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En souvenir de Bill Ray

En souvenir de Bill Ray

Le célèbre photographe du magazine Life laisse des images emblématiques de Marilyn, Elvis, JFK et de dizaines d’autres qui ont façonné les années 50 et 60. Notre journaliste l’a connu et en garde un souvenir ému.
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Bill Ray in Sikkim, 1965 © Jerry Schecter

Bill Ray, l’un des derniers grands photojournalistes du magazine Life –  particulièrement célèbre pour ses photos de personnalités emblématiques et d’événements marquants des années 60 – est décédé le 9 janvier à son domicile, à New York. Il avait 83 ans.

J’ai rencontré Ray pour la première fois il y a un peu plus de dix ans, alors que j’étais rédacteur en chef de LIFE.com, la version en ligne de ce qui avait été le premier magazine photo américain. Dans les années qui ont suivi, chaque fois que Ray entrait dans les bureaux, l’équipe se réunissait aussitôt pour l’entendre raconter ses souvenirs de telle ou telle prise de vue… Puis nous allions déjeuner, et autour d’un verre de vin (voire deux), il nous livrait des versions plus épicées du même événement. Il était chéri par l’équipe, comme notre dernier lien avec le magazine qui occupait autrefois cinq niveaux du Time-Life building, et qui fut une fenêtre sur le monde pour des millions d’Américains avant que les informations télévisées ne le détrônent.

Ray est né en 1936 dans la petite ville de Shelby (626 habitants) située dans le Nebraska, quelques mois seulement avant le lancement de Life. Il travailla pour quelques journaux du Midwest (dont l’un l’engagea un jour seulement après qu’il eut obtenu son diplôme d’études secondaires), tout en rêvant de réaliser des photographies pour Life. Il devint pigiste pour le magazine durant quelques années, photographiant le soldat Elvis Presley dans l’aéroport militaire de Brooklyn en partance pour une base allemande, et les Kennedys, avant et après l’entrée de JFK à la Maison Blanche. En 1964, il rejoignit l’équipe du magazine.


Beatles © Bill Ray/Life Magazine

Jusqu’à la fin de la décennie, Ray continua de photographier des géants de la culture pop tels que les Beatles, Marilyn Monroe, Steve McQueen, Natalie Wood, Jane Fonda ou Sharon Tate, des dirigeants politiques (notamment Khrouchtchev et Reagan), des athlètes (le champion des poids lourds Sonny Liston, entre autres, ou le quart-arrière des Kansas City Chiefs, Len Dawson, fumant nonchalamment dans les vestiaires avant le Super Bowl I), ainsi que d’innombrables personnages, connus ou inconnus, et cela dans le monde entier.

Photographe extraordinairement polyvalent, Ray couvrit les séquelles des terrifiantes émeutes de Watts, à Los Angeles, dont la violence, durant cinq jours de l’été 1965, alarma la nation tout entière, avec un bilan de 34 morts et plus de 3 400 arrestations. Faire des prises de vue en pareil lieu et à pareil moment n’était pas facile pour un jeune photographe blanc, mais Ray (qui gagna la confiance d’un chef de gang local et de quelques jeunes émeutiers, au cours de sa mission) sut réaliser des images en couleur captivantes qui firent la couverture de Life (“Watts: Still Seething” [Watts : Toujours en ébullition]). « Je n’ai pas essayé de m’habiller comme [les jeunes hommes que j’ai rencontrés], d’agir comme eux ou de faire semblant d’être un dur. J’ai montré un grand intérêt pour eux et les ai traités avec respect, confiait Ray en 2014 à Ben Cosgrove, du magazine TimeL’essentiel était de les convaincre que je n’avais aucun lien avec la police. »


Watts © Bill Ray/Life Magazine

En 2010, lorsque j’étais rédacteur en chef de LIFE.com, Ray est passé nous voir dans nos bureaux pour la première fois. Il était bien habillé, et faisait un peu le beau malgré ses 74 ans. Je me souviens qu’il a demandé, dans la conversation, si nous connaissions son reportage photo sur les Hells Angels, qu’il avait réalisé pour Life en 1965 mais n’avait jamais été publié. En allant fouiller dans les archives, nous avons découvert des centaines d’images remarquables et intimes réalisées par Ray sur quelques semaines à San Bernardino, antenne californienne du célèbre club de motards. Pourquoi les photos n’avaient-elles pas été publiées? « Lorsque le rédacteur en chef a vu mes photos, nous a expliqué Ray, il a dit: ” Personne ne voudrait voir ces sales porcs sur sa table de cuisine.” Et c’est tout. »

Ray nous a confié maintes et maintes histoires sur le temps qu’il a passé avec les Angels, l’alcool et le billard, les courses sur l’autoroute à 160 km/h, les heures d’attente aux urgences quand un Angel se faisait recoudre la tête. LIFE.com a publié les photos, accompagnées d’une entrevue avec Ray, et le reportage s’est rapidement diffusé.


Hells Angels © Bill Ray/Life Magazine

Mais la photo la plus identifiable – et la plus fréquemment reproduite – de Ray est son image inoubliable de Marilyn Monroe ronronnant  “Joyeux anniversaire, monsieur le président” à John F. Kennedy lors de la célébration du 45ème anniversaire du président au Madison Square Garden, le 19 mai 1962. Alors que tous les autres photographes présents cette nuit-là s’entassaient dans la fosse de la presse, Ray – qui n’était pas encore membre de l’équipe de Life –se faufila sur une passerelle en hauteur, dans l’ombre profonde des poutres du bâtiment. « Je priais [pour que la prise de vue soit réussie], car je devais deviner l’exposition, se souvenait Ray dans une interview, il y a six ans. J’utilisais un objectif à très longue focale et je n’avais pas de trépied, donc j’ai dû le poser sur la rambarde et j’ai essayé très, très fort de ne pas respirer. »

À seulement 26 ans, Ray réalisa l’image qui traduit le mieux l’esprit de cette nuit-là.


Marilyn,1962 © Bill Ray

Durant sa collaboration avec Life et les années qui suivirent la fermeture de l’hebdomadaire, en 1972 (années pendant lesquelles il travailla pour Newsweek, où ses images furent publiées en couverture non moins de 46 fois), il fit des voyages et des rencontres innombrables. Mais de toutes ses incroyables aventures, l’une d’elles revenait toujours dans notre conversation: le jour où il avait rencontré une jolie fille, sur le banc d’un parc de Minneapolis. Son nom était Marlys, et ils s’aimèrent profondément tout au long de leurs six décennies de mariage.

Bill Ray était charmant, vif d’esprit, avec des idées arrêtées et un peu de prétention, parfois, mais toujours prodigue d’anecdotes et de bonne humeur. Il était, surtout, profondément curieux, et peu de ceux qui travaillèrent pour Life au fil des ans incarnèrent la célèbre déclaration d’intention d’Henry Luce pour le magazine (« Voir la vie, voir le monde, être témoin oculaire de grands événements. . . voir et être étonné ») avec autant de passion que le gosse de Shelby, Nebraska.


Warhol, 1980 © Bill Ray

 Faye & Steve © Bill Ray/Life Magazine

​​​​​​Elvis, 1958 © Bill Ray

Par Bill Shapiro 

Bill Shapiro est l’ancien rédacteur en chef du magazine Life ; il est devenu ensuite celui de LIFE.com

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