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Albert Watson, audace et création

Albert Watson, audace et création

L’Ecossais Albert Watson publie Creating Photographs (Créer des photographies), chez Laurence King, un ouvrage qui dispense ses conseils en photographie de mode et en portrait.
Andy Warhol, Glasses, 1985 © Albert Watson

À l’aube de son 80e anniversaire, l’Écossais Albert Watson est devenu l’un des plus grands photographes de notre temps. Avec plus de 100 couvertures pour le magazine Vogue, 40 pour Rolling Stone et une centaine de pochettes d’albums pour Michael Jackson, Diana Ross, Sade, Aaliyah et Jay-Z, il est considéré, aux côtés d’Irving Penn et de Richard Avedon, comme l’un des artistes dont les images ont façonné notre façon de voir le monde.

Depuis la publication de la photo iconique d’Alfred Hitchcock tenant une oie cuite par le cou en couverture de Harper’s Bazaar à Noël 1973, Albert Watson semble ainsi incontournable. Clichés de mode, de célébrités, de portraits, de publicité, de paysages, de natures mortes, il semble aussi à l’aise pour photographier la reine Elizabeth II que Tupac Shakur.

Alfred Hitchcock, Los Angeles, 1973 © Albert Watson

Avec la publication de Creating Photographs, Albert Watson propose un guide abordable et accessible des secrets de sa carrière de photographe. Comprendre: « Soyez audacieux »« Capturez la géographie du visage »« Cherchez la beauté et le charisme des objets » et « Entourez-vous des bonnes personnes ».

Le livre s’ouvre avec un chapitre intitulé « Tirer les leçons du voyage », Watson revient sur un demi-siècle passé derrière l’objectif. « Je n’essayais pas d’être photographe, j’avais donc beaucoup à découvrir. Je devais apprendre la technique de la même manière que l’on apprend à conduire une voiture », révèle-t-il. En se formant sur le tas, il a découvert seul comment tout fonctionnait, pourquoi une image est bonne ou mauvaise, et comment l’améliorer en combinant technique et créativité.

Divine, New York City, 1978 © Albert Watson

Hasard et volonté

Albert Watson est un maître de la forme qui n’ignore pas qu’une image naît avant même qu’il se saisisse de son appareil. Parmi les leçons transmises dans Creating Photographs, il explique que la photographie, c’est « 80 % de créativité, 20 % de technique » – leçon apprise en étudiant la conception graphique au Duncan of Jordanstone College of Art and Design à Dundee, en Ecosse. Le secret d’une grande œuvre, c’est qu’elle est toujours en germe dans une idée. Mais les meilleures idées ne sont-elles pas flexibles? Elles s’adaptent au sujet, de sorte que la photographie devient une expérience collaborative, apprend t-on.

« Parfois, on a de la chance », explique Albert Watson, qui raconte comment il avait installé des miroirs dans son studio pour photographier Jack Nicholson. « J’avais l’idée de huit ou dix Jack Nicholson dans l’appareil photo en même temps, chacun sous un angle légèrement différent. Lorsque Jack est arrivé, il fumait un cigare. Il m’a demandé : “Voulez-vous que je m’en débarrasse ?” J’ai répondu : “Non, vous pouvez continuer à fumer.” Puis il m’a soudain dit : “Je peux faire des ronds de fumée.” » Une histoire qui illustre à merveille cette citation du philosophe romain Sénèque : « La chance n’est que la conjonction de la volonté et de circonstances favorables. »

Christy Turlington, New York City, 1990 © Albert Watson

Penser sur pieds

On dit que les images emblématiques sont souvent étonnamment simples, mais extrêmement précises. Elles deviennent indélébiles, inoubliables et profondes, capturant l’essence même du moment. Dans un chapitre intitulé « Look for Memorability » (« Rechercher la mémorabilité »), Albert Watson confesse que le secret d’une grande photographie réside dans l’empreinte qu’elle va laisser. Comme sa photographie intitulée Mick Jagger in Car with Leopard, Los Angeles, 1992 (Mick Jagger en voiture avec un léopard), qui est un pur moment de danger et de glamour, à doses égales.

