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Le Gourmet et le Grotesque

Le Gourmet et le Grotesque

Feast for the Eyes – The Story of Food in Photography retrace la riche histoire de la photographie culinaire à travers des œuvres marquantes. Les commissaires Susan Bright et Denise Wolff analysent la manière dont les artistes utilisent la nourriture comme vecteur d’exploration des émotions, afin d’exprimer ce à quoi l’on aspire et de confronter les constructions sociales.
The Faro Caudill Family Eating Dinner in Their Dugout, Pie Town, New Mexico, 1940 © Russell Lee

Cette exposition de groupe à la Photographer’s Gallery à Londres montre bien plus que de la nourriture. Elle rassemble des travaux d’artistes aussi variés que Nobuyoshi Araki, Nan Goldin, Martin Parr, Man Ray, Cindy Sherman, Wolfgang Tillmans ou Weegee. Chacun d’eux exploite les différents aspects de la photographie culinaire pour illustrer des thèmes plus vastes, et leurs œuvres révèlent une anxiété profonde quant à la richesse, la pauvreté, la consommation, la tradition, le désir, la répulsion et la vie domestique.

Divisée en trois parties, « Nature morte », « Autour de la table » et « Jouer avec la nourriture », Feast for the Eyes – The Story of Food in Photography approfondit l’histoire visuelle et sociale de la photographie culinaire. Chaque partie présente un aspect différent de ce genre, en examinant son évolution, de la peinture à l’expérimentation, ainsi que les contextes artistiques, sociaux et politiques qui l’ont inspiré.

Nature morte

Lorsqu’on pense à la photographie culinaire, la première chose qui vient à l’esprit est peut-être la nature morte sous la forme d’images immobiles. Susan Bright et Denise Wolff sont remontées aux sources (notamment dans la peinture) de ce genre fondateur, mais pérenne. La technologie évoluant, nous en sommes au stade des images culinaires postées sur les réseaux sociaux. Photographier et partager des images de nos dîners est devenu partie intégrante de notre expérience culinaire. On prend des photos de ce que l’on mange pour signifier son statut, exacerbant ainsi le sentiment d’appartenance en même temps que de différence.


Pineapple and Shadow, 2011 © Daniel Gordon

Sur sa nouvelle plate-forme en ligne, Sharon Core combine la photographie culinaire telle qu’elle était à ses débuts à la peinture, en prenant des clichés d’images de nourriture trouvées sur Internet. « Son travail consiste en des photographies de photographies de tableaux, explique la conservatrice S. Bright dans la visite de l’exposition qu’elle organise, c’est une réflexion sur la reproduction et la manière dont nous consommons les images et l’art. »

Autour de la table

Cette partie, centrée sur le comportement des gens lorsqu’ils se rassemblent autour d’une table, explore la culture et l’identité, et utilise des matériaux tels que la série de livres de cuisine Foods of the World publiée par Time Life. « Les livres de cuisine reflètent très bien les coutumes, explique D. Wolff. La plupart du temps, c’est un mode de vie  qu’ils expriment, ce qui signifie à la fois nos aspirations et la manière dont nous nous voyons. »

Dans cette partie, D. Wolff et S. Bright ont rassemblé des œuvres liant la photographie culinaire à une culture, telle que la photo emblématique de Stephen Shore d’un hamburger de Macdonald, image sobre et impressionnante symbolisant les habitudes de restauration rapide en Amérique. Cette image parle de la manière dont notre alimentation reflète nos identités culturelles, voire évoque ceux avec qui nous partageons nos repas.


Phillip J. Stazzone is on WPA and enjoys his favourtie food, 1940 © Weegee

Jouer avec la nourriture

« La nourriture peut être dégoûtante et sexy à la fois, explique S. Bright. Nous avons voulu rendre cette énergie et ce sentiment d’excès dans cette salle ». Il est ici question des sens, de l’odeur de la nourriture, l’effet qu’elle produit, de son bruit, même. « Jouer avec la nourriture » montre l’humour, le plaisir et l’ironie qui peuvent être à l’œuvre dans la photographie culinaire, et c’est certainement la partie la plus animée et la plus festive de l’exposition.


 Sexy Sliders, 2016 for Gather Journal © Grant Cornett

Utilisant des matériaux bien éloignés du champ de la photographie, cette partie présente une vidéo de l’artiste performer Carolee Scheemann, qui fait du féminisme l’un des fils conducteurs de l’exposition (voir, notamment, les œuvres de Cindy Sherman). On perçoit les thèmes de la valorisation, du contrôle, par les femmes, des connotations négatives de la nourriture qu’on leur a enseignées, ainsi que la question de leur rôle domestique. « Un autre exemple excellent nous est fourni par les brochures de cuisine, explique S. Bright. Elles vendent aux femmes l’idée qu’il s’agit d’un raccourci, d’un moyen de gagner du temps, tout en vous faisant rester en cuisine. »

Cet esprit de valorisation dynamise grandement l’exposition. Ce que celle-ci montre, finalement, plutôt que la photographie culinaire, c’est la fonction alimentaire vue par la photographie et la société en général. Et pour qui cette fonction est-elle plus complexe que pour les femmes ?


New Recipes for Good Eating, Crisco, Proctor and Gamble, Cincinnati © Photographer unknown

Spam, 1961 © Ed Ruscha

Untitled, 1994, from the series Forbidden Pleasures © Jo Ann Callis

New Brighton, England, 1983-85 © Martin Parr

Par Sarah Roberts

Feast for the Eyes – The Story of Food in Photography

Du 18 octobre 2019 au 9 février 2020

The Photographer’s Gallery, 16 – 18 Ramillies Street, London W1F 7LW

Le catalogue de l’exposition est disponible chez Aperture

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