Cecil Beaton, créateur d’imaginaire et d’élégance

La National Portrait Gallery à Londres explore en détail les moments saillants de la carrière de cet esthète passionné, de la photographie de mode, de portrait et de guerre à la création de costumes et de décors de My Fair Lady, qui lui vaudra deux Oscars.

Pionnier de la photographie de mode, auteur, chroniqueur des mœurs, illustrateur-dessinateur, décorateur et costumier pour le cinéma et le théâtre, Sir Cecil Beaton (1904 -1980) a multiplié les métiers, révolutionné le monde du style et reflété l’ambiance changeante de son époque. Pas une seule sommité du 20e siècle n’a manqué à son panthéon d’élite. Il a capturé Greta Garbo (avec laquelle il entretint une liaison tourmentée), Audrey Hepburn, Marilyn Monroe, la reine Élisabeth II, Maria Callas, Winston Churchill, Truman Capote, Jean Cocteau, Salvador Dalí et tant d’autres. Il a eu pour clientes Elsa Schiapiarelli et Coco Chanel, a été photographié par David Bailey, symbole des swinging sixties, et a suscité l’admiration d’Irving Penn et de Richard Avedon.

Sous le commissariat de Robin Muir, historien de la photographie et collaborateur de Vogue, cette rétrospective à la National Portrait Gallery (NPG), à Londres, sonde pour la première fois en profondeur son œuvre multiforme. Car il s’agit aussi d’une longue histoire entre lui et la galerie, laquelle lui a consacré sa première exposition personnelle en 1968. « Cette premère exposition fut un véritable tour de force. », explique Victoria Siddall, directrice de l’institution. « C’était la première fois que la galerie exposait des photographies et que des représentations de modèles vivants étaient exposées sur ses murs. Des files d’attente se formaient tout autour du bâtiment ; l’événement a été prolongé à deux reprises. »

Riviera Wanderers (1927) © The Cecil Beaton Studio Archive, London & The Conde Nast Archive, New York
Princesse Emeline De Broglie, 1928 © The Cecil Beaton Studio Archive, London & The Conde Nast Archive, New York

« Cecil Beaton’s Fashionable World », la nouvelle exposition, retrace elle ses débuts, son ascension, sa disgrâce après un propos antisémite et son héritage, exposant 250 pièces entre photographies, lettres, croquis et costumes. 

Au commencement : la mode

« The King of Vogue », c’est le surnom que tout le monde s’accorde vite à lui donner dès qu’il entame sa collaboration, sous contrat, avec Condé Nast et le magazine américain dans les années 1920. Autodidacte de la photographie, passé par la St John’s College de Cambridge, où il étudie l’histoire, l’art et l’architecture, Beaton ne cesse alors d’ériger l’image de la mode en un spectacle visuel, où les beaux-arts convoquent la modernité.

Cecil Beaton, c.1935 © The Cecil Beaton Studio Archive, London & The Conde Nast Archive, New York

Enfant de l’ère édouardienne, fêtard et dandy excentrique, à la plume audacieuse aux écrits souvent acérés, ce visionnaire restera « une force créative sur les scènes britanniques et américaines du 20e siècle ». Surtout, dans une quête incessante « du beau, de l’enchanté et du délicieusement décalé ». C’est ce que nous conte le curateur en commençant par ses premières expérimentations, où Beaton s’entraîne à prendre en photo ses deux sœurs et sa mère comme modèles, avec son Brownie puis avec son Kodak Folding A3. 

À cette époque, le médium photographique est en pleine évolution, confronté à l’illustration dans les revues de style et quittant lentement le pictorialisme pour un modernisme épuré. À travers son sens de la mise en scène, Beaton fait tôt le choix d’unir les arts, jouant avec les matières et la lumière. « Un mariage entre le portrait scénique édouardien, le surréalisme européen émergent et l’approche moderniste des grands photographes américains de l’époque, le tout filtré par une sensibilité résolument anglaise. », précise Robin Muir.

L’actrice Elizabeth Taylor au Dorchester Hotel de Londres. © The Cecil Beaton Studio Archive, London & The Conde Nast Archive, New York
La débutante Nancy Harris en studio, vêtue d’une robe bleue bustier avec un corset à décolleté en cœur et une jupe longue et ample, froncée de mousseline ; avec un volant rose et blanc et deux corsages, l’un violet et l’autre rose ; habillée pour le bal Coty de 1946. © The Cecil Beaton Studio Archive, Londres & The Conde Nast Archive, New York
Le deuxième âge de la beauté est le glamour (costume Hartnell), 1946 © The Cecil Beaton Studio Archive, Londres & The Conde Nast Archive, New York

Dans chacun de ses clichés, ses décors élaborés repoussent les limites de la représentation visuelle pour toujours tendre vers le style, le rêve, le glamour et l’élégance plutôt que vers la forme. Un processus créatif qu’il façonne dans ses scrapbooks, aux allures de moodboards avant l’heure, une compilation de photos, de dessins, d’affiches et d’extraits de journaux qu’il découpait, collait, assemblait.

