Ils semblent morts, jonchés sur un sol en béton armé, derrière d’épais barreaux. Une dizaine de tigres croupissent dans une cage exiguë. Ils attendent leur tour. Qu’on vienne les chercher pour les faire poser à côté de touristes qui payent une poignée de dollars pour une photo souvenir avec le fauve. Savent-ils, ces touristes, que ces animaux périclitent dans des prisons lugubres ? Savent-ils que leurs pattes ne foulent plus jamais l’herbe luxuriante d’une jungle, mais l’âpreté d’un bitume sur lequel ils tentent tant bien que mal de dormir, passer le temps, oublier peut-être leurs conditions de bêtes captives ? Ces tigres pris en photographie par Kirsten Luce dans un zoo en Thaïlande illustrent la tragique réalité d’un commerce qui fait fi du bien-être animal, qui n’hésite pas à maltraiter une faune magnifique pour un triste profit.
Dauphins
La photographe ne s’est pas contentée d’en faire le constat. Elle parvient à dévoiler toute l’absurdité de cette pratique et nous montre combien l’être humain peut, après avoir mis à mal l’animal, le ridiculiser, lui enlever sa dignité. C’est par exemple le cas d’un spectacle qui a lieu en Russie au cours duquel le dresseur Grant Ibragimov exhibe un immense ours brun dans un tutu violet. La beauté et la force intrinsèque de la bête se désintègrent sous le pathétique de la situation et l’ensemble donne envie de pleurer tout en se demandant comment, dans notre siècle, de telles inepties sont encore possibles. Un peu plus loin, toujours en Russie, Kirsten Luce découvre combien les animaux marins tels que les dauphins sont parfois maltraités, certains ne survivant pas plus de quelques mois dans les parcs aquatiques et aussitôt remplacés illégalement par les propriétaires.
Joie noire
Ce voyage en enfer ne s’arrête pas là. Car c’est surtout l’aveuglement des touristes amateurs de ce type de spectacle qui frappe et que la photographe parvient à saisir. Ces groupes de personnes qui n’hésitent pas à se faire prendre en photo devant un animal blessé et qui semblent n’avoir que faire de sa santé. On voit leurs visages remplis d’une joie noire, contents de pouvoir faire un selfie à côté d’une bête extraordinaire sans se demander comment elle va. Devant le reportage de Kirsten Luce, on se dit que l’intention est peut-être louable : voir des animaux rares de près, mettre en avant leur beauté. Mais on se dit que la méthode est déplorable et qu’elle contribue à l’assassinat de la faune sauvage.
Par Jean-Baptiste Gauvin
Kirsten Luce, “La face cachée du toursime de la faune”
Du 31 août au 15 septembre 2019
Église des Dominicains, 6 Rue François Rabelais, 66000 Perpignan