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A la redécouverte de photos historiques du Black Panther Party

Jeffrey Henson Scales dévoile des images inédites du mouvement Black Power dans l’Oakland des années 1960, disparues depuis près d’un demi-siècle.

George Gaines (Baby D), Capitaine du Black Panther Party de la branche du Comté Marin, prend la parole à l’United Front Against Fascism (UFAF), une conférence anti-fasciste organisée par le Black Panther Party se tenant à Oakland, CA, du 18 au 21 juillet 1969. De “The Lost Negatives,” photographies de Jeffrey Henson Scales © Jeffrey Henson Scales

Le photographe afro-américain Jeffrey Henson Scales – qui a grandi dans la légendaire région de la baie de San Francisco, en Californie dans les années 1960 – était aux premières loges pour assister à la naissance du phénomène hippie dans le quartier de Haight-Ashbury et à celui du Black Power à Oakland. Au cours d’années aussi cruciales que fondatrices, Jeffrey Henson Scales a constitué une fabuleuse collection d’images, dont la grande majorité avait disparu.

« J’étais convaincu qu’elles avaient été volées par le FBI », explique-t-il. « À l’époque, c’était une hypothèse plausible, car ma famille était surveillée. Je croyais que c’étaient des agents du FBI – ils semblaient tout droit sortis de Matrix. En planque dans leurs voitures banalisées garées devant notre maison, ils nous filmaient. »

Sécurité du Parti Panther devant le palais de justice du comté d’Alameda, Oakland CA, septembre 1968. De “The Lost Negatives,” photographies by Jeffrey Henson Scales
© Jeffrey Henson Scales

En 2018, ces photographies ont enfin refait surface. Après le décès de la mère de Scales, en rangeant la maison, son beau-père et son frère aîné sont tombés sur une quarantaine de bobines oubliées dans un vieux classeur. De cette extraordinaire trouvaille, Scales a exhumé ses premières œuvres réalisées dans la Californie des années 1960, dont quinze bobines datant de son passage chez les Black Panthers.

L’exposition et le livre à paraître, In a Time of Panthers : The Lost Negatives, rassemblent des images prises entre 1967 et 1971, vision juste des efforts déployés pour lutter contre les violences policières, les inégalités et injustices raciales, et les horreurs engendrées par le capitalisme – problèmes auxquels la nation reste confrontée aujourd’hui.

Soul on Ice (Le titre d’un livre de Cleaver…)

Eldridge Cleaver prend la parole à un rassemblement à Berkeley, CA 1968. De “The Lost Negatives,” photographies de Jeffrey Henson Scales © Jeffrey Henson Scales

Jeffrey Henson Scales se met à la photographie à l’âge de 11 ans, lorsque son père, Emmet Scales Jr, lui offre son premier appareil. Passionné de photographie, le paternel a conservé une chambre noire chez lui et il a fait cadeau à ses fils d’une caisse contenant tous les numéros du magazine LIFE de 1936 à 1963. En feuilletant les pages surdimensionnées, le jeune Jeffrey Scales s’imprègne des travaux de Margaret Bourke-White, de Gordon Parks et de W. Eugene Smith.

En 1963, la famille quitte Haight-Ashbury pour s’installer dans une magnifique maison sur les collines de Berkeley. Artistes et militants, les parents de Scales faisaient partie intégrante de la scène locale. Son père, Emmet, ingénieur du son, gardait un magnétophone dans le coffre de sa Chrysler 300 rouge pour enregistrer les musiciens locaux, tandis que sa mère, Barbara, peintre et cinéaste, emmenait Jeffrey à ses cours d’art à l’université de Californie-Berkeley.

