Blind Magazine : photography at first sight
Photography at first sight
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Jeanette Spicer et le regard lesbien

Jeanette Spicer et le regard lesbien

La dernière série de la photographe, intitulée « What It Means to Be Here » (Ce que cela signifie d’être ici) explore des questions de société telles que l’hétéronormativité, la performance des sexes et les perceptions de la nudité à travers des images intimistes.
The Church, 2021 © Jeanette Spicer

Avec ses images pleines de poésie, Jeanette Spicer rend l’idée de se faire photographier nue non seulement acceptable, mais aussi intrigante. « Pour moi, les vêtements sont très distrayants », explique-t-elle en évoquant son travail. « Je suis fascinée par la façon dont les autres photographes s’en accommodent. » Pour la photographe américaine, la nudité est ainsi un vecteur sur une toile vierge – une occasion de partir de zéro avec ses modèles et de laisser la lumière faire son œuvre. À l’instar des artistes qui se concentrent sur le portrait, elle ajoute qu’elle ne regarde pas vraiment la personne elle-même lorsqu’elle la photographie, mais que son corps est « un outil de travail ». Et pour être sur un pied d’égalité, elle est elle-même souvent nue. Ce qui en dit long sur son accessibilité.

Jeanette Spicer débute la photographie à huit ou neuf ans. « Je faisais beaucoup de sport quand j’étais petite, toujours en extérieur », se souvient-elle. En pleine nature ou après les matchs du week-end, elle convainc ses amis de se laissser prendre en photo. Tirer le portrait de ses proches l’intéresse alors tout particulièrement. Ce lien entre le cercle familial et l’art ne l’a jamais quittée. « Je m’intéresse à notre proximité avec notre entourage », explique-t-elle. « Quand je travaille, c’est une autre forme d’intimité. Je vois les gens complètement différemment. » Elle compare cette expérience à celle d’un frère, d’une sœur ou d’un ami qui se produit sur scène, et détaille comment ce processus engendre un espace vulnérable qui autorise des images singulières.

At Keren’s, 2021 © Jeanette Spicer
Gunnison, 2021 © Jeanette Spicer
S in CT, 2021 © Jeanette Spicer

Sa dernière œuvre, « What It Means to Be Here », qui rappelle la célèbre série de nus de l’Anglais Bill Brandt, est l’occasion pour elle de jouer avec la forme humaine à travers une série de photographies mettant en scène des femmes les unes avec les autres, et d’explorer le rapport à leur corps. Une façon de créer une intimité à travers les ombres et les silhouettes qui hypnotise le spectateur ; spectateur qui se retrouve à confondre forme humaine et géométrie.

Pour cette série, elle inclut également des vidéos, pensées comme des images animées mises en résonance avec ses photographies. De la drague juvénile des bonnes joues de Repetition aux ombres et scintillements de l’urine de Liquid, “What It Means to Be Here” est une version photo des idées de la théoricienne du genre Judith Butler (qui démonte avec brio une société ayant arbitrairement fait du genre et de la sexualité une performance). « Je suis préoccupée par le manque de visibilité des lesbiennes », poursuit Jeanette Spicer en expliquant ses motivations et pourquoi elle a aussi posé pour cette série. « Je suis prête à me servir de moi-même pour faire évoluer les mentalités. Je veux que les gens s’interrogent. »

None of your fucking business, 2021 © Jeanette Spicer
Lyndsay upstate, 2021 © Jeanette Spicer
The Quotidian, 2021 © Jeanette Spicer

Mission accomplie. Jeanette Spicer examine la représentation en mettant en avant un regard auquel elle n’est pas souvent confrontée : le regard lesbien. En tant qu’homosexuelle, il lui est inhérent et coïncide avec sa vision du monde. Ces photographies sont donc l’occasion de mettre le spectateur au défi d’analyser ses postulats en matière de sexualité et de performance. « Il y a une richesse dans la façon dont on peut subvertir l’hétéronormativité », dit-elle à propos de la façon dont elles repoussent l’hypothèse hétérosexuelle des autres, ancrée dans la société. Pour elle, c’est une forme de résistance.

Par Abigail Glasgow

Abigail Glasgow est une journaliste basée à New York, aux États-Unis, qui s’intéresse aux groupes et aux individus marginalisés par nos sociétés.

Jo Pulls Down The Curtain, 2021 © Jeanette Spicer
D and S, 2020 © Jeanette Spicer
Three, 2020 © Jeanette Spicer

Ne manquez pas les dernières actualités photographiques, inscrivez-vous à la newsletter de Blind.