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«Il va traverser les siècles», l'univers poétique de Gilbert Garcin raconté par l'un de ses tireurs photo

«Il va traverser les siècles», l’univers poétique de Gilbert Garcin raconté par l’un de ses tireurs photo

Le photographe originaire de La Ciotat s’est éteint samedi 18 avril à l’âge de 90 ans. Il nous lègue une formidable œuvre philosophique et surréaliste. Guillaume Geneste, l’un de ses tireurs photo, nous parle du « papi de la photographie » qui a tant séduit la France et le monde.

Le bon diagnostic, 1999, courtesy Galerie Camera Obscura

Il avait commencé la photo sur le tard. A 65 ans. Un stage de photographie pour occuper sa retraite. La révélation d’un véritable artiste. Gilbert Garcin nous a quitté. Il avait 90 ans. Nous reste une série de photographies touchantes, pleines d’humour et de finesse. 

Sa griffe se reconnaît au premier coup d’œil. Sur chaque image, un petit personnage parcourt un monde imaginaire en noir et blanc, souvent seul, quelques fois accompagné d’une femme vêtue d’une robe et de talons. Lui, porte un long manteau sombre. Parfois, un bob recouvre son crâne dégarni. Ce petit homme qui se promène dans cet univers onirique, c’est « Monsieur G. », la silhouette miniature de Gilbert Garcin, parfois rejointe par celle de son épouse. 

Des photomontages noir et blanc réalisés dans son modeste atelier de La Ciotat. Un monde qui ne tient que sur une petite table, couverte de sable, éclairée par un projecteur, et composée d’un décor de bric et de broc. Chaque image a son titre. Gilbert Garcin nous prend par la main et nous fait entrer dans son royaume fantastique. 

Il nous évoque la peinture de Magritte, les caméos d’Hitchcock ou le cinéma de Tati. On ne peut s’empêcher de penser aux Vacances de monsieur Hulot devant S’y perdre. Où quatre « Monsieur G. » et leurs ombres, coiffés d’un bob, semblent perdus dans un labyrinthe de cartons à maquettes. La photographie de Gilbert Garcin est unique, hors du temps. Elle a fait le tour des galeries, et a séduit le monde entier. 


Le choix évident, 2003, courtesy Galerie Camera Obscura

« C’était vraiment un cas particulier » 

« Son œuvre est admirable. J’aime son ironie, son humour, parfois grinçant, sa poésie… », décrit le tireur et photographe Guillaume Geneste, fondateur du laboratoire parisien La Chambre Noire, qui a réalisé de nombreux tirages de Gilbert Garcin. « Il a longtemps travaillé avec le tireur Bernard Caramante. J’ai commencé à collaborer avec lui il y a cinq ans, par l’intermédiaire de son fils qui est arrivé avec un gros classeur orange », raconte-t-il. 

Sur une vingtaine d’années, Gilbert Garcin a réalisé plus de trois cents œuvres. Allégories du temps qui passe, de la condition humaine, où se mêlent humour noir, mélancolie et rêveries. Un regard amusé sur la vie, d’un homme né en 1929 à La Ciotat, conquis par la photographie après quarante années passées à tenir une boutique de luminaires à Marseille. 

Lorsque Guillaume Geneste se penche sur de nouveaux tirages de ces œuvres, il est seulement en contact avec le fils de Gilbert Garcin. Fait très rare dans le métier de tireur, il n’a jamais rencontré le photographe. Une singularité qui s’explique par la simplicité du tirage : « Ce n’est pas une photo très difficile à tirer, il n’y a pas une grande variation de lumière. C’est une lumière de studio. Je me suis calé sur les tirages précédents, et Gilbert Garcin ne m’a jamais refusé de photo. Il ne voulait pas trop de retouches, il aimait que l’on voit ce côté bricolage », détaille le tireur. 

Un travail original, bien différent de ceux habituellement traités par Guillaume Geneste. « C’était vraiment un cas particulier. J’aurais du mal à parler de couleurs de tirage comme sur des photos de Lartigue sur lesquelles je travaille depuis 25 ans. Mais ce n’est pas réducteur. C’était sa façon de voir les choses », explique-t-il, avec le regret de n’avoir jamais pu rencontrer l’artiste. 


L’ambition raisonnable, courtesy Galerie Camera Obscura

Une œuvre atemporelle 

Un montage simple, et d’une infinie richesse. Chaque petite scène comporte un message philosophique à déchiffrer, toujours délivré avec une touche d’autodérision et de malice. Certaines images font référence à la mythologie grecque pour parler du monde moderne. Comme dans Icare contrecarré, où Gilbert Garcin est ficelé à un poids alors qu’il essaye de s’envoler à l’aide d’un ballon de baudruche. 

Dans Le dessous des choses, sa silhouette lilliputienne soulève légèrement le bout d’un immense drap blanc qui s’étend à perte de vue. Comme si ce petit monsieur s’amusait à tirer sur l’horizon. Une photographie universelle, atemporelle, où les aventures de « Monsieur G. » nous racontent la vie, ses joies, ses peines, son absurdité, sa beauté. 

« Après l’annonce de sa disparition, j’ai rouvert un de ses albums. Certaines photos sont de la pure poésie », observe Guillaume Geneste en nous décrivant L’arbre qui voulait voir la mer, où un arbuste, doté d’une paire de jambes, contemple les vagues s’échouer sur le sable. Gilbert Garcin s’étonnait toujours du succès de ses photos, lui qui voyait la fin de sa vie au bord de l’eau, une canne à pêche à la main. « Sa photographie va traverser les siècles, c’est sûr », lui répond Guillaume Geneste. 


S’y perdre, 1993, courtesy Galerie Camera Obscura

Le dessous des choses, courtesy Galerie Camera Obscura

Upward, courtesy Galerie Camera Obscura

L’envol d’Icare (d’après Léonard de Vinci), courtesy Galerie Camera Obscura

Le coeur de la cible, 1998, courtesy Galerie Camera Obscura


Michaël Naulin 

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