Dennis Morris, de rock et reggae

Jusqu’au 18 mai 2025, la Maison Européenne de la Photographie (MEP) à Paris consacre une rétrospective au photographe britannique Dennis Morris, intitulée « Music + Life ».

En 1973, Bob Marley, qui n’est pas encore une superstar, donne un concert au club Speakeasy, à Londres. Un jeune adolescent de 13 ans, Dennis Morris, passionné de musique et de la sienne en particulier, lui fait exprès de rater les cours pour voir son idole. « J’ai fait l’école buissonnière pour aller le voir, et ça a changé ma vie », raconte-t-il. Le premier contact entre Dennis Morris et Bob Marley se fait à l’entrée de la salle, alors que le groupe s’apprête à répéter. Intrigué par ce jeune garçon qui porte un appareil photo, le musicien l’invite à monter dans son van. « Es-tu prêt, Dennis ? », lui demande-t-il en souriant. Ce moment précis est immortalisé dans l’un des clichés emblématiques exposés à la Maison Européenne de la Photographie, à Paris. Cette rencontre fortuite marque surtout le début d’une collaboration durable entre le photographe et l’icône du reggae. Morris deviendra le photographe attitré de Marley et suivra sa carrière.

Dennis Morris, Burning, 1973 © Dennis Morris
Dennis Morris, Burning, 1973 © Dennis Morris
Dennis Morris, Portrait, 1973 © Dennis Morris
Dennis Morris, Portrait, 1973 © Dennis Morris
Dennis Morris, Lively up yourself, 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Lively up yourself, 1977 © Dennis Morris

Plusieurs images montrent le chanteur sous un jour intime, loin des clichés habituels du « rasta prophète ». L’une des photos les plus célèbres, exposée à la MEP, montre Marley en train d’accorder sa guitare, un instant suspendu entre concentration et lâcher-prise. La section de l’exposition consacrée à Bob Marley révèle aussi un aspect plus méconnu du chanteur : sa douceur, sa générosité et son humour. On y découvre des clichés en coulisses, des images de répétitions et des instants de détente, loin de la scène et de la ferveur du public. Pour Dennis Morris, cette rencontre est aussi importante pour sa vie personnelle, lui qui se cherche aussi une place dans la société. « Il m’a appris à être un homme, à être noir, à être fier », explique le photographe.

Né en 1960 à Kingston, en Jamaïque, Dennis Morris grandit à Londres après l’émigration de sa famille. Dès son plus jeune âge, il est attiré par la photographie. « J’ai su que je voulais être photographe dès l’âge de neuf ans », confie-t-il. À 11 ans, il vend d’ailleurs déjà son premier cliché au Daily Mirror.

Plus tard, en 1977, alors que le mouvement punk explose au Royaume-Uni, Dennis Morris se voit offrir une opportunité unique : suivre les Sex Pistols. Le manager du groupe, Malcolm McLaren, apprécie son travail et l’invite à documenter les coulisses de la tournée. À l’époque, le groupe est au sommet de la provocation et incarne une jeunesse en révolte contre l’ordre établi.

Dennis Morris, The Sex Pistols, the Marquee Club, Soho, London, 23 July 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, The Sex Pistols, The Marquee Club, Soho, Londres, 23 juillet 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Sid Vicious, Stockholm, Sweden, 25 July 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Sid Vicious, Stockholm, Suède, 25 juillet 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Sid Vicious, Stockholm, Sweden 25 July 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Sid Vicious, Stockholm, Suède, 25 juillet 1977 © Dennis Morris

L’une des photographies les plus marquantes de cette période montre Sid Vicious torse nu, arborant un regard défiant. Une autre, prise dans un hôtel miteux, capture l’anarchie ambiante, avec Johnny Rotten allongé sur un lit défait. « Avec eux, c’était le chaos total, mais un chaos fascinant », se souvient Morris. L’exposition retranscrit bien cette énergie brute, ces instants où l’histoire de la musique est à l’une de ses périodes charnières. Les photos de Dennis Morris captent d’ailleurs l’essence même du punk : une explosion d’attitudes, de styles et de colère contenue, et quelques portraits pour les accompagner.

L’histoire de Dennis Morris est aussi celle d’un homme qui a osé suivre son instinct. Après ses collaborations avec Marley et les Sex Pistols, il devient le photographe attitré de Public Image Ltd., le groupe fondé par Johnny Rotten après la séparation des Pistols. Son approche artistique évolue, avec plus de portraits posés, tout en conservant sa spontanéité.