Mick Jagger in Car with Leopard, Los Angeles, 1992 © Albert Watson

« Aujourd’hui, on ferait simplement une photo du léopard dans la Corvette, puis une de Mick Jagger, ensuite on les assemblerait. A l’époque, on les faisait en une seule prise. C’était une prise de vue délicate. Le léopard était dangereux, Mick Jagger nerveux, à juste titre », se souvient Albert Watson. Pour résoudre le problème, il fait installer une cloison en plexiglas entre eux, sachant qu’elle serait invisible dans la pliure, lorsque l’image s’étalerait en double page du magazine.

En attendant que la cloison soit prête, Watson a alors un éclair de génie, et suggère de réaliser une double exposition du visage de Jagger et de la tête du léopard. « J’ai failli ne pas développer la pellicule parce que je jouais vraiment la montre », explique-t-il. « Mais il s’est avéré que quatre cadrages correspondaient parfaitement. Aujourd’hui, c’est le genre de chose que l’on peut faire grâce à l’informatique, mais il serait assez difficile d’obtenir une telle intensité. »

Une philosophie de la créativité

Gabrielle Reece in Vivienne Westwood, Paris, 1989 © Albert Watson

Pour Albert Watson, l’une des choses les plus importantes qu’un photographe puisse faire est de « trouver l’inspiration » dans le monde de l’art. « On tente sans cesse de sortir des sentiers battus. Et même si l’on n’y parvient pas toujours, c’est une philosophie de la créativité », dit-il. Les livres et les musées sont ainsi des sources inépuisables d’idées et de moyens novateurs pour exprimer les mystères de notre existence.

En 2013, Albert Watson passe six semaines sur l’île de Skye, au nord-ouest de Écosse, à immortaliser des paysages, des images aussi apaisantes que majestueuses qui révèlent la grandeur et le mystère de ses terres. « L’île de Skye est un endroit spectaculaire et les photographes sont parfois coupables de laisser le paysage dominer l’image. En d’autres termes, ils succombent au spectaculaire. Je voulais faire en sorte que l’ambiance devienne la caractéristique dominante du cliché. Je me suis intéressé à la manière dont je pouvais photographier une simple colline et la transformer en œuvre d’art », explique Albert Watson.

Tree in Mist, Fairy Glen, Isle of Skye, Scotland, 2013 © Albert Watson

En repensant à Game of Thrones et au Seigneur des anneaux, Watson s’est aussi imprégné de peintures gothiques victoriennes d’artistes anglais et allemands, ainsi que de paysages de l’impressionniste français Edgar Degas. « Lorsque vous mélangez toutes ces idées, cela vous oblige à penser différemment », dit-il.

À vous de jouer

Conscient que la plupart des gens ne peuvent pas se permettre de dépenser plus de 2000 dollars pour son livre Kaos (publié par Taschen), une édition limitée Baby Sumo à 1000 exemplaires, présentée dans un coffret en fausse fourrure de chimpanzé, Albert Watson a édité Creating Photographs, pour toucher un public plus large et lui proposer les outils nécessaires pour tracer son propre chemin photographique.

Waris Dirie, Ouarzazate, Morocco, 1993 © Albert Watson

Finalement, une grande image, n’est-elle pas comme une symphonie dans un cadre unique, le don d’un virtuose qui équilibrerait la technique et l’innovation sans jamais surjouer. « La plupart du temps, les photographes se focalisent sur leur matériel et sur la lumière. C’est une évidence. Mais comment faire pour prendre une photo dont on se souviendra, une image forte ? » s’interroge Albert Watson. « Il ne suffit pas d’attendre d’être touché par la grâce pour que l’idée surgisse. Il faut être prêt à mouiller sa chemise. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment TimeVogueAperture, et Vice.

Créer des photographies, publié par Laurence King, $19.99.

Kate Moss, Marrakech, Morocco, 1993 © Albert Watson
Mike Tyson, Catskills, New York, 1986 © Albert Watson

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