En six éditions, Photo Days s’est imposé comme l’un des rendez-vous photographiques majeurs de l’automne parisien. A partir du 3 novembre, le festival fédère musées, galeries, fondations et lieux atypiques autour d’une ambition simple : faire circuler le regard. Pendant un mois, la photographie s’invite partout — dans les institutions les plus prestigieuses comme dans des espaces méconnus — révélant l’étendue et la vitalité de la création contemporaine.
Derrière cette constellation d’expositions, une ligne claire : soutenir la production d’œuvres inédites et donner la parole à des artistes qui interrogent notre rapport au monde. Depuis sa création, Photo Days a commandé plus de 30 projets originaux, offrant à des photographes comme Noémie Goudal, Valérie Belin, Juliette Agnel ou Mohamed Bourouissa des contextes de création singuliers. L’édition 2025 confirme cette exigence : de la Chapelle Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière au Studio Harcourt, chaque lieu devient un laboratoire du regard.
Fondé et dirigé par l’historienne de l’art Emmanuelle de l’Ecotais, Photo Days s’inscrit dans une double mission : défendre la scène française tout en l’ouvrant au dialogue international. Le festival se veut aussi durable et solidaire, privilégiant les circuits courts, la parité et la médiation culturelle. Cette année encore, il proposera lectures de portfolios, ateliers et rencontres d’artistes, réaffirmant son engagement envers une photographie vivante, ouverte et profondément ancrée dans la cité. Un beau programme que la directrice dévoile en détails dans l’entretien suivant.
Depuis sa création en 2020, Photo Days s’est imposé comme un rendez-vous majeur de la photographie à Paris. Qu’est-ce qui, selon vous, distingue ce festival des autres événements consacrés à l’image dans un mois de novembre très chargé à Paris ?
Tout d’abord Photo Days est un festival qui s’étend dans tout Paris, et bien au-delà, puisque nous avons des expositions également en région parisienne. Par ailleurs, sa spécificité est de faire découvrir tous les ans de nouveaux lieux, et de commander aux artistes des œuvres pour ceux-ci. Chaque année, nous proposons aux visiteurs de découvrir des collections privées, des agences, des laboratoires, des ateliers, des studios… cette diversité est unique. Enfin, nous aimons bien innover : par exemple en 2021 nous avons proposé d’inviter Valérie Belin dans le Studio de Frank Horvat pour un dialogue avec ses archives, et comme l’exposition était une réussite et que l’idée a plu, Fiammetta Horvat a poursuivi l’aventure en invitant tous les ans un nouvel artiste. Il faut ajouter que nous sommes particulièrement attentifs à respecter une attitude éthique vis-à-vis des artistes, et ce depuis l’origine : ils sont payés, nous produisons les œuvres qui leur appartiennent ensuite, et nous ne prenons pas de commission sur les ventes qui ont éventuellement lieu. C’est un vrai soutien à la création contemporaine. Et tout ceci est possible grâce à nos fidèles sponsors et à quelques généreux mécènes privés. Nous valorisons aussi le travail des galeries, avec lesquelles nous travaillons en synergie. L’écosystème est fragile, et le marché de la photographie n’est plus ce qu’il était il y a dix ans. Notre rôle est de faire franchir la porte des galeries à tout le monde, expliquer ce qu’est un tirage original, favoriser ainsi l’accès à l’art et développer l’esprit de collection au plus grand nombre.
Le festival investit des lieux atypiques — de la Rotonde Balzac à la Chapelle de la Salpêtrière, du cinéma Le Louxor au Studio Harcourt. Ces espaces influencent-ils la création des artistes invités ?
Les artistes ont carte blanche, avec une seule contrainte : faire dialoguer leurs œuvres avec le lieu. Rien n’est là par hasard et les lieux ne sont pas considérés comme des boîtes blanches : à la Rotonde Balzac, Paolo Ventura fait référence aux Promenades de nuit de l’auteur; à la Salpêtrière il fallait un sujet en lien avec la santé (Julie Balagué présente un travail sur le déni de grossesse); au Louxor c’est « une fable égyptienne » de Sandra Guldemann Duchatellier qui dialogue avec l’architecture égyptisante du cinéma; le Studio Harcourt accueille les portraits d’Antoine Schneck; enfin à l’Ecole des Arts Joailliers Juliette Agnel évoque la « susceptibilité des roches » en lien avec l’exposition sur la collections de pierres de Roger Caillois.
