Fin juillet, le navire “Ocean Viking” a porté secours à plus de 200 migrants en Méditerranée au large de la Libye. À chaque fois les mêmes images. L’œil s’est habitué à voir ces enfants sortis de l’eau, entourés d’un gilet de sauvetage orange trop grand pour eux, de ces embarcations de fortunes, de ces cadavres flottants ou échoués sur le sable. Dans A Dream of Europe, Jacob Ehrbahn raconte en images ces chemins de croix, pour ne pas oublier. Le photographe danois, deux fois World Press et nommé pour la seconde fois cette année photographe de l’année dans son pays natal, a suivi entre 2015 et 2020 cet itinéraire de l’espoir, au jour le jour. Un quotidien où chaque heure est une survie. Ces hommes, femmes, enfants « en chute libre », qui cherchent à atteindre un rêve. Un rêve d’Europe. Parfois mirage.
Un visage sur les chiffres
Cette quête est un sacrifice. « Beaucoup de gens avec qui j’ai discuté ont abandonné l’espoir d’avoir une belle vie pour eux-mêmes. Mais ils sont prêts à traverser le feu et l’eau pour que leurs enfants en aient une », raconte le photographe dans son livre. Dans l’enfer des camps de réfugiés de Lesbos, en Grèce, où l’insalubrité et l’insécurité ont suivi ces familles qui tentent de leur échapper, Jacob Ehrbahn photographie la survie, met des visages sur les chiffres et les statistiques. Remet l’humain au centre de ce drame mondial, montre les rêves d’enfants effacés, comme ceux de ce jeune garçon assis sur une balançoire de fortune, le regard perdu, éteint.
Exode biblique
Jacob Ehrbahn a vu les larmes de joie des réfugiés arrivés sur les berges des îles grecques, feu de Bengale à la main, le corps arnaché d’un gilet de sauvetage dérisoire. Il photographie aussi ces centaines de silhouettes, entassées sur des radeaux pneumatiques pliés en deux. Ces corps sans vie, qui flottent entre les débris d’embarcation et les gilets de sauvetage. Dans le travail du Danois, l’objectif est au plus près. Les scènes de vie, tout en mouvement, sont composées parfois comme un tableau. Comme la photo de ce nouveau-né, porté à bout de bras, comme une seconde naissance. Ziad, 3 mois, vient de débarquer sur Lesbos, après avoir quitté la Syrie avec sa mère. Images quasi bibliques de l’exode. Les organismes sont meurtris, lacérés par ces mois de fuite vers les Balkans où il faut se cacher dans les champs, sous les sièges des trains, se glisser entre les barbelés. Jacob Ehrbahn a suivi cette route de la mort et de l’espoir.
Un rêve d’Europe parti en fumée
Parfois l’objectif quitte les visages, prend du recul et dresse une fresque des amas de gilets de sauvetage, devenus de nouvelles collines oranges. Ces tentes entassées sous les ponts, sur les berges parisiennes. Les abris en cartons. La menace du Covid. Il y a les rangées de forces de l’ordre, les affrontements, les jets de pierres contre les boucliers et les matraques. Les visages de l’abattement, du désespoir. La souffrance se lit dans les yeux. Dans ceux de cette jeune fille enroulée dans une couverture de survie. Le regard abîmé, dans cette robe d’argent, les yeux sévères, fatigués. Dans ces planches contact de la souffrance humaine, Jacob Ehrbahn montre aussi l’aide des ONG comme Médecins sans frontières, des plus anonymes, des volontaires, des locaux… Mais le livre se termine par l’incendie du camp grec de Moria en septembre 2020 où 12 000 réfugiés vivaient dans des conditions terribles. Comme un rêve d’Europe parti en fumée, comme une vie détruite qu’il faut reconstruire, encore, de nouveau sur les routes.
Par Michaël Naulin
Michaël Naulin est journaliste. Passé par les rédactions de presse régionale et nationale, il est avant tout passionné de photographie et plus particulièrement de photoreportage.
A Dream of Europe, Dewi Lewis Publishing, 296 pages, 164 images couleurs et 4 noir et blanc, 295mm x 295mm, 47,95€.
