La photographe sud-africaine Lebohang Kganye s’est vu décerner en mai dernier le Grand Prix Images Vevey 2021/2022 pour son projet intitulé « Staging Memories », qui s’inscrit dans la série In Search of Memory débutée en 2020. Un prix qui rend hommage à l’inventivité visuelle du projet, sa fidélité aux événements historiques et l’audace de sa conception. Il fait écho à la nouvelle de science-fiction Ta O’Reva de l’auteure malawite Muthi Nhlema, publiée en 2015, et qui imagine la résurrection de Nelson Mandela dans le futur post-apocalyptique d’une Afrique du Sud détruite par les tensions raciales et la xénophobie.
Pour la prochaine édition du festival Images Vevey, en septembre 2022, Lebohang Kganye présentera ce projet constitué d’une grande installation tridimensionnelle, faisant dialoguer la photographie avec le théâtre et la musique. Mêlant plusieurs genres, notamment la photographie, le collage, l’installation et la scénographie, « Staging Memories » interroge ce que l’artiste décrit comme « le besoin humain de conserver le souvenir des récits que l’on partage, et de relever les contradictions et fictions que l’on y trouve ». S’appuyant sur des photographies d’archives, principalement des albums de famille, Lebohang Kganye explore la manière dont l’expérience personnelle, intime, s’entrecroise avec les réalités sociales au sens large.
En chemin vers l’inconnu
Lebohang Khanye est née en Afrique du Sud, en 1990, l’année où Mandela a été enfin libéré, après avoir purgé une peine de près de 30 ans pour avoir combattu l’apartheid. En 2009, elle s’initie à la photographie en fréquentant le célèbre Market Photo Workshop de Johannesburg, et obtient un diplôme du département des beaux-arts de l’université de Johannesburg en 2014. Elle poursuit actuellement sa maîtrise en art à l’université de Witwatersrand.
Comme celle de ses compatriotes William Kentridge, David Goldblatt, Sam Nhlengethwa et Zanele Muholi, la pratique photographique de Lebohang Kganye est profondément influencée par les problèmes sociaux de son pays. Mélange magnifique d’éléments fantastiques, personnels et politiques, son travail embrasse la complexité de l’afrofuturisme, et imagine le ou les futurs possibles pour les Noirs, ouvrant ainsi une fenêtre sur des mondes inconnus.
« Je vois l’Afrique du Sud comme un creuset de tensions raciales, dues aux nombreux problèmes passés qui n’ont pas été résolus. La plupart des gens pensent avoir tourné la page mais en réalité, ces problèmes couvent encore sous la surface pour de nombreux Sud-Africains », écrit Muhti Nhlema sur le blog Africa In Words, à propos de ce qui lui a inspiré le roman Ta O’Reva.
C’est une vérité que Lebohang Kganye appréhende et développe dans son travail, utilisant la mémoire collective pour construire un espace ouvert sur de nombreuses perspectives. Enraciné dans la réalité post-apartheid, « Staging Memories » va au delà du périmètre de la vie en Afrique du Sud en examinant les façons dont l’histoire est à la fois locale et universelle. Comme l’a noté le jury du prix : « Compétente et courageuse, Lebohang Kganye nous offre l’opportunité de penser autrement le monde : comme ludique et sombre à la fois, facile d’approche et semé d’embûches, plein de tristesse en même temps que d’un indomptable espoir. »
Par Miss Rosen
Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment Time, Vogue, Aperture, et Vice.
Plus d’informations sur Lebohang Kganye, et Grand Prix Images Vevey 2021/2022.