Photo Days convoque chaque année des œuvres inédites. Comment choisissez-vous les artistes et les lieux, et quelle part laissez-vous à la surprise ou à l’intuition ?
C’est un petit jeu de légo : je cherche d’abord des lieux (gratuits, car tout le budget est pour la production des expositions), puis quand j’ai le lieu, je réfléchis à l’artiste qui est le plus adapté. C’est un mélange d’intuition et de recherches. Parfois c’est l’inverse : je découvre un travail et je me dis « ce serait parfait pour tel lieu ». C’est ce qui s’est passé cette année pour Julie Balagué à la Pitié Slapêtrière, et Sandra Guldemann au Louxor. Je les ai vues toutes les deux en lecture de portfolio en 2024. Nous sommes allées présenter ces projets aux directeurs d’établissements, qui ont aimé. Quand c’est une carte blanche, comme à L’Ecole des Arts Joailliers ou à la Rotonde Balzac, la surprise vient des artistes, plus tard. Ils ont une vision sensible des thèmes et des espaces. Je me réjouis toujours de découvrir leur nouveaux travaux – en général fin septembre – et c’est magique !
Photo Days regroupe de nombreux lieux et de nombreuses expositions. Il paraît difficile de tout visiter. Pour quelqu’un qui s’y rendrait sur une seule journée, quelle serait votre proposition de parcours idéal ?
Il est bien sûr impossible de tout voir, d’ailleurs ce n’est pas l’objectif. Mais en revanche, il y en a pour tous les goûts ! Il n’y a pas de parcours idéal en une journée, car chacun a des préférences, un objectif différent : découvrir la photographie historique ou la scène émergente, visiter pour apprendre ou pour collectionner, rencontrer des artistes ou des conservateurs… Quel que soit votre intérêt, vous trouverez de quoi satisfaire vos envies en parcourant le programme ! Et tout est gratuit !
Vous avez souvent insisté sur l’importance de la parité et de la scène française. Le festival reste à 75 % féminin sur cinq ans. Est-ce un choix conscient ou le reflet naturel de la vitalité actuelle de la photographie ?
C’est tout à la fois un choix, une nécessité, une envie. La scène française et les femmes photographes ont besoin de notre soutien, donc nous sommes là. Je garde en moi l’esprit du service public, la notion d’intérêt général – inhérente au métier de conservateur que j’ai exercé pendant plus de 20 ans. Je considère donc que c’est ma mission. Je le fais naturellement, sans y penser.
La médiation — lectures de portfolios, rencontres, visites guidées — occupe une place centrale dans Photo Days. Comment ces dispositifs participent-ils, selon vous, à renouveler le lien entre les artistes et le public ?
La médiation est le ciment qui nous lie tous aux artistes. Sans les échanges, les visites avec les acteurs (artistes, commissaires), tout reste abstrait. Les gens pourraient rester devant leur ordinateur pour regarder des images, mais ils n’auraient pas l’expérience de la déambulation devant les œuvres, avec la possibilité de comprendre et d’apprendre ce qui fait la différence entre une reproduction et un original. C’est particulièrement important en photographie. Et la discussion avec un artiste est toujours beaucoup plus enrichissante qu’un simple texte. Et puis c’est vivant !
Photo Days s’attache aussi à une production plus durable : circuits courts, réutilisation des œuvres, recyclage des matériaux. Est-ce une dimension qui transforme concrètement la manière de produire des expositions aujourd’hui ?
Bien sûr ! On pense circuit court, recyclage, mutualisation… J’étais en Corée cette année pour l’organisation de la Biennale de Daegu, nous avons soit produit les œuvres sur place (c’est l’avantage du médium photographique) soit envoyé les originaux roulés ou sans encadrement (transports plus légers).
Après cette sixième édition, quels horizons imaginez-vous pour Photo Days — à Paris, mais peut-être aussi au-delà ?
On est toujours ravis de faire voyager nos expositions une fois qu’elles sont produites : celle de Juliette Agnel au Carrousel du Louvre l’année dernière a été reprise par la ville de Nîmes pour les Costières de l’art, de même que celle de Carline Bourdelas à la Rotonde Balzac; celle de Letizia Le Fur doit également voyager… C’est formidable pour les artistes et nous prêtons toujours avec plaisir – tant que les artistes sont rémunérés bien sûr… Quant à développer Photo Days ailleurs, ce n’est pas encore d’actualité.
Le festival Photo Days a lieu à Paris du 3 au 30 novembre 2025. Plus d’informations sur les expositions et les lieux sur son site internet.