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Révéler les vies et pratiques marginales de la diaspora africaine, autrement

Révéler les vies et pratiques marginales de la diaspora africaine, autrement

Articulée autour du travail de quatre photographes, l’exposition (Un)hidden présentée à la galerie Dominique Fiat, à Paris, esquisse les contours d’une résistance multiple.

Chantal Regnaut a documenté, à la fin des années 1980, la scène « ballroom » new-yorkaise et le voguing à son apogée. A travers une vingtaine d’images extraites de ses archives foisonnantes, elle met en lumière cette communauté souterraine vivant dans l’ombre du sida qui trouve dans la danse et la mode un échappatoire à la pauvreté. Son travail encore largement inconnu du grand public dévoile derrière le glamour apparent des paillettes une réalité plus sombre.

A la fois structure sociale, artistique et famille de substitution, la « ballroom » attire  des hommes et des femmes blessés par la vie, que l’Amérique en plein boom économique a laissé sur le bord de la route. La plupart, sans formation, en butte au racisme et à l’homophobie, trouve dans cette communauté queer alternative affranchie des normes du genre bien plus qu’un refuge. Dans ce contexte d’exclusion émerge le voguing. Souhaitant se détourner des codes caractéristiques des élites blanches, iels (écriture inclu) parodient la gestuelle des défilés ainsi que la pose des mannequins. Plus qu’une danse, le voguing se pense comme une forme d’exagération flamboyante des corps. La photographie selon Nicola Lo Calzo, commissaire de l’exposition, a « le pouvoir d’interroger la mémoire des corps subalternes, racisés, invisibilisés. Une mémoire absente des archives officielles qui s’incarne dans des pratiques vivantes ». Le corps s’envisage dès lors comme une archive légitime qu’il faut prendre en compte.

Tanqueray Ball (Aids Benefit), Sound Factory, 1990. © Chantal REGNAULT, Courtesy Chantal REGNAULT & Galerie Dominique Fiat

Rompant avec l’iconographie conventionnelle de Cuba, l’imposant triptyque aux couleurs éclatantes tiré de la série Regla (2015-2016) de Nicola Lo Calzo révèle une autre forme de contre culture propre aux communautés afro-cubaines marginalisées: descendants d’esclaves marrons, membres de sociétés secrètes, adeptes de pratiques vaudoues autant que de hip-hop. La série Binidittu explore l’histoire de Saint Benoit, fils d’esclaves africains et Saint patron de Palerme depuis 1601 dont la figure devenue subversive a sombré dans l’oubli avant de renaître comme un symbole d’intégration dans une Sicile en pleine crise identitaire. Effet miroir qui nous renvoie à une autre réalité, celle des migrants rejetés ou stigmatisés. 

Bindittu et Regla s’inscrivent dans l’enquête photographique au long cours sur la mémoire de la traite négrière et de l’esclavage menée depuis plus de dix ans par le photographe italien. Un projet qui trouve ses racines aussi bien dans l’activisme, le militantisme que dans la recherche ethnologique. Cette pratique hybride qui mélange photographie et recherche historique est fondamentale pour Nicola Lo Calzo: « Si l’on cherche à déconstruire certaines représentations, il est nécessaire de développer un regard critique loin de tout opportunisme », explique t-il. 

Omar, acteur Sénégalais et demandeur d’asile, lors d’un spectacle au Musée international de la marionnette à Palerme, Italie, 2018. © Nicola LO CALZO, Courtesy Nicola LO CALZO & Galerie Dominique Fiat

Ce même engagement sous-tend le travail de la photographe et activiste sud-africaine Sue Williamson. Dans la série The last supper, elle immortalise la dernière soirée d’une famille avant la démolition de leur maison située dans le district 6 du Cap. Aux début des années 1980, 60 000 habitants victimes de l’apartheid sont expulsés de leur logement pour permettre la construction de nouveaux quartiers réservés aux blancs. Sue Williamson, en photographiant les messages des proches sur les murs de la maison, préserve de l’oubli les fragments mémoriels d’une vie dérobée.

Last Supper at Manley Villa – Naz with wall messages, 1981. © Sue WILLIAMSON, Courtesy Sue WILLIAMSON & Galerie Dominique Fiat  

Entre résistance et utopie, les images de Rut Blees Luxemburg, artiste et maître de conférences en esthétique urbaine au Royal College of Art de Londres, questionnent à leur tour la place grandissante des intérêts économiques dans notre société. Sa récente série Eldorado Atlas témoigne des bouleversements immobiliers générés par le recherche effrénée du profit dans le quartier central de Old Street à Londres.

Golden Shutters, London, 2016 © Rut BLEES LUXEMBURG, Courtesy Rut BLEES LUXEMBURG & Galerie Dominique Fiat

Pertinente et engagée, la proposition curatoriale de (Un)hidden s’émancipe du discours dominant. Elle pose avec acuité la question du rôle de l’artiste dans la construction d’une archive alternative tout en cernant les nouveaux enjeux de la photographie documentaire. 

Par Cathy Rémy

Cathy Rémy est journaliste au Monde depuis 2008, où elle s’attache à faire découvrir le travail de jeunes photographes et artistes visuels émergents. Depuis 2011, elle collabore à Le Monde Hors Série, M Le MondeCamera et Aperture.

(UN)HIDDEN, Nicola Lo Calzo, Rut Blees Luxembourg, Chantal Regnault, Sue Williamson
13 janvier – 27 mars 2021
Galerie Dominique Fiat
16, rue des Coutures Saint-Gervais. 75003 Paris

http://dominiquefiat.com/

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