Dennis Morris, Man with his two daughters and his most prized possession, Southall, 1976 © Dennis Morris
Dennis Morris, Homme avec ses deux filles et son bien le plus précieux, Southall, 1976 © Dennis Morris
Dennis Morris, Local children, Dalston, Hackney, London, 1970s © Dennis Morris
Dennis Morris, Enfants du quartier, Dalston, Hackney, Londres, 1970 © Dennis Morris
Dennis Morris, Gurning, Speakers' Corner, Hyde Park, London, 1974 © Dennis Morris
Dennis Morris, Gurning, Speakers’ Corner, Hyde Park, Londres, 1974 © Dennis Morris
Dennis Morris, Young shop attendant, Southall, 1974 © Dennis Morris
Dennis Morris, Jeune vendeuse, Southall, 1974 © Dennis Morris
Dennis Morris, Southall streets, 1976 © Dennis Morris
Dennis Morris, rues de Southall, 1976 © Dennis Morris
Dennis Morris, Young Gun, Hackney, London, 1969 © Dennis Morris
Dennis Morris, Young Gun, Hackney, Londres, 1969 © Dennis Morris

Outre la musique, Dennis Morris porte un regard attentif sur les communautés noires de Londres. Ses clichés des années 1970 et 1980 dressent ainsi un tableau vibrant de l’immigration afro-caribéenne en Grande-Bretagne. Ces photographies-là témoignent du quotidien de ceux qui ont participé à façonner l’identité multiculturelle du pays, dans une époque marquée par la quête d’intégration et les tensions raciales. « J’étais invité chez des gens qui se mettaient en scène sous le meilleur jour possible pour montrer à leur famille restée au pays qu’ils avaient réussi en Angleterre », raconte le photographe. « J’ai toujours voulu capturer l’essence des choses, ce qui se cache derrière les apparences. »

Dans les années 1980, il s’éloigne alors du reportage musical pour explorer d’autres horizons. Il photographie la jeunesse londonienne sous toutes ses facettes, de la culture ska aux premières influences hip-hop, des clubs de Brixton aux entrepôts de Manchester. « Je voulais capturer la rue, l’instant, sans mise en scène », explique-t-il. Son travail devient alors un témoignage du Londres en pleine transformation, où la musique et l’identité urbaine se redéfinissent constamment. Parmi les autres stars qui passeront devant son objectif: le poète Linton Kwesi Johnson, le groupe pop Oasis ou encore la regrettée Marianne Faithfull.

Dennis Morris, Johnny Rotten, backstage at the Marquee Club, London, 23 July 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Johnny Rotten, dans les coulisses du Marquee Club, Londres, 23 juillet 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Linton Kwesi Johnson, Brixton, London, 1978 © Dennis Morris
Dennis Morris, Linton Kwesi Johnson, Brixton, Londres, 1978 © Dennis Morris
Dennis Morris, Marianne Faithfull, image taken for the Broken English album, 1979 (Island Records) © Dennis Morris
Dennis Morris, Marianne Faithfull, image prise pour l’album Broken English, 1979 (Island Records) © Dennis Morris
Dennis Morris, outtake from the Public Image First Issue album cover shoot, 1978 © Dennis Morris
Dennis Morris, prise de vue de la pochette de l’album Public Image First Issue, 1978 © Dennis Morris
Dennis Morris, outtakes from photo shoot for PiL's first album, 1978 © Dennis Morris
Dennis Morris, prises de vue de la séance photo pour le premier album de PiL, 1978 © Dennis Morris

Chez Dennis Morris, la Jamaïque n’est pourtant jamais loin. Il se souvient d’un moment marquant: « Un jour, je suis retourné à Kingston et j’ai vu un gamin avec un appareil photo. Il était comme moi, des années plus tôt. Je lui ai dit : “Ne laisse jamais personne te dire que tu ne peux pas réussir”. » Parmi les anecdotes qui ont marqué sa carrière, une autre nous ramène dans un studio londonien avec Bob Marley. « On avait passé la journée à travailler et Bob m’a demandé de mettre de la musique. Je lui ai passé un disque de John Coltrane, et il a eu un sourire immense. Il m’a dit : “C’est ça, Dennis, la vraie vibration”. »

Aujourd’hui encore, Dennis Morris continue de photographier, explorant de nouveaux sujets et revisitant ses archives avec une attention méticuleuse. « Mes photos ne sont pas seulement des souvenirs. Elles sont des preuves, des morceaux d’histoire que j’ai eu la chance de voir de mes propres yeux », dit-il. « Music + Life » offre ainsi un regard essentiel sur plusieurs générations, ancré dans la mémoire collective britannique, mais pas que.

Dennis Morris, Crowd scene, Coventry, UK, 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Scène de foule, Coventry, Royaume-Uni, 1977 © Dennis Morris

« Music + Life », dd Dennis Morris, est à voir à la Maison Européenne de la Photographie (MEP), à Paris, jusqu’au 18 mai 2025.

Dennis Morris, Home studio, Dalston, Hackney, London, early 1970s © Dennis Morris
Dennis Morris, Home studio, Dalston, Hackney, Londres, début des années 1970 © Dennis Morris
Dennis Morris, Woolacombe, UK, 1974 © Dennis Morris
Dennis Morris, Woolacombe, Royaume-Uni, 1974 © Dennis Morris

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