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Israël dans le viseur de douze photographes

Israël dans le viseur de douze photographes

Au musée juif de Berlin, une exposition explore la vision d’une ribambelle de photographes sur Israël et la Cisjordanie. Josef Koudelka, Jeff Wall ou encore Stephen Shore… Une plongée dans un territoire complexe façonné par le conflit avec la Palestine.
Frédéric Brenner, The Aslan Levi Family, 2010 © Frédéric Brenner, Courtesy Howard Greenberg Gallery

Des visages graves, qui vous regardent sans détour, vous fixant comme si vous étiez devant eux, pour de vrai, et qui disent à eux seuls toute la complexité des lieux, de leur histoire, de la question du sol… Ainsi se tiennent les personnes photographiées par Frédéric Brenner qui ouvrent l’exposition. Une famille sur une plage. Une autre autour d’une immense table de salle à manger décorée de façon très traditionnelle. Et puis, une face inoubliable : un homme mutilé, sans yeux, ses bras remplacés par des prothèses. Qu’a-t-il vécu ? A-t-il mis la main sur une grenade ? A-t-il été proche d’une bombe ? On ne saura pas. Mais on comprendra avec lui que se joue ici une partition tendue entre les êtres humains, qu’il y a un conflit, le conflit israélo-palestinien et qu’il fabrique aussi ceux qui habitent là, constitue tout un lot de blessés et de traumatisés. 

Frédéric Brenner, The Weinfeld Family, 2009 © Frédéric Brenner, Courtesy Howard Greenberg Gallery

Eau 

La photographe coréenne Jungjin Lee saisit les détails de cette guerre larvée et interminable. Elle donne à voir les traces de balles demeurant sur un mur dans un sombre tableau en noir et blanc. Mais elle s’attarde aussi sur la beauté du paysage. Ici un arbre par exemple qui symbolise une paix précieuse et parfois retrouvée. Des paysages qui ont frappé l’œil de Stephen Shore. Le photographe déambule dans les immenses espaces déserts où ne règnent que les rochers et le sable. Il nous ébauche des panoramas intenses où nous pouvons imaginer combien est beau ce pays, mais aussi inhospitalier, manquant surtout d’eau. L’artiste Martin Kollar expose d’ailleurs dans une salle des réservoirs vides customisés comme la carrosserie d’une voiture de course par des Palestiniens et rappelle ainsi l’importance de ces barils remplis d’eau, combien leur présence est nécessaire auprès des populations de ces territoires. 

Martin Kollar, no title © Martin Kollar

Prison 

Pour s’en rendre compte, rien ne vaut les images de Gilles Peress. S’installant à Jérusalem, il révèle combien est bouillonnante la Ville sainte. Ici, ce sont des gens qui prient au pied du Mur des Lamentations, là c’est un Bédouin qui dort au pied d’un olivier. À ce titre, une magnifique photographie de Jeff Wall vient ponctuer le parcours du visiteur. L’artiste canadien a reconstitué une scène qu’il l’avait frappé tandis qu’il parcourait la Cisjordanie : un groupe de nomades en train de dormir devant une vaste prison s’étendant à l’horizon. Trouvant là une situation paradoxale et très parlante, il a décidé d’en faire un de ses célèbres tableaux où domine une mise en scène parfaitement orchestrée. Les nomades dans les bras de Morphée, enroulés dans des couvertures bariolées, devant une petite forêt d’oliviers qui donne elle-même sur la forme gigantesque et brumeuse d’une prison. 

Jeff Wall, Daybreak, 2011 © Jeff Wall

Mur 

Ces photographes ont réalisé ces images entre 2009 et 2012 tandis qu’ils passaient tous un moment dans la région. L’ambition, dit l’introduction placée au début de l’exposition, est de rivaliser avec des missions photographiques comme celle de la Farm Security Administration dans les années 1930 aux États-Unis pour relater les conditions misérables des fermiers ou bien comme celle de la DATAR en France qui immortalisait la campagne du pays dans les années 1980. Mais cette mission-là n’a reçu aucun financement étatique et tous les photographes sont originaires d’autres pays qu’Israël et la Cisjordanie. Parmi eux, il en est un qui marque peut-être plus que les autres pour l’ampleur de son travail et le sujet qu’il aborde : Josef Koudelka. Il a documenté d’une façon extrêmement sensible le mur qui se tient désormais entre Israël et la Palestine. Un mur dont il dépeint toutes les facettes, montrant ici sa terrible absurdité, là sa souveraineté effarante. Des photographies d’autant plus émouvantes qu’elles résonnent plus fort à Berlin tandis que seront très bientôt célébrées les trente ans de la chute du Mur qui séparait alors la capitale allemande en deux. 

Stephen Shore, St. Sabas Monastery, Judean Desert, 2009 © Stephen Shore
Wendy Ewald, At Home (photograph by Amal), 2013 © Wendy Ewald
Jungjin Lee, Unnamed Road 045, 2011 © Jungjin Lee
Gilles Peress, Contact Sheet, Palestinian Jerusalem, 2013, Installation view detail © Gilles Peress

Par Jean-Baptiste Gauvin

This Place

Du 7 juin 2019 au 5 janvier 2020

Jüdisches Museum Berlin Lindenstraße 9-14, 10969 Berlin, Allemagne 

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