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Paul Graham, le monde tel qu’il est

Paul Graham, le monde tel qu’il est

Réédition de Beyond Caring, où Paul Graham, sans effet dramatique, partage la solitude et le désarroi des chômeurs dans l’Angleterre de Margaret Thatcher.
Beyond Caring © Paul Graham

Beyond Caring n’est pas un livre distrayant que l’on feuillette en s’empiffrant de cacahuètes à l’heure de l’apéritif. C’est un livre qui vous absorbe et vous met face à Paul Graham et à son sujet, le chômage et les centres de protection sociale britanniques en 1984-1985. Pas très gai ? Là n’est pas la question, la photographie, surtout au début des années 1980, n’avait pas encore vocation à être muséale et contemplative, encore moins à stimuler le marché de l’art ou à égayer les salons des résidences secondaires. On pourrait dire, mais ce n’est pas un dogme, que ses vertus utilitaires paraissaient plus essentielles que ses atouts plastiques.

À cet égard, ce reportage de Paul Graham, alors « jeune et naïf » (il est né en 1956 en Angleterre), il ajoute même « idéaliste », fit un certain bruit, d’autant qu’étant lui-même dans la dèche à cette époque, il fréquentait en personne ces huis clos sociaux. D’où sa légitimité. Ce qui déplut fortement à certains de ses pairs, c’est son utilisation de la couleur, jugée presque indécente, un tel sujet devant, d’après eux, se traiter en noir & blanc, façon W. Eugene Smith (1918-1978), le maître des ombres dramatiques. La solitude, la misère, la détresse, pourquoi pas, mais pas en couleur : rires ! C’est vrai que les salles d’attente des services sociaux n’ont jamais fait la Une des magazines de déco : trop glauques et bien peu romanesques. Mais les chômeurs sont-ils pour autant des bêtes curieuses ?

Beyond Caring © Paul Graham
Beyond Caring © Paul Graham
Beyond Caring © Paul Graham

« Mon intention était de prendre les thèmes les plus éculés du photojournalisme et de les faire entrer à coups de pied et de larmes dans une nouvelle ère photographique. Aller jusqu’au cœur épuisé des choses et lui redonner vie ». Un pari ambitieux, né d’une commande de The Photographers’ Gallery, à Londres, pour laquelle Paul Graham se déplace à Manchester, Liverpool, Birmingham, Bristol et Londres. Partout, les conséquences impitoyables de la politique de Margaret Thatcher, première ministre du Royaume-Uni (1979-1990) : une tristesse insondable sous les néons, les sols couverts de cigarettes, de gobelets en plastique vides et de papiers, les murs dégradés, les chômeurs écroulés sur des bancs rouges, serrés comme des sardines, ivres de fatigue, les mains dans les poches, les regards fixes, en manque d’oxygène, comme les rares plantes vertes. Et, en filigrane, la sensation d’un exercice d’humiliation, d’une mise à nu dans un temps où le futur n’existe plus. On se croirait dans une nouvelle de Philip K. Dick : bienvenue dans l’enfer ordinaire.

Dans sa postface à cette nouvelle édition, Paul Graham (qui vit à New York depuis 2002) retrace les années 1980 en Grande-Bretagne, et les travailleurs devenus des « jetons de poker dans un jeu stratégique ». Il explique aussi qu’il n’a pas demandé son autorisation à chaque photographié, mission impossible, mais que ce type de photographie, « directement d’après nature », retrace le monde tel qu’il est et non « tel qu’il devrait être ». Merci, Paul Graham.

Par Brigitte Ollier

Brigitte Ollier est une journaliste basée à Paris. Elle a travaillé durant plus de 30 ans au journal Libération, où elle a créé la rubrique « Photographie », et elle a écrit plusieurs livres sur quelques photographes mémorables.

Beyond Caring de Paul Graham, Mack, 84 pp., 50€. Textes de Steven Cooper, Anne Hollows et Paul Graham. 

Cliquez ici pour en savoir plus sur Paul Graham.

Beyond Caring © Paul Graham
Beyond Caring © Paul Graham
Beyond Caring © Paul Graham

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