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Douceur, mystère et cruauté au Singapore International Photo Festival

Douceur, mystère et cruauté au Singapore International Photo Festival

La 7ème édition du Singapore International Photo Festival tire profit du contexte si particulier, en proposant une programmation hors des sentiers battus et des talks en ligne accessibles à un large public. Et s’affirme comme une place forte et prescriptrice de la photographie en Asie du Sud-Est.

Departing and Arriving, c’est le thème covid-friendly du Singapore International Photo Festival (SIPF). Du 5 novembre au 30 janvier, la cité-état accueille plus de 150 photographes du monde entier, dans des institutions telles que l’ArtScience Museum, des lieux plus alternatifs tels que le DECK ou encore les stations de métro de la Downtown Line. 

« Malgré les challenges de cette année, nous espérons poursuivre notre rôle en tant que plateforme de premier plan pour découvrir, nourrir et propulser les photographes du Sud-Est Asiatique sur la scène internationale » affirme Gwen Lee, Directrice et co-fondatrice du SIPF. 

Parmi la centaine de photographes exposés, quatre artistes révèlent à Blind les histoires et les recherches identitaires et culturelles qui dominent leurs séries présentées au SIPF.

Maria Lax, Some Kind of Heavenly Fire (Finlande)

© Maria Lax

Dans la série « Some Kind of Heavenly Fire », la photographe Maria Lax, finlandaise basée à Londres, illustre les événements surnaturels de sa ville natale. « Je viens d’une petite ville du nord de la Finlande, entourée de terres sauvages et inhabitées. Pour la plupart des gens, c’est seulement un lieu de passage, or on ignore que c’était un haut lieu d’observation des ovnis dans les années 1960 » nous confie l’artiste. 

Un automne, elle mène l’enquête sur ces mystérieux faits divers. Elle interroge d’abord son grand-père qui, atteint de démence sénile, ne peut répondre à ses questions. Elle retrouve des témoins de l’époque : ils affirment avoir vu des lumières énigmatiques dans le ciel. Elle explore les archives de la ville, les coupures de presse, parcourt ses albums de famille. Et analyse que l’arrivée des ovnis coïncide avec une période sombre pour le nord de la Finlande, de chômage, de désertion des campagnes pour les villes.

© Maria Lax

Ses images ont un côté X-files version David Lynch. S’il s’agit de lieux familiers pour la jeune fille, elle leur donne volontairement une aura magique. Cette station-service par exemple, écumée lorsqu’elle était enfant, sur la banquette arrière de la voiture de ses parents, devient un endroit aussi magnétique qu’inquiétant. « Je voulais donner à cette image une lueur magique afin de partager ma nostalgie (…) c’est un cliché légèrement surréaliste, parce que j’aime immortaliser des endroits réels en leur donnant un air irréel ».

© Maria Lax

Anne Moffat, Forget me Not (Australie / Malaisie)

« Jia poh », c’est comme ça que la jeune photographe d’origine malaisienne Anne Moffat appelait sa grand-mère. Celle-ci est décédée en 2019, à l’âge de 90 ans, après cinq années de lutte contre la maladie d’Alzheimer. La série « Forget me Not » nous projette dans l’intimité de ses derniers moments de vie, et lui rend hommage.

© Anne Moffat

« Quand ma grand-mère a commencé à perdre la mémoire, ma mère lui a confectionné un carnet rempli d’images et de souvenirs écrits de leur vie ensemble (…) ces pages commémoratives dialoguent avec mes photos et donnent le contexte de la vie autrefois bien remplie et vibrante de ma grand-mère » nous explique l’artiste.

Fins de repas, jeux en famille, marques de tendresse, détails d’une chambre qui accueille les derniers rêves, les derniers souffles. Anne Moffat chronique jusqu’aux réveils de sa grand-mère, comme dans cette photo prise en avril 2019, trois mois avant son décès. « Ici, Jia poh se réveille d’une sieste dans l’après-midi. Les derniers mois de sa vie, sa mémoire et son attention semblaient plus claires le matin, alors que l’après-midi, elle était souvent perdue dans les profondeurs de son esprit. Elle a toujours aimé jardiner et les fleurs, j’aime comme ici les différents tissus fleuris l’enveloppent. »

© Anne Moffat

Kamonlak Sukchai, Red Lotus (Thaïlande)

© Kamonlak Sukchai

D’abord scénariste, Kamonlak Sukchai devient photographe lorsque son père lui offre un Pentax K1000. Elle se met alors à questionner la place de la femme en Thaïlande, souvent accablée par le poids de la religion et des traditions . Sa série « Red Lotus » (Kamonlak, son prénom, signifie « lotus » en thaï) revisite différentes mythologies autour d’une jeune fille.

« J’utilise les structures de contes folkloriques thaï qui m’intéressent depuis longtemps et j’en fais une nouvelle histoire (…) je veux montrer comment ces contes ont modelé et influencé notre société actuelle » nous apprend l’artiste. Elle-même se dit fondamentalement conditionnée par la pensée dominante. Id est comment être « une femme bien » aux yeux de la tradition thaï, particulièrement en ce qui concerne sa sexualité et sa féminité.

© Kamonlak Sukchai

Ses photo-collages saturés de couleurs et de références, révèlent sans ambiguïté l’oppression du corps de la femme par des entités religieuses. Un cliché notamment, représente un fruit éventré, encerclé de bijoux et tissus précieux entre les jambes écorchées de l’héroïne. 

Elle nous explique cette image puissante « Dans la pensée traditionnelle, les menstruations portent malheur et éliminent les pouvoirs magiques de l’homme. Dans la croyance animiste d’Asie du Sud-Est, la calebasse était un fruit sacré, à l’origine du monde »Elle affirme que plus tard, avec le Brahmanisme et le Bouddhisme, « ce fruit est interdit parce que lui aussi supprimerait les pouvoirs magiques de l’homme (…) de nos jours, les femmes n’ont toujours pas le droit d’entrer dans certains temples, même quand elles n’ont pas leurs règles»

© Kamonlak Sukchai

Nguan, Singapore (Singapour)

Trois silhouettes juvéniles émergent d’une mer placide. Enveloppées dans une atmosphère rose et bleu de fin de journée, elles lèvent la tête vers un avion qui quitte l’île. Pour le photographe singapourien Nguan, exposer ce cliché au SIPF en temps de pandémie, confinement et interdiction mondiale de voyager n’est pas anodin. 

© Nguan

« Je pense à cette image comme à un manifeste pro-mondialisation. Singapour étant une petite île avec peu de ressources naturelles, nous dépendons des interconnectivités, et nous avons tout à perdre si le reste du monde lui aussi devient insulaire » souligne-t-il.

Armé de son argentique des années 1990, il documente la douceur inattendue d’une cité-état, considérée comme ultra-capitaliste et autoritaire. Là où tout est censé être efficace et impeccable, il capte le relâchement, la poésie. 

© Nguan

De la série « Singapore »  émane une ambiance lascive et vaporeuse à la Sofia Coppola, dont il nous explique les ressorts. Il s’agit d’une « tentative de réinventer la ville comme un paysage onirique, en utilisant uniquement des méthodes documentaires. Je pense que la tension entre le royaume du vrai et celui du mensonge est le cœur de ce qui rend la photographie irrésistible.»

 Par Charlotte Jean

Singapore International Photo Festival
Jusqu’au 30 janvier 2021
https://sipf.sg/

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