Blind Magazine : photography at first sight
Photography at first sight
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Edward Grazda : un journal d’Afghanistan avant l’intervention des États-Unis

Edward Grazda : un journal d’Afghanistan avant l’intervention des États-Unis

Durant plus de 20 ans, Edward Grazda a photographié l’Afghanistan, couvrant les débuts de la guerre soviéto-afghane, la montée des Talibans et leur contrôle du pays. Et ces images d’un pays en pleine mutation sont un reflet de l’Afghanistan d’aujourd’hui.
Mazar-i-Sarif, Afghanistan, 1997 © Edward Grazda

En avril dernier, Joe Biden a annoncé qu’il retirerait toutes les troupes américaines d’Afghanistan d’ici le 11 septembre, ce qui en ce mois d’août est en train de se concrétiser. Au cours de la semaine dernière, les Talibans ont commencé à déferler sur tout le pays, prenant d’assaut les capitales provinciales les unes après les autres, le président Ashraf Ghani a fui le pays, son gouvernement s’est effondré et les forces de sécurité afghanes se sont désintégrées alors que les Talibans pénétraient dans la capitale. En 20 ans de guerre, Biden est le 4e président américain en charge du conflit. Près de 2 400 militaires américains ont perdu la vie, plus de 20 000 ont été blessés, 35 000 à 40 000 civils ont été tués, et l’opération a coûté au total 2 milliards de dollars. Et tandis que la violence continue de régner dans le pays, l’intervention américaine et les dépenses qu’elle a occasionnées, au cours des années, font l’objet de maintes critiques.

L’histoire de l’Afghanistan est marquée par une succession de guerres et de présences étrangères dans le pays, d’Alexandre le Grand aux Britanniques, en passant par Gengis Khan et les Moghols. Ce n’est qu’en 1919 que l’Afghanistan devient un pays souverain et indépendant. Puis l’Union soviétique l’envahi à nouveau, il y a un peu plus de quarante ans, avant l’intervention des Etats-Unis en 2001. En 1978, le parti communiste afghan organise un coup d’État et prends le contrôle du pays. Le nouveau gouvernement adopte alors des politiques très impopulaires, occasionnant des conflits avec les moudjahidines, coalition de divers groupes d’opposants au régime. Les premiers affrontements se changent rapidement en une guerre ouverte dans une grande part du pays. Le gouvernement est ainsi soutenu par la Russie, mais après de nombreux assassinats politiques, des rumeurs courrent, selon lesquelles les dirigeants afghans vont changer de camp et solliciter l’aide des États-Unis. Le 24 décembre 1979, l’armée soviétique envahi le pays pour tenter d’écraser la rébellion et de mettre en place, à la suite d’un coup d’état, un gouvernement plus stable et fidèle à Moscou.

Corps de presse à Tora Bora, Afghanistan, décembre 2001 © Edward Grazda
Troupes alliées du Nord à Tora Bora, Afghanistan, décembre 2001 © Edward Grazda

C’est à l’aube de cette guerre soviéto-afghane que le photographe Edward Grazda débute son travail en Afghanistan. En 1980, lors d’un voyage en Asie, Grazda se rend dans les zones frontalières entre l’Afghanistan et le Pakistan, afin de photographier les réfugiés qui entrent dans ce pays pour échapper à l’invasion soviétique. C’est la première série d’images que va réaliser Grazda en Afghanistan.

« En 1982, j’ai suivi des moudjahidines à travers le pays, des gens formidables qui voulaient être photographiés pour montrer leur combat contre les Russes. Les Afghans adoraient les photos. » Et heureusement pour Grazda, l’occupation russe ne fait pas obstacle à son travail. « À l’exception d’un raid aérien, je n’ai eu aucun problème avec les Russes. »

Nouveaux réfugiés afghans, Bajaur, Pakistan, 1980 © Edward Grazda
Moudjahidines, Logar, Afghanistan, 1982 © Edward Grazda

Grazda est né à Flushing, dans le Queens, l’un des 5 boroughs de New York, et a été initié à la photographie par sa famille – notamment son père, qui avait réalisé des photos amateur en Inde et en Chine durant la Seconde Guerre mondiale. Dans sa jeunesse new-yorkaise, Grazda continue de se familiariser avec la photographie en fréquentant les musées. « Lorsque j’étais au lycée, j’ai découvert Walker Evans au MoMA, ainsi que les autres photographes missionnés par la Farm Security Administration. »  Grazda fait ensuite des études de photographie à la Rhode Island School of Design, et obtient son diplôme en 1969. Avant de réaliser son travail en Afghanistan, Grazda connaît la prospérité grâce au photojournalisme et au voyage, illustrant tour à tour la vie dans le quartier du Bowery, à New York, la scène folk américaine du milieu des années 1960, et de se rendre au Pérou et en Amérique latine.

