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FLORE à la recherche du temps perdu

FLORE à la recherche du temps perdu

En attendant les réouvertures du Festival du Regard et de l’exposition du Prix Marc Ladreit de Lacharrière à l’Académie des beaux-arts, à Paris, le livre L’odeur de la nuit était celle du jasmin, publié aux éditions Maison CF et prix Nadar 2020, est une belle introduction à son œuvre. Bienvenue dans le monde enchanté de FLORE.

« Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre ce soit encore la rêver ». C’est par ces mots de Marcel Proust que s’ouvre le livre de FLORE intitulé L’odeur de la nuit était celle du jasmin. Le ton est donné et résonne comme une invitation au voyage, fil conducteur de son travail depuis une quinzaine d’années. Mais où et quand ? Dans la réalité, il s’agit du Vietnam et du Cambodge d’aujourd’hui ; sur les photographies, on explore l’Indochine des années 1930 de Marguerite Duras dont les écrits jalonnent le livre. L’Indochine, c’est aussi le pays où ont vécu les grands-parents de la photographe. Il n’y a pas de hasard. Même si FLORE ne qualifie pas son travail d’autobiographique, il est assurément un miroir d’elle-même. 

De la série « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » © FLORE

Son histoire personnelle et les événements marquants de son existence y jouent en effet un rôle déterminant. Après avoir exercé une dizaine d’années comme photographe de spectacle et portraitiste pour la presse nationale, en 2008 elle décide de se consacrer à ses travaux personnels. Une démarche enclenchée une douzaine d’années plus tôt suite au décès de compagnon. « La chambre noire a été mon refuge, le tirage un moyen d’exprimer les sentiments de perte, d’absence et de souffrance. On tire comme on est », analyse-t-elle. 

Depuis, nombre de ses séries racontent une part d’elle-même. Ainsi pour « Sabah el Nour », elle est retournée sur les terres de son enfance égyptienne tandis que pour « Maroc, un temps suspendu », elle est repartie à la découverte de ce pays qu’elle avait parcouru préadolescente pendant près d’un an avec sa mère et sa sœur au milieu des années 1970. Entre les deux, elle a travaillé sur une commande carte-blanche sur le camp de Rivesaltes pendant deux ans. « Je n’y ai pas cherché la mémoire familiale mais un point de vue plus général, une forme de vérité même si ma démarche n’est pas documentaire ». Elle précise quand même qu’elle est petite-fille de réfugiés espagnols. Chez FLORE, la grande et les petites histoires sont entremêlées. L’intime raconte l’universel. 

De la série « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » © FLORE
De la série « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » © FLORE

Autodidacte – son expérience de la chambre noire remonte à l’adolescence –, FLORE tire elle-même la plupart de ses photos. Chez elle, cela tient à fois de la dévotion et de la théorie : « Je crois au pouvoir du tirage et à sa capacité expressionniste, c’est-à-dire à communiquer sensations et émotions à celui qui regarde », explique-t-elle. Acharnée et perfectionniste, elle ne cesse d’expérimenter et choisit avec soin les papiers et les traitements : tirages teintés au thé – « mais pas n’importe quel thé » – et enduits de cire, tirages pigmentaires sur papier japonais, héliogravure, polaroids : « Ce sont des heures et des heures d’essais et d’hésitations avant le choix final », raconte-t-elle.

De la série « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » © FLORE

Le jeu en vaut la chandelle, autant pour les expositions que pour l’édition. La prise en main de L’odeur de la nuit était celle du jasmin paru aux éditions Maison CF en fait la démonstration. C’est à une expérience sensorielle, à la fois visuelle et tactile, que l’on est convié : couverture au touché velouté, format tout en hauteur rappelant un paravent chinois, reliure à la japonaise, au total 64 photographies entrecoupées d’aplats d’or « en référence aux chaussures de Marguerite Duras dans L’Amant ». Tout a été pensé dans les moindres détails : « Nous avons travaillé de concert avec Clémentine de la Féronnière, une galeriste et une éditrice très engagée », note-t-elle, se réjouissant d’avoir pu concrétiser ses envies. 

De la série « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » © FLORE
De la série « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » © FLORE

En perpétuelle renouvellement, son travail alterne le noir et blanc et la couleur. Cette dernière fait quelques rares incursions dans sa dernière série : « C’est une façon de créer une rupture temporelle et d’apporter de la vie », explique-t-elle. De même, après avoir longtemps utilisé le format carré « qui a fini par l’étouffer », en 2016, elle a opté pour le 6 x 7 qu’elle décrit comme « un rectangle trapu ». Autre évolution : longtemps de petites tailles, voire miniatures, ses tirages peuvent aujourd’hui atteindre les 100 x 100 cm ou 70 x 90 cm. Dans un cas comme dans l’autre, le but est d’inciter le spectateur à prendre le temps de regarder. 

De série en série, FLORE a tissé une œuvre singulière où les repères spatio-temporels sont brouillés. L’imbrication inextricable du passé et du présent d’une part, de l’ici et de l’ailleurs, d’autre part, sont signifiés par le grain et le flou, ou par des ambiances sombres et sans ombres, comme dans son dernier livre. Entre nostalgie et mélancolie, FLORE parvient à matérialiser les trésors impalpables et invisibles que sont les souvenirs et les émotions. Et de nous troubler. 

De la série « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » © FLORE
De la série « L’odeur de la nuit était celle du jasmin » © FLORE

Par Sophie Bernard

Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.


FLORE, L’odeur de la nuit était celle du jasmin,
Avec des écrits de Marguerite Duras
146 pages, éditions Maison CF, 45 €
Disponible ici. Et Prix Nadar 2020.

« Une certaine scène française : Juliette Agnel, Marco Barbon, Adrien Boyer, FLORE et Guillaume Zuili »
Galerie Clémentine de la Féronnière, [Côté cour]
51, rue Saint-Louis-en-l’Île, Paris 4, du 28 novembre 2020 au 30 janvier 2021.
www.galerieclementinedelaferonniere.fr


www.academiedesbeauxarts.fr (pour connaître les dates de réouvertures de l’exposition résultant du Prix de Photographie Marc Ladreit de Lacharrière en partenariat avec l’Académie des beaux-arts)

Festival du Regard, Voyages Extra-Ordinaires, Cergy Pontoise
Jusqu’au 31 janvier 2021.
www.festivalduregard.fr

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