Des Black Panthers avec des affiches du ministre de la Défense du Black Panther Party, Huey P. Newton, se rassemblent devant le palais de justice du comté d’Alameda, à Oakland CA, pendant le procès de Newton, en septembre 1968. De “The Lost Negatives,” photographies by Jeffrey Henson Scales © Jeffrey Henson Scales

Emmet et Barbara ont aussi initié leurs enfants aux luttes politiques de l’époque, les amenant avec eux aux manifestations contre la ségrégation dans les hôtels de San Francisco. Mais l’éveil politique de Jeffrey Scales a lieu en 1967. Bien qu’il ait été qualifié d’Été de l’Amour à San Francisco, dans tout le pays, il est plus connu comme un « été long et chaud ». Jeffrey rend visite à des proches dans le Midwest, en passant par Minneapolis, Des Moines, Chicago et Detroit, où il est témoin de l’explosion des soulèvements et des troubles. « Je n’avais jamais connu cela », raconte-t-il. « J’ai grandi dans la soie à Berkeley Hills, ce qui m’a poussé à m’engager davantage dans des causes militantes comme les Black Panthers, qui faisaient parler d’eux à Oakland. »

Saisir le bon moment

Au milieu des années 1960, le père de Jeffrey prend fait et cause pour le nouveau parti, Black Panthers Party (BPP). Cofondé par les étudiants Huey P. Newton et Bobby Seale en octobre 1966, le BPP imagine des patrouilles de citoyens armés afin de prévenir les brutalités policières à Oakland. Fort de ses juristes, le BPP se bat pour les droits constitutionnels, établissant un réseau national de chapitres afin d’instituer leur programme en dix points, qui réclame liberté, emploi, logement, éducation, exemption militaire, justice et paix.

Bobby Seale, président du Black Panther Party, s’exprimant lors d’un rassemblement de Free Huey au Defermery Park, à Oakland, en 1968. De “The Lost Negatives,” photographies de Jeffrey Henson Scales © Jeffrey Henson Scales

« Je me souviens de la première fois où je suis allé au bureau du Party », raconte Jeffrey Scales. Eldridge Cleaver est entré et Bobby Seale lui a dit : « Voici Jeffrey Scales. Il va prendre des photos de nous. » Eldridge a dit : « Tu es un parent d’Emmet Scales ? » J’ai répondu : « Oui, c’est mon père. » Il a dit : « Vous avez toujours cette grande maison à Berkeley Hills ? » J’ai répondu : « Oui, toujours. » Il m’a demandé : « Vous allez organiser une fête pour la sortie de mon livre ? » J’ai répondu : « Je vais demander à mon père », et la fête a bien eu lieu.

Le BPP n’a pas seulement armé ses membres, il leur a donné du pouvoir en proclamant « All Power to All the People » (« Tout le pouvoir au peuple »), une leçon que Scales a apprise à travers ses photographies. « Il se passait tous les jours quelque chose et j’essayais de m’incruster pour travailler dans un journal, alors ils m’ont en quelque sorte adopté », raconte Jeffrey, qui a commencé à photographier le BPP à l’âge de 13 ans.

Un avant-goût du pouvoir

Spectateurs et membres du Black Panther Party lors d’un rassemblement de Free Huey au Defermery Park, Oakland Ca., 1968, de “The Lost Negatives,” photographies de Jeffrey Henson Scales
© Jeffrey Henson Scales

En grandissant dans ces dernières années 1960, à une époque où les forces émancipatrices et antimilitaristes de la contre-culture transformaient le paysage social américain, Jeffrey Henson Scales s’inspire de Bobby Seale, Eldridge Cleaver et Emory Douglas. « Quand on a 14 ans, les choses sont cool – ou pas », observe succinctement Scales.

« C’était une époque extrêmement intense. Être des Panthers était grisant, et ils m’ont permis d’en être. J’étais avec des gens cool, et quand vous êtes ado, cela fait invariablement partie de l’équation. J’ai photographié les rassemblements, le procès de Huey Newton, les manifestations, les émeutes. Tout était nouveau, mais j’avais la tête pleine de l’histoire de la photographie documentaire. »

Les Black Panthers lors d’un rassemblement “Free Huey” au parc Defermery, 1968, de, “The Lost Negatives,” photographies de Jeffrey Henson Scales
© Jeffrey Henson Scales

