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John Myers, la magie de l'ordinaire

John Myers, la magie de l’ordinaire

De 1972 à 1988, le photographe anglais John Myers a réalisé un travail fascinant, prenant pour thèmes le quotidien, l’ennui et ce qui passe inaperçu. Ses images, tombées dans l’oubli avant une découverte fortuite en 2011, sont publiées dans un livre qui couvre pour la première fois toute son œuvre.
Poirier et urne, fonderie de Cradley, Quarry Bank, 1983 © John Myers

« A l’époque, malgré toute l’admiration que je portais à Ansel Adams et Edward Weston, ou encore aux scènes pastorales de Fay Godwin, il me semblait qu’ils photographiaient un autre monde », écrit John Myers dans son nouvel ouvrage, The Guide« Ce que je voyais, lorsque j’ouvrais la porte de chez moi, c’était du bitume, des maisons, un poteau télégraphique et un transformateur. »

C’est justement ce que l’on découvre dans The Guide – ainsi que des photographies d’amis, de voisins, de magasins, de routes, de jardins, de téléviseurs, sans compter un lit, la girafe d’un zoo local, puis un paysage industriel sur le déclin. Ce nouvel ouvrage, publié par RRB Photobooks, réunit des photographies réalisées en Angleterre dans les années 1970 et 1980, et se concentre sur l’ordinaire et l’ennui. La plupart des images ont été prises non loin de chez Myers, à Stourbridge dans les Midlands, où il enseigne alors les beaux-arts et la peinture. Né à Bradford, en 1944, Myers suit des études d’art au milieu des années 1960. Et en 1972, équipé d’un Gandolfi 4X5 posé sur un trépied et utilisé sous une étoffe, il réalise ses premières images.

Giraffe, 1972 © John Myers

Son travail est bientôt remarqué, exposé à la Serpentine Gallery, à Londres, en 1973 et couronné par le prix de la meilleure publication de l’Art Council en 1974. Mais dès lors, bien qu’il poursuive son travail photographique jusqu’en 1988, son travail tombe dans une sorte d’oubli, tandis qu’il se consacre à la peinture. En 2011, grâce au hasard d’une rencontre, il expose en solo à la galerie Ikon de Birmingham, ce qui relance ainsi sa carrière, avec sa participation à d’autres événements tels que la biennale Foto/Industria de 2017, organisée par l’ancien directeur des Rencontres d’Arles Francois Hébel. Des monographies et des catalogues d’exposition lui sont alors consacrés. The Guide est son dernier ouvrage et le premier à mélanger des images issues de ses différents travaux. Il dit en être heureux, dans la mesure où son travail n’est pas réduit aux téléviseurs, transformateurs ou bâtiments qu’il a photographiés. L’essentiel est ailleurs.

Télévision No 4, 1973 © John Myers

« J’ai pris toutes ces photographies à la même époque – les téléviseurs en 1974, ainsi que de nombreux portraits, les transformateurs en 1974, et le magasin d’ameublement date aussi de 1974 je crois, ou 1975 », explique John Myers. « En fait, j’ai réalisé des images de toute sorte entre les années 1970 et 1980, mais elles étaient difficiles à vendre, car les gens aiment mettre les artistes dans des cases en les associant à un type d’image. Les journalistes travaillent de cette façon. Le rédacteur en chef décide de faire un reportage sur la télévision dans les années 1970, et vous êtes dedans. Vous réalisez alors que vous êtes la personne qui a photographié des télévisions à cette époque. »

Comptoir de magasin, vue du client, 1981 © John Myers

L’approche de Myers va ainsi à l’encontre de l’exotisme, du remarquable, et n’a pas de dessein précis, comme il l’explique dans le texte passionnant qui accompagne les images de The Guide. Durant ses études d’art, il se lie avec le groupe Icteric, influencé par le dadaïsme, le surréalisme, et la critique de Guy Debord de la « société du spectacle ». Mais par ailleurs, si les photographies de Myers s’attachent à représenter le non spectaculaire, il n’a jamais délibérément cherché la banalité. « Il n’y avait pas de projet, pas de checklist, ni business plan, pas de soumission écrite à un organisme de financement, aucun résultat planifié », écrit-il, ajoutant qu’il a photographié le supermarché à côté de chez lui car il s’y rendait toutes les semaines, et que ses portraits montrent l’environnement de ses sujets car c’est « le fluide dans lequel ils évoluent ».

