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Mike Mandel remixe les photographies d'Ansel Adams

Mike Mandel remixe les photographies d’Ansel Adams

Pour ce livre, Zone Eleven, Mike Mandel a exhumé 75 images pratiquement inconnues qui redéfinissent ce que l’on attend d’une photographie signée « Ansel Adams ».
California Memorial Stadium, Université de Californie, Berkeley, 1966. Sweeney/Rubin Ansel Adams Fiat Lux Collection, Musée de la Photographie de Californie, Université de Californie, Riverside
© Regents of the University of California

En 1975, le vent du changement commence à souffler sur le monde de la photographie. L’illusion, autrefois inspirée des idéaux occidentaux d’« objectivité », s’effrite. Le modernisme ayant poussé les éléments formels de l’art jusqu’à une logique de fin, sont dans une impasse.

Une nouvelle génération d’artistes postmodernes arrive ainsi à maturité pendant la Pictures Generation. Elle s’approprie l’art conceptuel pour simultanément explorer et critiquer le paysage des idées et identités visuelles. Le photographe et artiste américain Mike Mandel, alors âgé de 25 ans, est à l’avant-garde de cette nouvelle ère, et a déjà réalisé une série de projets dont People in Cars (1970), Myself : Timed Exposures (1971) et Seven Never Before Published Portraits of Edward Weston (1974), avant de se lancer dans Baseball-Photographer Trading Cards (1975).

Modèle multi-paramétrique, Hastings Field Station, Carmel Valley, Californie, 1966.
Sweeney/Rubin Ansel Adams Fiat Lux Collection, California Museum of Photography, University de Californie, Riverside
© Regents of the University of California

Un demi-siècle avant que les réseaux sociaux n’inventent les influenceurs, Mandel comprends que les photographes sont en train de devenir d’authentiques stars. Il imagine des cartes à collectionner, support très prisé des amateurs en herbe ou confirmés, pour vénérer ces nouveaux dieux du panthéon de la culture pop. Parmi les 134 photographes de la série figurent Joel MeyerowitzLeonard FreedEd Ruscha et Imogen Cunningham. Mais pour se lancer, Mandel a besoin d’une figure iconique, qui légitimerait le projet. Il contacte donc Ansel Adams, alors le plus grand nom de la photographie.

Semer les graines

Centre de relocalisation de guerre de Manzanar depuis la tour de contrôle, Centre de relocalisation de guerre de Manzanar, Californie, 1943. Bibliothèque du Congrès, division des tirages et des photographies, Ansel Adams, photographe

Tout au long de sa carrière, Ansel Adams (1902-1984) a porté la photographie vers de nouveaux sommets. Devenu écologiste, il fait de son travail un plaidoyer en faveur de la protection et de la conservation de notre planète bien avant que les mots « changement climatique » n’envahissent le paysage. Grâce à trois bourses Guggenheim, Adams contribua à la création du premier département de photographie artistique au San Francisco Art Institute, il fut l’un des fondateurs du magazine Aperture, et créa le Zone System avec Fred Archer, une technique d’étalonnage en dix zones permettant d’optimiser l’exposition et le développement des films noir et blanc.

En 1975, Ansel Adams et Mike Mandel assistent tous deux à la conférence nationale de la Society for Photographic Education au Asilomar Conference Grounds, à Pacific Grove, en Californie. Ansel Adams, alors âgé de 73 ans, annonce qu’il a fait don de ses archives au Center for Creative Photography, qui ouvrira plus tard cette même année à l’université d’Arizona à Tucson.

Des oiseaux sur un fil électrique, soirée, Centre de relocalisation de guerre de Manzanar, Californie, 1943. Bibliothèque du Congrès, division des tirages et des photographies, Ansel Adams, photographe

Mandel dresse l’oreille. Des archives, dites-vous ? C’est justement l’idée qui a intrigué le jeune artiste, qui travaille alors avec le photographe Larry Sultan sur Evidence, un recueil d’images insolites provenant de collections d’entreprises et gouvernementales qu’ils publieront en 1977. Près d’un demi-siècle plus tard, Mandel a décidé qu’il était temps de se plonger dans les archives et de voir ce qu’il allait y découvrir.

