Il aura fallu 20 ans pour que cette exposition voit le jour. Entre une première rencontre avortée — un e-mail jamais reçu — et des retrouvailles récentes, presque romanesques. Ce hasard heureux donne son titre à l’exposition : « 20 Years Later… », présentée à la Galerie H, à Paris. Une rétrospective sélective, presque intime, qui revient sur deux décennies de photographie entre mise en scène, poésie sociale et exploration du féminin.
L’exposition commence avec la série fondatrice : « Inside Views ». On y retrouve les grandes villes comme New York, Shanghai, Tokyo, Las Vegas ou Istanbul, photographiées à la chambre grand format. L’approche est frontale, mais rien de documentaire ici. Les images confrontent l’immensité géométrique des mégapoles à des silhouettes féminines, enfermées dans leurs appartements comme dans des aquariums lumineux. Elles rêvassent, cuisinent, s’étirent, nous tournent le dos ou nous ignorent. Floriane de Lassée construit une mise en abîme : la ville dehors, le théâtre dedans. Un théâtre figé, suspendu, où les corps féminins deviennent autant de métaphores d’un monde cloisonné. L’infiniment grand face à l’infiniment intime.
Viennent ensuite des séries plus récentes, mais tout aussi narratives. Dans « When Water Rises », photographiée sur l’île de Tanna au Vanuatu, la photographe confronte nature et menace : montée des eaux, sable noir, volcan Yasur, vagues imprévisibles… L’humain y semble petit, flottant entre deux forces contraires. Cette série, inspirée par les éléments, mêle beauté et inquiétude, paysages spectaculaires et vulnérabilité sourde. À travers ses images, Floriane de Lassée rappelle que la terre gronde, et que l’équilibre est précaire.
Avec « Pour Autrui », son regard se tourne vers la procréation médicalement assistée. Une série rare sur un sujet encore peu représenté en art contemporain, et que la photographe aborde avec pudeur et invention visuelle. Par des métaphores visuelles — graines, ampoules, corps fragmentés — elle interroge la manière dont notre époque réinvente le désir d’enfant, et les outils pour y parvenir. Ici encore, la narration se fait sans lourdeur : une élégance visuelle portée par une construction de l’image rigoureuse, héritée de sa formation en direction artistique à l’ESAG et de son passage à l’International Center of Photography à New York.
« L’Éveil », plus récente, convoque un imaginaire cinématographique, inspiré du film Indochine. Deux enfants y découvrent un monde naturel et sensoriel. Une parenthèse douce, presque idyllique, loin de l’urbanité tendue des débuts. Et avec « Bâoli », la photographe rend hommage aux puits à escaliers sacrés d’Inde, délaissés mais magnifiques, qu’elle isole de leur contexte pour en révéler la géométrie silencieuse. Un clin d’œil à Escher, mais surtout un acte de sauvegarde : préserver par l’image ce que le progrès a oublié.
Avec cette exposition, Floriane de Lassée construit un puzzle sensible, où chaque série dialogue avec les autres. Une œuvre cohérente, qui mêle féminité, architecture, symboles et regards en suspension.
« 20 Years Later… », de Floriane de Lassée, est à voir à la Galerie H à Paris, jusqu’au 18 juillet 2025.