Après presque dix ans d’affrontements en Afghanistan et la mort d’environ 15 000 soldats, l’Union soviétique se retire du pays, et le 15 février 1989, les derniers soldats et chars russes font leur retour sur le territoire. Mais le conflit n’est pas fini pour autant. Les moudjahidines s’efforcent de renverser le régime, soutenu par la Russie, et finalement, en mars 1992, le président de l’époque, Mohammad Najibullah accepte de démissionner pour faire place à un gouvernement de coalition nationale. Mais le manque de cohésion de cette coalition empêche la formation du nouveau gouvernement, ce qui déclenche une guerre civile. Dans l’intervalle, les pays étrangers qui ont apporté leur soutien aux forces moudjahidines dans leur combat contre la Russie délaissent le pays, dont les infrastructures sont détruites et les populations dans une situation désespérée. C’est alors qu’a lieu la montée des Talibans, l’un des divers groupes impliqués dans les combats. Fondamentalistes radicaux dans leur interprétation de la charia islamique, ils promettent d’apporter la stabilité au pays et prennent finalement le contrôle de la majeure partie de l’Afghanistan en 1996.

Terri Mangel, Pakistan, 1983 © Edward Grazda
Logar, Afghanistan, 1982 © Edward Grazda

« Au Pakistan, en 1997, j’ai demandé un visa aux Talibans. Il m’a été accordé pour deux semaines. La photographie d’êtres vivants venait d’être déclarée illégale, mais j’ai pu travailler. C’était beaucoup plus difficile lorsque j’y suis retourné en 2000. »

Nombreuses sont les choses interdites par le régime des Talibans, notamment la télévision, les films, la musique, ainsi que toute représentation visuelle d’êtres vivants, notamment les humains. Les femmes sont exclues des écoles, contraintes à porter la burka dans la rue et à être accompagnées par un parent masculin. Les Talibans détruisent également des trésors de la culture afghane, jugés contraires aux préceptes islamiques.

L’invasion américaine de 2001 détermine la chute du régime des Talibans. En 2004, Edward Grazda entreprend son dernier voyage en Afghanistan. « Les Afghans sont un peuple merveilleux, et en 2001, tout le monde aimait les Américains. Mais ils ont fait une grande erreur, comme au Vietnam. A partir de 2002, l’implication des Etats-Unis n’a profité qu’aux entrepreneurs et aux fabricants d’armes. Cela n’a rien à voir avec une lutte pour en finir avec le ‘terrorisme’. »

Moudjahidines, prières de l’après-midi, Pakistan, 1982 © Edward Grazda
Femme mendiant, Kaboul, 1997 © Edward Grazda
Moudjahidines à Wageeza, Afghanistan, 1983 © Edward Grazda

Tandis que les Etats-Unis retirent en ce moment leurs forces, les Talibans gagnent à nouveau du terrain et sont même en train de reprendre le contrôle de l’Afghanistan, qu’ils avaient perdu au cours des 20 années de présence américaine.

Le travail d’Edward Grazda sur la guerre soviéto-afghane, illustrant la montée et la domination des Talibans, présente une vision de l’Afghanistan à une époque qui a eu un impact majeur sur le monde d’aujourd’hui et lui fait miroir. Ces photographies ne sont pas une prédiction de l’avenir, mais montre ce qui pourrait arriver si le monde n’apprenait pas du passé.

Les photographies de Grazda prises en Afghanistan ont été publiées dans deux livres, Afghanistan 1980 – 1989 (1990), et Afghanistan Diary 1992-2000 (2000). En septembre, PowerHouse Books publiera Asia Calling: A Photographer’s Notebook 1980 – 1997. Ce livre récapitule le travail d’Edward Grazda en Asie à cette période, alors que le continent est en pleine mutation. L’ouvrage comprend des photographies réalisées à Hong Kong, en Thaïlande, en Birmanie, au Vietnam, au Laos, en Inde, en Chine, au Pakistan et en Afghanistan.

Robert E. Gerhardt, Jr.

Robert Gerhardt est un photographe et journaliste qui vit à New York. Ses photos et ses écrits ont été publiés dans The Hong Kong Free Press, The Guardian, The New York Times et The Diplomat.

Taliban à Jadi Maiwand, Kaboul, Afghanistan, 1997 © Edward Grazda

Ne manquez pas les dernières actualités photographiques, inscrivez-vous à la newsletter de Blind.