« L’art est mon outil pour explorer la liberté et mon arme pour la défendre »
Erwin Olaf
Photographe du corps et de l’intime, artiste complet aux mises en scènes pensées comme des décors de films ou des tableaux de maîtres, célébrant toutes les libertés, Erwin Olaf, de son nom entier Erwin Olaf Springveld (1959-2023), a défendu durant toute sa vie sa vision du monde, entre extravagance et militantisme, sensibilité et mélancolie, faisant de lui l’un des photographes et artistes néerlandais les plus reconnus de son temps. Sa disparition soudaine en 2023, à l’âge de 64 ans, laisse une œuvre majeure de la photographie contemporaine.
Dans une importante rétrospective, la première depuis la disparition de l’artiste, le Stedelijk Museum d’Amsterdam nous dévoile toutes les facettes, dont beaucoup méconnues, d’Erwin Olaf, et nous montre combien son art brisait les frontières des genres, combien il explorait toutes les formes artistiques dans une recherche de maîtrise totale. L’exposition présente des œuvres inédites jamais dévoilées au public, comme des vidéos et des sculptures, des photographies de journaux et des archives personnelles. On y découvre le moteur créatif du photographe, animé par la célébration des corps, par la défense de l’identité, de la liberté d’être et des droits homosexuels.
L’exposition « Erwin Olaf – Freedom » et le livre associé (384 pages) présentent toute l’étendue de son œuvre : depuis ses débuts dans le photojournalisme dans les années 1980, jusqu’à sa révélation en tant que photographe de studio, son engagement total dans la défense des droits homosexuels, en passant par ses séries plus contemplatives et mélancoliques comme « Grief » (2007), « Berlin » (2012), « Shanghai » (2017) ou « Im Wald » (2020), et les dernières œuvres, parfois inachevées, qu’il réalisa peu avant sa disparition.
Charl Landvreugd, commissaire de l’exposition, explique à Blind comment il a cherché à faire de cette rétrospective un portrait complet de l’artiste et de l’homme.
Il s’agit de la première rétrospective sur le travail d’Erwin Olaf depuis sa disparition en 2023, comment avez-vous composé cet hommage ?
Je ne voulais pas aborder cette rétrospective comme une simple exposition de photographie, mais comme une exposition sur l’artiste complet qu’il était. Je cherchais l’artiste de l’image, pas seulement le photographe. Je voulais comprendre ce qui le motivait fondamentalement, comprendre cette force motrice qui était sa liberté personnelle – c’est pour cela nous avons appelé l’exposition « Freedom » -. J’ai voulu montrer comment il s’est construit, comment il est devenu le Erwin Olaf que l’on connaît.
« Il y a chez Erwin Olaf du Caravage, du Benini, ou du Caspar David Friedrich… »
On découvre dans cette exposition une part méconnue de l’artiste : ses reportages journalistiques en noir et blanc réalisés au début des années 1980. Était-ce aussi une découverte pour vous ?
Totalement. Ca a été une découverte pour tout le monde, même pour le studio d’Erwin Olaf qui ignorait l’existence de ces photos. Beaucoup de ces clichés avaient disparu, ils ont été retrouvés grâce à d’anciens assistants et sortis de réserves oubliées. Sur ces photographies documentaires, avec une esthétique photojournalistique très forte, on retrouve déjà son regard particulier. Il était doué pour ce genre de photos mais il a choisi sa propre voie. Il a pris une route totalement différente, plus proche de Robert Mapplethorpe, mais en allant au-delà de Mapplethorpe.
Dans la série « Bad Clothing » par exemple, qui a été réalisée pour un magazine, – elle n’a donc jamais été conçue comme une œuvre d’art, mais bien comme une commande éditoriale – si vous regardez le cadrage, la composition, la lumière : on voit déjà que c’est du pur Olaf. Il existe plus de 40 000 négatifs rien que pour sa période journalistique. J’ai aussi appris de son studio que de son vivant — sachant qu’il allait mourir — Erwin Olaf avait déjà tout classé : catégorie A, catégorie B, et « à détruire ». Il reste donc encore énormément de choses à découvrir sur son travail.
Erwin Olaf était un grand perfectionniste et un photographe du corps et de l’intime, comment avez-vous présenté ce thème central de son travail ?
Une des salles de l’exposition est consacrée à la peau. L’idée était de montrer toute sa réflexion autour du travail en studio : les lumières, les reflets, la matière. Il aimait toutes les morphologies, mais avait une préférence pour les corps massifs, musclés – il disait qu’ils donnaient de plus belles ombres.
« Ses créations sont-elles des photographies ? Des peintures ? Des natures mortes ? Il brouille volontairement les frontières »
Erwin Olaf réalisait aussi beaucoup de natures mortes : fleurs, détails de corps… On pourrait faire une exposition entière uniquement sur cette thématique. Son oeuvre est très imprégnée par l’histoire de l’art et les grands maîtres : nombre de ses créations se réfèrent à Rembrandt. On retrouve aussi les couleurs primaires — rouge, bleu, jaune — de chez Mondrian. Il y a également chez Erwin Olaf du Caravage, du Bellini, ou du Caspar David Friedrich… D’ailleurs ses créations sont-elles des photographies ? Des peintures ? Des natures mortes ? Il brouille volontairement les frontières.
De sa participation à plusieurs campagnes contre le Sida en passant par la défense des droits LGBTQ+ et des minorités, l’exposition montre aussi que son engagement dans la défense des libertés est intimement lié à son oeuvre…
Il était de cette génération qui devait encore se battre pour les droits queer. Les jeunes générations d’aujourd’hui ont tendance à croire que ces droits ont toujours existé, mais ils sont très récents, vieux d’à peine vingt ans. Erwin Olaf voyait avec inquiétude leur recul. C’est ce qui le révoltait le plus. Il était profondément opposé aux dogmes religieux comme politiques. Il incarnait la lutte pour la liberté pour tous, de tous les corps, de tous les genres. C’était une lutte personnelle, nourrie de son propre combat pour être accepté comme homme gay dans la société.
« Il incarnait la lutte pour la liberté pour tous, de tous les corps, de tous les genres. »
L’exposition « Erwin Olaf – Freedom » est à voir au Stedelijk Museum d’Amsterdam, jusqu’au 1er mars 2026. Le livre Erwin Olaf – Freedom est publié par Hannibal Books et disponible au prix de 69,95 €.