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COVID-19 : les photojournalistes en première ligne

COVID-19 : les photojournalistes en première ligne

Envoyés sur le terrain pour couvrir la crise sanitaire, les photographes qui travaillent pour la presse sont souvent à l’avant-poste. Entre mesures de protection et réflexions sur leur métier, ils livrent leurs points de vue sur cette période troublée.

Les rues de New York en confinement pendant la crise du Covid-19 © Mark Abramson pour The New York Times

« – Gants, masques, solutions antibactériennes dans le sac ou dans les poches.

– Nettoyer tout son matériel en rentrant, téléphone compris. 

– La lettre de déplacement en plus de la carte de presse est recommandée.  

– Dans la mesure du possible, essayez de demander la permission aux personnes photographiées. En ces temps, les gens peuvent être sensibles à leur image ». 

C’est ainsi que le photojournaliste Rafael Yaghobzadeh, qui documente la situation en France depuis l’avant-confinement, rappelait quelques mesures de prévention à l’usage des photographes sur les réseaux sociaux. Chaque fois qu’il sort documenter la situation, même s’il ne rencontre personne, il renouvelle ces gestes indispensables, car « on a pu être en contact de surfaces contaminées comme des portes, distributeurs, pièces de monnaie et autres. »

Une nouvelle habitude pour les photojournalistes qui doivent s’équiper pour aller sur le terrain même quand celui-ci est tout près de chez eux. « Je porte des gants et des masques N95 tous les jours et je fais tout mon possible pour essuyer tout mon matériel avant d’entrer à nouveau dans mon appartement chaque fois que je le quitte. », témoigne Mark Abramson qui couvre la crise pour le New York Times aux États-Unis. Il ajoute, perplexe : « En fin de compte, je ne sais pas si je suis protégé et cela me préoccupe. Je pense que la protection ultime serait que je ne quitte plus jamais mon appartement pendant les deux mois à venir. »


© Rafael Yaghobzadeh

Documenter la crise 

Pour l’instant, il s’est surtout rendu dans les différentes rues de New York. « Le terrain est très vide dans certaines zones et dans d’autres zones, il y a encore beaucoup de gens dehors et qui vaquent à leurs occupations. Le contraste est frappant et franchement secouant. Je pense que la vérité se trouve quelque part dans le contraste. » dit-il. Un contraste difficile à rendre en images, à moins d’aligner les différentes situations dans une série singulière. 

Comme lui, de nombreux photojournalistes tentent de documenter la crise. Certains vont au front, comme Alex Majoli par exemple en Italie, qui s’est rendu dans les hôpitaux surchargés de patients pour le magazine Vanity Fair. Ou bien Fabio Bucciarelli qui est allé jusqu’à photographier des personnes sur leurs lits de mort. D’autres tentent l’aventure autrement. « Il y a une infinité de façons de raconter cette histoire et elle est si vaste », affirme Mark Abramson. 

De la série Distanciation sociale © Sébastien Leban

Rendre compte de l’invisible 

Pour témoigner, certains choisissent d’ajouter aux photographies de rues désertées, d’autres points de vue, comme l’intérieur de chez eux ou ce qui se passe à leur fenêtre. C’est le cas du photographe Sébastien Leban qui habite à Paris et qui est plusieurs fois sorti sur le terrain pour des magazines. En plus de ce travail, il a décidé de réaliser une série singulière intitulée Distanciation sociale

« J’ai joué avec ce concept de distanciation. Puisque nous sommes obligés d’être loin les uns des autres, j’ai imaginé une autre façon de prendre des photographies. Avec un téléobjectif, j’ai pris en photos ceux qui sortaient dans la rue, parfois avec un masque sur le visage, depuis ma fenêtre », relate-t-il. Rafael Yaghobzadeh a, de son côté, formé un groupe avec plusieurs photographes dans le 20ème arrondissement de Paris pour documenter la situation dans leur quartier. « Ce quotidien qui restera dans la mémoire collective de chacun… », souligne-t-il.  

C’est aussi le crédo du photographe espagnol Alvaro Ybarra, basé à Madrid : « Je crois qu’il est très important de consigner ce que nous vivons en marge de la politique, afin de sauvegarder une mémoire plurielle de ce qui s’est passé pour les générations futures. Nous sommes témoins de la plus grande menace à laquelle nous avons été confrontés depuis la Seconde Guerre mondiale. »

De la série Distanciation sociale © Sébastien Leban

Carte de presse 

Ils s’accordent néanmoins pour dire que la situation, si elle est dangereuse quand on s’expose au risque de contagion, n’est pas du tout la même que celle d’un terrain de guerre. « Je pense que la situation est incomparable », avance Sébastien Leban qui s’est déjà rendu sur des lieux de conflits armés. Il admet qu’un trouble de stress post-traumatique pourrait survenir pour ceux qui sont allés en toute première ligne, dans les hôpitaux, au chevet des morts, mais pas dans son cas personnel. 

Il évoque cependant un autre risque qui plane sur la profession : les restrictions des autorités. Alors qu’il avait une carte de presse et une autorisation, il est tombé sur un groupe de policiers à Paris qui n’ont rien voulu savoir et lui ont administré une amende complètement injuste. « Une mauvaise rencontre », philosophe-t-il bien qu’il mette en garde contre toute atteinte à la liberté d’informer. « Elle est primordiale », appuie-t-il. 

De la série Distanciation sociale © Sébastien Leban

Situation économique 

« Dans le cas de l’Espagne, contrairement à d’autres pays, il y a une censure très forte du gouvernement et des autorités sur les médias. L’accès aux hôpitaux ou à tout lieu où la maladie est combattue est pratiquement fermé aux médias. Ce sont les autorités elles-mêmes qui distribuent la plupart des images aux médias », détaille pour sa part Alvaro Ybarra. 

Enfin, une autre préoccupation bouleverse aussi le quotidien des photojournalistes : leur situation financière. Sébastien Leban, par exemple, a perdu 80% de ses commandes habituelles pour la presse. À New York, Mark Abramson s’inquiète aussi : « Mes plus grandes craintes pour l’après-crise, même si je pense que c’est un peu trop loin pour le moment, sont les ramifications économiques pour les États-Unis et le monde entier. Je me demande également quel sera l’impact de cette crise et de cette histoire sur la place du photojournalisme dans le monde. »


Les rues de New York en confinement pendant la crise du Covid-19 © Mark Abramson pour The New York Times

Par Laurence Cornet, Jonas Cuénin et Jean-Baptiste Gauvin

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