Entre guerre et royauté

Son œuvre est ainsi empreinte d’ambiance dramatique et romantique, de mystère et d’intensité, de grâce et d’élégance, de distance et d’empathie. Beaton se nourrit de l’impact de l’Amérique, du Royaume-Uni et de la France, frappés par les deux guerres mondiales. 

L’exposition parcourt ainsi le Londres des années 1920 et 1930, l’époque des « Bright Young Things », désignant les jeunes aristocrates hédonistes, comme Stephen Tennant, Siegfried Sassoon, les frères et sœur Sitwell, ses voyages à New York et à Paris à l’ère du jazz, et son chemin vers Hollywood qui lui décerne trois Oscars. 

Les hommes qui pilotent des avions, 1941 © The Cecil Beaton Studio Archive, Londres & The Conde Nast Archive, New York

L’accrochage retrace également l’importance de ses portraits de la royauté britannique. Ses photographies de la famille royale débutent au crépuscule des années 1930. « À l’approche de la Seconde Guerre mondiale, Beaton définissait la notion de monarchie de l’ère moderne. », précise Robin Muir. « Ses œuvres sont un éclat de la haute couture aux couleurs vives et éclatantes. » 

Dans l’intervalle, le ministère de l’Information britannique le nomme photojournaliste de guerre officiel, le poussant à voyager à travers le monde. Un corpus d’œuvres qu’il considère comme « le plus important » et « le plus sérieux qu’il ait jamais réalisé », lui permettant de renoncer « à la superficialité » sans perdre l’art de sublimer dans ce « théâtre de guerre ». Sa célèbre photographie d’Eileen Dunne, une fillette de trois ans sur son lit d’hôpital en 1940, victime du Blitz, fait date, obtenant la couverture de Life magazine. En 1953, il immortalise le couronnement de la reine Élisabeth II, et capte la ferveur d’une période de reconstruction en pleine mutation. Il est anobli en 1971.

Spectacle de l’imaginaire

Cecil Beaton va ainsi tout au long de sa carrière savoir capturer le zeitgeist de l’époque. C’est ce que renvoient cette rétrospective du NPG et le catalogue passionnant qui l’accompagne, nous immergeant dans l’atmosphère de ses cinquante ans de carrière et la vie de ceux et celles qui l’ont côtoyé. D’ailleurs, sa toute première exposition en 1927 aux Cooling Galleries de Bond Street le consacre comme « l’un des photographes de mode et portraitistes les plus en vue de sa génération ». Son implication dans le cinéma, le théâtre, l’opéra et les ballets est alors à son apogée. 

Dans Gigi (1958) de Vincente Minnelli, centré sur une adolescente (Leslie Caron) transformée en cocotte de la Belle Époque par deux vieilles excentriques (Hermione Gingold et Isabelle Jeans), son travail sur les décors lui vaut sa première statuette aux Oscars.

Worldly Colour (robes de soirée Charles James), 1948. © The Cecil Beaton Studio Archive, Londres & The Conde Nast Archive, New York
Audrey Hepburn en costume pour My Fair Lady, 1963. Transparent couleur d’origine. © Archives du studio Cecil Beaton, Londres & Archives Condé Nast, New York.
« Meilleure invitation de la saison », Nina De Voe en robe de bal Balmain, 1951 © The Cecil Beaton Studio Archive, Londres & The Conde Nast Archive, New York

Avec My Fair Lady (1964) de George Cukor, adapté de la comédie musicale sur scène, c’est un second triomphe. Dans ce film, axé sur un professeur snob (Rex Harisson) qui métamorphose une vendeuse de fleurs en une dame de la haute société (Audrey Hepburn), il rafle coup sur coup les statuettes des meilleurs décors et costumes. 

La pluralité de l’œuvre de Cecil Beaton montre ainsi sa contribution substantielle à la vie artistique de Londres, de New York, de Paris et d’Hollywood, saisissant les anonymes et les grandes figures du 20e siècle avec cette même primauté dans le langage formel. Un photographe, un artiste, un regard. Surtout, un témoin, qui aimait les arts du spectacle et la théâtralité sous toutes ses formes, brouillant savamment les frontières entre imaginaire et réalité.


L’exposition « Cecil Beaton’s Fashionable World », est visible du 9 octobre 2025 au 11 janvier 2026 à la National Portrait Gallery de Londres. Le catalogue en anglais est également disponible au prix de £40.

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