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En Guadeloupe, Gregory Halpern documente les traces du passé colonial français

En Guadeloupe, Gregory Halpern documente les traces du passé colonial français

La série « Soleil cou coupé » de Gregory Halpern pointe dans l’archipel l’héritage colonial d’une population et d’un territoire marqués par l’esclavage. Des images aussi vives que délicates, chargées de symbolisme.

Gregory Halpern, Untitled, 2019, from Let the Sun Beheaded Be (Aperture/Fondation d’entreprise Hermès, 2020) © Gregory Halpern

C’est comme lauréat d’Immersion, une commande photographique franco-américaine de la Fondation d’entreprise Hermès, que le photographe américain Gregory Halpern s’est intéressé à la Guadeloupe. « J’ai exploré la question jusqu’à me rendre compte qu’il pourrait être intéressant de penser à la France à travers le prisme de l’expérience d’une ancienne colonie française. Et je suis arrivé en Guadeloupe, une région d’outre-mer », explique-t-il dans une conversation avec le photographe et auteur Stanley Wolukau-Wanambwa, à la fin de l’ouvrage consacré à cette série, publié par Aperture et la Fondation Hermès.

Gregory Halpern, Untitled, 2019, from Let the Sun Beheaded Be (Aperture/Fondation d’entreprise Hermès, 2020) © Gregory Halpern
Gregory Halpern, Untitled, 2019, from Let the Sun Beheaded Be (Aperture/Fondation d’entreprise Hermès, 2020) © Gregory Halpern

Un portrait des lieux

Lui-même descendant de l’immigration – son grand-père juif a fui la Hongrie juste avant la Seconde Guerre mondiale pour s’installer aux Etats-Unis -, Gregory Halpern aborde l’’île caribéenne comme un laboratoire du mélange. Ce qui le frappe avant tout, c’est la présence d’une histoire tourmentée sur l’ensemble du territoire. « Le traumatisme de l’esclavage et du colonialisme se ressent de manière tellement plus crue là-bas qu’aux États-Unis. […] Il y a un nombre impressionnant de monuments liés à l’esclavage, par exemple », explique-t-il.

Pour placer cette perspective historique au cœur de sa recherche visuelle, Halpern a photographié les rappels à l’histoire : buste assombri par le temps, visage de Christophe Colomb mutilé par la main de l’homme, sculpture piquée par la rouille. Ces sombres personnages historiques n’en demeurent pas moins triomphaux. Au dos de son épaule musclée, un homme porte en tatouage le décret de la convention nationale abolissant l’esclavage.

Gregory Halpern, Untitled, 2019, from Let the Sun Beheaded Be (Aperture/Fondation d’entreprise Hermès, 2020) © Gregory Halpern
Gregory Halpern, Untitled, 2019, from Let the Sun Beheaded Be (Aperture/Fondation d’entreprise Hermès, 2020) © Gregory Halpern

Halpern a donné à sa série un titre emprunté au poète et homme politique martiniquais, Aimé Césaire, anticolonialiste et surréaliste résolu. « Soleil cou coupé », métaphore du coucher de soleil, représente aussi dans ses écrits la dissociation de la tête et du corps de la majorité de la population antillaise, descendante des esclaves venus d’Afrique et pourtant éloignée de ses racines.

Ses portraits, masquant régulièrement l’identité des sujets par un jeu de lumière ou de posture, reflètent la quête d’identité des Guadeloupéens. Les détails capturés au cours de ses déambulations font quant à eux office de symboles: un arbre exotique dont les racines puissantes envahissent une maison, des animaux dont on retire les entrailles, ou des enfants réunis autour d’un trou noir dans la chaussée.

Couverture: Gregory Halpern, Untitled, 2019, from Let the Sun Beheaded Be (Aperture/Fondation d’entreprise Hermès, 2020) © Gregory Halpern

Faire cohabiter les contradictions

« J’ai tendance à me promener et à parler beaucoup avec les gens. Je suis une sorte d’éponge quand j’ai mon appareil en main, j’accepte à peu près n’importe quelle invitation, je prends des auto-stoppeurs, je suis les chats errants dans les ruelles, etc. », explique Halpern. C’est après coup, au moment d’éditer ses photos, qu’il découvre des thèmes récurrents. La diversité des gens est un point clé. Masqués ou non, ils arborent un mélange de fierté et de fragilité – c’est par l’entrelacement des corps que cette vulnérabilité transparaît dans une image, dans la nudité sur une autre, dans l’accroc d’un vêtement dans une troisième. Vient ensuite la cohabitation de la violence et de la douceur : la cruauté envers les animaux et la tendresse par les fleurs, la vivacité du feu et le calme de l’eau, le sourire grimaçant d’un masque et celui, timide, d’une jeune fille.

Par ce jeu de contradictions, Halpern propose une histoire complexe de la Guadeloupe. Comme l’affirme Clément Chéroux, commissaire de l’exposition la Fondation Henri Cartier-Bresson (et au SF MoMA en 2022) en conclusion de son texte, le livre adopte une structure singulière : « En contre-plongée, sur un plan horizontal, puis en plongée, le livre est donc sciemment organisé selon un mouvement de l’œil qui va du haut vers le bas. C’est là le sens de la chute qui anime toute chose lorsqu’elle n’est pas soustraite à la gravité régissant notre monde. Plus symboliquement, c’est aussi celui de la trajectoire de la lame de la guillotine. » Cette même guillotine qui au moment de l’abolition de l’esclavage a tranché le cou de nombreux aristocrates et autres antirévolutionnaires, sans pour autant trancher aussi net le cou de l’esclavage.

Gregory Halpern, Untitled, 2019, from Let the Sun Beheaded Be (Aperture/Fondation d’entreprise Hermès, 2020) © Gregory Halpern

 
Par Laurence Cornet
 
Laurence Cornet est directrice éditoriale de l’association Dysturb, journaliste spécialisée en photographie, et commissaire d’expositions indépendante, à Paris.

Gregory Halpern, Soleil Cou Coupé
Publié par Aperture
120 pages
37 euros

Version française:
https://www.henricartierbresson.org/publications/gregory-halpern-soleil-cou-coupe
 
Version anglaise:
https://aperture.org/books/coming-soon/gregory-halpern-let-the-sun-beheaded-be

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