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snap+share : petite histoire de la transmission des images

snap+share : petite histoire de la transmission des images

Jusqu’au 4 août prochain, le musée d’art moderne de San Francisco propose une exposition qui revisite la manière dont la photographie s’est partagée depuis son invention à nos jours. L’occasion de découvrir une autre facette d’un des médiums les plus populaires du 21e siècle.

Combien de photographies s’échangent chaque jour sur internet ? Au bureau, en vacances, au restaurant, entre amis ou tout seul, nous partageons chaque jour des photos de notre quotidien à nos proches ou moins proches. Mais depuis quand cette pratique existe ? Est-ce le résultat de notre addiction aux réseaux sociaux ou a-t-elle toujours existé ?

David Horvitz, 241543903, 2009–ongoing; courtesy the artist and ChertLüdde, Berlin; © David Horvitz 

C’est la question que se pose l’exposition snap+share : transmitting photographs from mail art to social networks (snap+share : la transmission de photographies de l’art postal aux réseaux sociaux) au Musée d’art moderne de San Francisco (SFMOMA) jusqu’au 4 août prochain.

Conçue par Clément Chéroux, conservateur principal de la photographie du SFMOMA, l’exposition retrace l’histoire des modes de diffusion de la photographie aussi bien dans les pratiques amateurs qu’artistiques. L’occasion de découvrir une autre facette d’un des médiums les plus populaires du 21e siècle.

On Kawara, I Got Up…, 1975; Robert Harshorn Shimshak & Marion Brenner; © One Million Years Foundation, courtesy One Million Years Foundation and David Zwirner

S’affirmer

Dès lors qu’elle est devenue un cliché instantané et reproductible, la photographie s’est partagée. D’abord carte-cabinet puis carte de visite, la photographie est rapidement devenue carte postale grâce au perfectionnement du système postal moderne au cours du 19e siècle. Témoignage du présent autant que du passage du temps, l’image photographique est par essence un objet de partage. On veut montrer le moment vécu, revivre ensemble ses souvenirs… Longtemps acclamée pour son absolu fidélité à la réalité, la photo a bouleversé notre rapport à l’image : reflet du monde réel, elle est surtout un fragment du passé à préserver et à transmettre. Une preuve de ce que j’ai fait et de qui j’ai été.

L’exposition permet ainsi de découvrir la collection étonnante de Peter J. Cohen qui a rassemblé un grand nombre de photographies amateurs sur lesquelles les gens ont écrit le mot “moi” à côté de leur visage. De la même manière, l’exposition présente les cartes postales touristiques de l’artiste japonais On Kawara qu’il envoyait quotidiennement à ses amis en précisant l’heure à laquelle il se levait chaque matin. “En envoyant des cartes postales dans les années 1970 avec les messages “Je me suis levé à 8h15” ou “Je me suis levé à 8h22”, il affirme “Je suis ici, j’existe, je suis une vraie personne”. Et c’est essentiellement ce que nous faisons aujourd’hui avec Snapchat et Instagram” commente Clément Chéroux. Quels que soient les époques et les modes de diffusion, ces photographies mettent en évidence un constat sans surprise dans notre relation aux photographies : nous les utilisons pour affirmer notre existence et marquer notre place dans le monde.

Unknown, Untitled, ca. 1920–60; San Francisco Museum of Modern Art, gift of Peter J. Cohen

S’exprimer

Si l’exposition permet de souligner que ce que nous photographions n’a pour ainsi dire pas changé – comme le révèle la superposition de clichés touristiques de Corinne Vionnet – et que la pratique amateur demeure la même, elle permet néanmoins de mettre en lumière le passage décisif de l’analogique au numérique dans la transmission des images.

Le 11 juin 1997, l’ingénieur informaticien Philippe Kahn envoyait à sa famille et amis une photographie couleur de sa fille Sophie, peu de temps après sa naissance, grâce à un dispositif composé de son téléphone portable, d’un appareil photo numérique et d’un réseau Internet relié. Cet envoi marque un moment historique : elle est considérée comme la première image de téléphone portable envoyée au même moment à un large réseau de personnes (2000 pour être précis).

Philippe Kahn, Sophie Lee Kahn birth picture, first photograph shared instantly through a digital camera, cellphone, and server with 2,000 people, June 11th, 1997, 1997; courtesy The Lee-Kahn Foundation; © Philippe Kahn

Oui, Internet marque un avant et un après dans l’usage et la diffusion de la photographie. L’image n’est plus imprimée, elle est dématérialisée. L’image n’est plus envoyée d’un point A à un point B, elle est envoyée à plusieurs destinataires situés à différents endroits dans le monde, et ce, quasiment instantanément. L’image n’est pas seulement accessible à une personne, elle est désormais disponible pour le plus grand nombre. Mais surtout l’image n’est plus seulement un témoignage ou une preuve, elle est un nouveau langage : elle est devenue conversationnelle.

Si l’exposition présente ce changement comme une évolution et non une révolution, il demeure pour les artistes sources d’interrogations et d’inspiration. Dans l’une des salles, on peut ainsi découvrir l’installation d’Erik Kessels qui a imprimé sur papier chaque photo chargée sur Flickr sur une seule période de 24 heures. La quantité d’images forme un monticule qui occupe la quasi-totalité de l’espace. Une manière de matérialiser la nouvelle massification des images et notre appétit insatiable de nouveautés visuelles. Comme le démontre le célèbre mème du Ceiling Cat, maintes fois modifié et maintes fois partagé, dont le succès viral en a fait l’icône d’Internet lui-même et repris ici sous la forme d’une sculpture accrochée au plafond.

Bienvenue dans l’ère de la post-photographie.

Légende

Erik Kessels, 24HRS in Photos, 2011; courtesy the artist; © Erik Kessels  

Eva and Franco Mattes, Ceiling Cat, 2016; courtesy Postmasters Gallery, New York, and Team Gallery, Los Angeles; © Eva and Franco Mattes 
Corinne Vionnet, San Francisco, 2006, from the series Photo Opportunities, 2005–14; San Francisco Museum of Modern Art, John Caldwell, Curator of Painting and Sculpture (1989–93), Fund for Contemporary Art purchase; © Corinne Vionnet
Thomas Bachler, Untitled, from the series Reiseerinnerungen (Souvenirs), 1985; San Francisco Museum of Modern Art, Accessions Committee Fund purchase; © Thomas Bachler 
Moyra Davey, Subway Writers I, 2011; collection of Nion McEvoy; © Moyra Davey; photo: Marcus Leith, courtesy greengrassi, London

Par Coline Olsina 

snap+share : transmitting photographs from mail art to social networks

Du 30 mars au 4 août 2019

SFMOMA, 151 3rd St, San Francisco, CA 94103, États-Unis 

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