Jeune fille, 1973 © John Myers

En personnage atypique, John Myers méprise les artistes qui veulent se faire un nom pour « vendre », et se méfie des innombrables « pièges à clic » dans son domaine. Il en est de même pour les journalistes et de leur empressement à choisir un angle bien précis. C’est un empressement qu’il voit bien trop souvent en photographie, dit-il, dans le sens où les photographes sont interprétés. « La presse s’y prend toujours de la même manière, elle rend les événements respirables  – voir l’histoire tragique de ce bébé qui a récemment trouvé la mort [dans un accident de voiture au Royaume-Uni] : les journalistes ont commencé par interviewer les parents, puis reproduit leur photographie, et ensuite celle de l’enfant. Ils en ont fait un reportage. »

« Les médias exercent constamment cette sorte d’attraction magnétique, ils impulsent de l’oxygène dans le monde afin que nous occultions le quotidien », poursuit-il. « Mes photographies sont celles d’un monde sans oxygène. »

Portes levantes chez Waitrose, 1974 © John Myers

Myers aime à penser que ses images sont génériques. Lorsqu’il utilise des noms de lieux spécifiques, tels que « The Labour in Vain pub », ou encore « The Gardens road », c’est « uniquement à des fins de récupération négative », écrit-il dans The Guide. S’il a un attachement particulier pour la photographie intitulée Lift doors at Waitrose (1974), c’est parce qu’elle est « sans concession », dit-il – signifiant peut-être par là, qu’elle aurait pu être prise n’importe où et n’importe quand au cours des 50 dernières années. Il ne se préoccupe pas, écrit-il dans l’ouvrage, de « la dimension historique que d’autres cherchent à donner à leur travail, ou des détails excentriques d’une époque, sur lesquels le spectateur a tendance à poser son regard ». Ses images, ajoute-t-il, sont toujours une représentation du quotidien, à travers celle de bâtiments industriels toujours debouts, à Stourbridge, au Royaume-Uni, ou ailleurs.

Le lit, 1976 © John Myers
Monsieur Jackson, 1974 © John Myers

Il est difficile, en photographie, d’apprécier autre chose que des cas particuliers, surtout lorsque les images ont cinquante ans. De nombreux détails de celles de Myers semblent extraordinaires aux yeux du public aujourd’hui – chaussures à talons compensés, technologie dépassée, décors désuets qui attirent l’attention. Il y a quelques années, déplore John Myers, un magazine britannique a publié certains de ses portraits accompagnés d’un texte centré sur le style des années 1970. Lorsqu’il présente des photographies telles que The Labour in Vain (1975) ou The Bed (1976), à des conférences, les gens ne peuvent s’empêcher de commenter le papier peint chamarré et le dessus de lit démodé. « Ils ne s’intéressent qu’à l’aspect narratif de l’image », dit-il.

Peut-être John Myers est-il tout simplement décalé, « connecté d’une autre manière », dit-il en riant, et si c’est un problème, The Guide y apporte une réponse. Au quart du livre, il cite l’observation de la photographe américaine Eve Arnold : « Ce qu’il y a de plus difficile, c’est de faire de la banalité quelque chose d’extraordinaire ». « Je crois », écrit-il, « qu’Eve Arnold se trompe. Le plus difficile est de photographier le quotidien et de montrer à quel point il est ennuyeux. »

Par Diane Smyth

Diane Smyth est une journaliste basée à Londres. Elle travaille pour des photographes et des organes de presse tels que The GuardianFOAM ou encore le British Journal of Photography. Elle a été rédactrice au BJP durant 15 ans. Diane a également organisé des expositions pour The Photographers’ Gallery et Lianzhou Foto Festival. Son compte instagram: @dismy.

John Myers, The Guide, éditions RRB Photobooks, £35. En vente ici.

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