Le remix

Sous le titre impertinent de Zone Eleven, Mike Mandel nous propose un nouveau livre fascinant qui rassemble une sélection de 75 images pratiquement inconnues, sorties de l’œuvre prolifique d’Ansel Adams, nous invitant à reconsidérer ce que nous attendons d’une photographie signée de lui. Sélectionnés parmi 50 000 images conservées dans quatre archives différentes, ces clichés nous rappellent que, à l’instar d’un iceberg, la plus grande partie de l’écrin d’un artiste reste invisible.

Miss Barbara August à la clinique Langley Porter, Université de Californie, San Francisco, 1964. Sweeney/Rubin Ansel Adams Fiat Lux Collection, Musée de la Photographie de Californie, Université de Californie, Riverside © Regents of the University of California

« Plutôt que de se concentrer sur les paysages majestueux d’Adams, connus dans le monde entier, Mandel a décidé d’explorer un aspect relativement inconnu de sa production, à savoir les images qu’il réalisait pour le compte de tiers. Comme la plupart des photographes, Adams a exercé divers types d’emplois pour payer les factures ; ce n’est que tard qu’il a pu gagner sa vie principalement grâce à la vente de tirages et à l’édition », écrit dans le livre Erin O’Toole, conservateur associé de la photographie au SFMOMA. « Mandel était intrigué par les photos que la plupart des spectateurs n’identifieraient pas comme ayant été réalisées par Ansel Adams. Zone Eleven… est un clin d’œil humoristique doublé d’un hommage. Alors que le Zone System utilise une échelle de zéro à dix, Mandel suggère que ce projet va en quelque sorte au-delà de ce qu’Adams a cherché à mesurer. »

Memento Mori

Les feuilles qui brûlent, aube d’automne, Centre de relocalisation de guerre de Manzanar, Californie 1943 (détail). Bibliothèque du Congrès, division des tirages et des photographies, Ansel Adams, photographe

Zone Eleven frise le surréalisme sans trop en faire. Le choix des images de Mandel révèle l’optimisme naïf du modernisme à ses débuts, qui apparaît aujourd’hui comme onirique et bizarre lorsqu’on le compare à ses conséquences. Ces images où l’on voit des Américains d’origine japonaise internés dans le camp de concentration de Manzanar pendant la Seconde Guerre mondiale, chacun est un peu trop bien mis après avoir perdu sa maison, son gagne-pain et sa liberté.

Les scènes se déroulent dans des stades, des laboratoires, des observatoires, des centres commerciaux, des universités, des chantiers navals et des théâtres. Peu de photos d’individus, puis de très nombreuses images de foules. Tas d’ananas, masses de gravats, maisons en ruines et autres machines. Il y règne une atmosphère étrange, à l’image d’un épisode de La Quatrième Dimension, avant que Rod Serling nous explique l’intrigue. Tel un memento mori, Zone Eleven est une promesse à double tranchant. Si le modernisme avait une devise, ce pourrait être « après moi le déluge ».

Par Miss Rosen

Miss Rosen est auteur. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment TimeVogueArtsyApertureDazed et Vice.

Zone Eleven est publié par Damiani, 50€ / 55$.

Mer de Visages, Jour de la Charte, Théâtre grec, Université de Californie, Berkeley, 1964 (détail). Sweeney/Rubin Ansel Adams Fiat Lux Collection, Musée de la Photographie de Californie, Université de Californie, Riverside © Regents of the University of California
Les nouveaux arrivants, Université de Californie, Berkeley, 1966. Sweeney/Rubin Ansel Adams Fiat Lux Collection, Musée de la Photographie de Californie, Université de Californie, Riverside
© Regents of the University of California
C.T. Hibino, artiste, Manzanar War Relocation Center, California, 1943. Bibliothèque du Congrès, division des tirages et des photographies, Ansel Adams, photographe
La bobine magnétique d’ALICE, et Charles C. Damm, physicien, Lawrence Livermore National Laboratory, 1966. Sweeney/Rubin Ansel Adams Fiat Lux Collection, Musée de la Photographie de Californie, Université de Californie, Riverside © Regents of the University of California

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