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A la rencontre du peuple américain

A la rencontre du peuple américain

En août 2015, après dix années passées aux États-Unis, j’ai reçu un email de mon avocat me demandant si j’étais prête à déposer une demande de citoyenneté américaine. J’ai soudain réalisé que je ne le savais pas moi-même.
© Myriam Abdelaziz I Institute

Prête à devenir une citoyenne américaine : qu’est-ce que cela signifiait ? Est-ce que c’était ce que j’étais désormais : une Américaine en puissance ? Ayant vécu à New York pendant une décennie, j’étais prête à être qualifiée de New-Yorkaise. Mais Américaine ? Ce n’était pas aussi clair. J’ai pris le temps d’y réfléchir, me demandant si j’allais m’intégrer, si c’était là où était mon cœur.

Je suis née en Égypte, j’ai grandi en Suisse et j’ai passé la plus grande partie de ma vie en France. En raison de mes origines multiculturelles, je me suis toujours sentie comme une paria. En Égypte, je n’étais pas une vraie Égyptienne parce que j’avais vécu trop longtemps hors du pays et que j’étais perçue comme « souillée ». En France, j’étais trop brune pour être considérée comme Française au sang bleu. Nulle part je ne me sentais pleinement intégrée et acceptée.

© Myriam Abdelaziz I Institute

Je ne voulais plus être une étrangère. J’aspirais à me retrouver dans un endroit où je me sentirais chez moi, et être « étrangère » en possession d’une carte verte ne comblait pas mes aspirations.

Un an plus tard, j’avais encore des doutes. J’ai alors décidé de prendre la route pour voir le reste du pays, pour aller à la rencontre du « Peuple américain ». Je voulais découvrir qui étaient les Américains et ce que cela signifiait d’être Américain. J’ai parcouru 16 000 km en trois mois, photographiant les personnes rencontrées au hasard de mon voyage.

Partout, j’ai été très bien accueillie et les gens étaient toujours prêts à m’aider dans mon projet, me suggérant tel ou tel itinéraire, m’offrant l’hospitalité ou me mettant en contact avec des personnes susceptibles de m’aider à poursuivre mon périple. Mes doutes quant à ma capacité à m’intégrer en tant qu’Américaine se sont vite dissipés et mon sentiment d’appartenance s’est affirmé.

© Myriam Abdelaziz I Institute
© Myriam Abdelaziz I Institute

Il s’agit en quelque sorte d’un catalogue d’Américains de tous horizons, milieux, âges, sexes, ethnies, religions, classes sociales, appartenances politiques et orientations sexuelles. Je les ai photographiés tels qu’ils sont, en essayant de les comprendre, de les voir comme un tout, en les rassemblant au lieu de les séparer et de les étiqueter, afin que le spectateur perçoive cette diversité. J’ai voulu montrer une communauté complexe, pleine de contradictions, au lieu de mettre en évidence des individualités, ce qui n’aurait fait qu’accentuer la division sociale.

Bien que mes images soient consacrées à la multiplicité de l’identité américaine, j’ai décidé de préserver l’anonymat des personnes, à la fois pour respecter leur vie privée et, surtout, pour les protéger de la catégorisation que peuvent engendrer noms et prénoms. Également pour souligner leur statut de représentants de l’histoire américaine – plutôt que de les faire apparaître comme une collection décousue de biographies individuelles.

© Myriam Abdelaziz I Institute
© Myriam Abdelaziz I Institute

En prenant ces photos tout au long de mon voyage, mes doutes quant à mon intégration en tant qu’Américaine se sont estompés. Au fil des jours, j’ai senti grandir en moi un sentiment d’appartenance plus profond. J’étais dans un pays où si vous n’êtes pas un Amérindien, vous êtes un immigrant. J’étais liée à un lieu où la plupart des habitants étaient venus d’ailleurs à la recherche d’une vie meilleure. Et c’est à cet héritage multiculturel que je pouvais m’identifier. Malgré les problématiques d’un système fondé sur le capitalisme, je voulais faire partie de la force et de la résilience communes que je voyais chez les personnes rencontrées. À mes yeux, ils représentaient l’idée que le peuple américain se fait de son identité, et c’est cette prise de conscience qui m’a encouragée à devenir officiellement citoyenne américaine.

Un mois après mon retour de ce périple, Donald Trump était élu président des États-Unis, laissant le monde surpris par le choix des Américains : Qui avait voté pour lui ? Que signifiait ce vote ? Qu’allait-il se passer maintenant ?

© Myriam Abdelaziz I Institute
© Myriam Abdelaziz I Institute
© Myriam Abdelaziz I Institute

Pendant l’ère Trump, qui a commencé avec le « Muslim Ban », (restrictions de voyager aux Etats-Unis pour les citoyens de Syrie, Irak, Iran, Lybie, Somalie, Soudan, Yémen) j’ai eu le sentiment que les idéaux américains que j’avais si soigneusement examinés et chéris avaient été trahis par mon gouvernement. Pour la première fois de ma vie, je voyais les gens profondément divisés par des lignes politiques et raciales. Afin de mieux comprendre comment nous, les Américains, pouvions être si semblables et pourtant si différents, j’ai décidé de continuer à photographier le pays pour rencontrer encore plus de monde.

Afin d’éviter toute discrimination, même involontaire, relative à des patronymes ou à des citations, les portraits sont anonymes et non localisés. J’invite le spectateur à se faire sa propre vision d’une communauté aussi complexe que diversifiée.

Par Myriam Abdelaziz

Myriam Abdelaziz, photographe franco-américaine, est née au Caire, en Égypte. Diplômée de l’International Center of Photography en 2006, elle vit à New York.

We the people, de Myriam Abdelaziz, est publié chez Jet Age Books.

© Myriam Abdelaziz I Institute
© Myriam Abdelaziz I Institute

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