Outre le magazine LIFE, Scales a disséqué le livre de John SzarkowskiThe Photographer’s Eye (1966), alors qu’il étudiait avec le photographe Bill Dane au lycée. Il fait ses débuts sur la scène nationale en publiant ses images du BPP dans le magazine Time à 14 ans. Le photographe du BPP, Stephen Shames, a pris Scales sous son aile, lui apprenant à développer et lui donnant accès à la chambre noire. « Je le suivais partout », se souvient Scales. « Sur certaines photos de son livre, je me tiens près de lui. Il m’a énormément appris, tout comme Pirkle Jones, qui immortalisait aussi les Panthers. »

Tout le pouvoir au peuple

Le directeur du FBI, J. Edgar Hoover, déclara que le Black Panther Party était la « plus grande menace pour la sécurité intérieure des États-Unis ». Sous sa direction, le FBI mit en place COINTELPRO (1956-1971), un programme contre-révolutionnaire qui employait des moyens illégaux pour surveiller, infiltrer, discréditer, perturber et « neutraliser » ceux qu’il jugeait subversifs, notamment le BPP, les Young Lords et l’American Indian Movement.

Chicago, Eté 1967. Instamatic négatif Kodak de, “The Lost Negatives.” © Jeffrey Henson Scales

Parmi les personnes visées figuraient Martin Luther King JrMalcolm XMuhammad Ali et James Baldwin, ainsi que les membres du BPP, Huey P. NewtonStokely Carmichael, H. Rap Brown, Ericka Huggins et Eldridge Cleaver. Le FBI conspirait alors avec les services de police locaux pour menacer, agresser et tuer les dissidents jusqu’à ce que le COINTELPRO prenne fin en avril 1971. Mais à ce moment-là, le mal était fait, et d’innombrables existences détruites à jamais.

En 1968, le Black Panther Paper publiait l’œuvre de Scales – un graffiti en l’honneur de Bobby Hutton, victime d’un guet-apens fatal tendu par des policiers d’Oakland le 6 avril – deux jours seulement après l’assassinat de Martin Luther King Jr. Cleaver, qui était avec Hutton au moment de sa mort, a rapporté que la police l’avait arrosé de balles, l’atteignant douze fois alors qu’il se rendait, les mains en l’air. « Ce qu’ils ont fait s’appelle un assassinat », déclarait Cleaver à Henry Louis Gates lors d’un entretien en 2011.

Photographie de Bobby Seale par Jeffrey Henson Scales utilisée dans un collage sur la couverture du Black Panther Paper, conçu par Emory Douglas, ministre de la Culture du BPP, et directeur artistique du journal du parti. © Jeffrey Henson Scales

À 14 ans, Scales a peint dans la rue un hommage à Bobby Hutton sur un bâtiment. « Emory Douglas, directeur artistique des Panthers, l’a mis en couverture de l’édition du 6 avril du journal. Ils l’ont publié sur une double page intérieure avec cette légende : ‘Cette fresque a été réalisée par Jeffrey Scales, artiste révolutionnaire de 14 ans’ », se souvient-il. « Ce fut une expérience longue et passionnante. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est auteur. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment TimeVogueArtsyApertureDazed et Vice.

Jeffrey Henson Scales : In a Time of Panthers : The Lost Negatives, une exposition à la galerie Claire Oliver à New York jusqu’au 29 octobre 2022. A Time of Panthers sera publié par SPQR Editions au printemps 2022.

Stokely Carmichael, alias Kwame Ture, faisant la queue devant le palais de justice du comté d’Alameda pour assister au procès de Huey P. Newton, le ministre de la Défense du Black Panther Party, qui était alors jugé pour le meurtre d’un policier d’Oakland. Extrait de “The Lost Negatives”, photographies de Jeffrey Henson Scales © Jeffrey Henson Scales
Huey P. Newton, ministre de la Défense du Black Panther Party, s’adressant aux médias à sa sortie de prison le 5 août 1970, dans les bureaux de son avocat, Charles R. Garry. Extrait de “The Lost Negatives”, photographies de Jeffrey Henson Scales © Jeffrey Henson Scales

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