La photographe Nadine Ijewere a grandi à Londres, dans le quartier de Peckham. Jeune, elle ne l’apprécie pas vraiment, elle cherche même à la fuir à tout prix. Elle se répète : « J’ai hâte de sortir d’ici. » On parle ici des années 1990, quand Peckham n’était pas encore tendance mais seulement un quartier populaire où les Londoniens de vieille souche se mélangent avec des personnes originaires du monde entier (Bangladesh, Caraïbes, Inde etc…) « Peckham à l’époque », écrit l’auteure Lynette Nylander qui interviewe Nadine Ijewere au début de sa monographie, « stimulait tous mes sens. Les couleurs, les sons, les salons de coiffure me viennent à l’esprit (…) Peckham reste une démonstration resplendissante d’une certaine fierté noire. » Ijewere est aujourd’hui d’accord avec l’auteure, elle l’aime ce quartier, elle a le sourire quand elle pense à ses oncles qui venaient du Nigéria ou du Ghana, avec leur style et leurs vêtements. Dans les images d’Ijewere, on ressent pleinement l’influence de Peckham, assure Nylander.
La première photo qu’Ijewere prend est celle d’un radiateur à l’école, elle s’en souvient encore : « Nous apprenions la profondeur de champ et j’avais acheté cet appareil photo dans un vide-grenier à Canterbury. C’était un vieil appareil photo, un 35 mm. Un Zénith. Un appareil russe, fabriqué en URSS, que j’avais obtenu avec quelques objectifs pour quinze ou vingt livres. » Depuis, sa passion pour la photographie n’a jamais cessé de croître. Elle adore alors feuilleter les magazines de mode que sa mère possède et elle remarque qu’aucune des femmes photographiées ne ressemble à elle ou ses amies. C’est de ce manque et de ses complexes personnels que Nadine Ijewere tire son inspiration, sa force pour créer ses photos de mode dynamiques, vivantes, pleines de vie. Loin des stéréotypes. « J’aime la sensation de mouvement dans les images pour qu’elles ne soient pas tout à fait statiques. Parfois, certaines personnes sont en quelque sorte coupées ou leur corps entier n’est pas dans le cadre. Cela ne me dérange pas parce que c’est l’énergie que j’aime. »
Pour celle qui a déjà photographié pour Dior, Hermès, Nina Ricci, Valentino, Vogue,The Wall Street Journal et Garage Magazine, qui a présenté ses travaux dans plusieurs exposition et festivals et a été la première femme noire à réaliser un shooting pour la couverture de Vogue en 2018, sortir cette première monographie est essentielle. « Ce livre est un aperçu de mon parcours jusqu’à présent. » Présente sur les réseaux sociaux, Ijewere préfère tout de même se tenir à distance du système de « like », elle photographie d’abord pour elle et non pour les autres. Elle photographie pour exprimer ses idées. Traverser son livre, c’est comme lire une histoire avec des personnages sortis de son imagination. On est au-delà de la mode. La photographie d’Ijwere raconte ses origines, ses identités, l’histoire de sa génération et des précédentes. Ijewere redonne surtout de la couleur, du mouvement et de la profondeur là où il en manquait tant.
Par Sabyl Ghoussoub
Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.
Our Own Selves, Nadine Ijewere, texte écrit par Lynette Nylander, Prestel Publishing, 160 illustrations en couleur, 192 pages, 47,05€.
