau, discrètement, passait sa vie à photographier le monde qui l’entourait et n’en faisait rien ensuite, n’essayait visiblement pas de faire carrière dans le milieu de la photographie. Décédée en 2009, elle a laissé pas moins de 145.000 photos dont une très grande partie qu’elle n’a jamais développée. C’est à la faveur d’une vente aux enchères qu’un jeune américain, John Maloof, achète ses pellicules, puis se rend compte de la valeur de ces clichés en les montrant à des connaisseurs, notamment le photographe de rue américain Joel Meyerowitz. « Après avoir regardé toutes les photos, j’ai été envahi de ce plaisir que l’on ressent à la vue d’un travail intelligent et évocateur. » témoigne-t-il dans un texte du livre qui accompagne cette exposition : The Color work.

Vivian Maier

Chicago, October 1976 ©Estate of Vivian Maier/Maloof Collection, Courtesy Les Douches la Galerie, Paris & Howard Greenberg Gallery, New York

Rumeur de la rue

Mais derrière le mythe, il y a surtout l’énigme. Pourquoi n’avoir jamais montré ses photographies ? Pourquoi s’être faufilé ainsi, dans le monde, sans ouvrir les grandes portes et rester à l’écart, dans son désert ? Vivian Maier a bien des secrets et il est difficile de vouloir les lever sans se mettre à juger ou interpréter personnellement. Reste l’œuvre, fabuleuse, inclassable. La déambulation quotidienne d’une femme dans les années 1950-1970 à Chicago et New York. Une femme qui était capable d’attraper la rumeur de la rue, le visages des passants, une attitude, un geste. Chez Vivian Maier, il y a une attention obsessionnelle au détail. Elle le traque, l’épie, le capture. Elle s’intéresse aux formes des gens. Il lui arrive de morceler les corps pour ne montrer par exemple que deux jambes, dont l’une est bandée suite à une blessure ou bien une poignée de mains, celle de deux personnes âgées, vibrante indication d’une émotion devant la vie d’un couple.

Vivian Maier

Chicago, 1962 ©Estate of Vivian Maier/Maloof Collection, Courtesy Les Douches la Galerie, Paris & Howard Greenberg Gallery, New York

Ballons colorés

C’est aussi l’autre aspect intriguant de Vivian Maier : sa complète solitude. Sur ses photographies, il semble qu’elle est sans cesse en retrait, à l’écart des autres, avançant à pas de loup. Elle prend souvent les gens de dos et presque toujours à leur insu. Elle dérobe en silence le portrait des badauds, des marginaux, des gens qui passent dans le dédale incertain du monde. Il y a par exemple cet homme qui est en train de fumer une cigarette, dos au mur, l’air absent, dans ses pensées, comme s’il regardait le lointain, songeait à quelque chose dans sa mémoire, quittait le présent. Il y a ce jeune homme entouré de gros ballons colorés qui semble absorbé par le temps qui passe. Il y a cette jeune femme sur la plage, un bonnet de bain rose sur la tête, contemplant l’horizon. Vivian Maier s’amuse en dressant le portrait de toute une société où l’individu triomphe, mais avec son lot d’exclus et de rebuts qu’elle n’oublie pas de révéler. Elle se joue des codes, des conventions, imprime un style à elle qui consiste en l’évocation d’un mystère, d’un regard de solitaire contrarié et ému.

Vivian Maier

Chicago, 1959 ©Estate of Vivian Maier/Maloof Collection, Courtesy Les Douches la Galerie, Paris & Howard Greenberg Gallery, New York
Vivian Maier

Chicago, June 1978©Estate of Vivian Maier/Maloof Collection, Courtesy Les Douches la Galerie, Paris & Howard Greenberg Gallery, New York
Vivian Maier

Untitled, n.d. ©Estate of Vivian Maier/Maloof Collection, Courtesy Les Douches la Galerie, Paris & Howard Greenberg Gallery, New York

Par Jean-Baptiste Gauvin

Vivian Maier, The Color Work

19 janvier – 30 mars 2019

Les Douches La Galerie, 5 Rue Legouvé, 75010 Paris

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