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Femmes photographes: l’image comme acte de résistance

L’exposition Our Selves : Photographs by Women Artists, qui a lieu au Museum of Modern Art de New York jusqu’au 2 octobre, met à l’honneur les clichés de femmes, prises par des femmes, et montre comment la photographie est devenue un outil de résistance.

Présentant presque exclusivement des photographies de femmes, prises par des femmes, l’exposition Our Selves : Photographs by Women Artists, qui a lieu au Museum of Modern Art de New York jusqu’au 2 octobre, attire la curiosité tant par le thème que par la scénographie.

La conservatrice en chef de la photographie, Roxana Marcoci, a fait preuve de créativité pour dynamiser la collection d’Helen Kornblum, tout en y apportant sa vision. En effet, par le biais d’une imagerie calme et d’une scénographie respectueuse, l’exposition met l’accent sur la contemplation sans jamais oublier que, historiquement, les femmes photographes ont dû franchir une frontière ténue entre classicisme et provocation. 

Femmes puissantes

L’image lyrique de Justine Kurland, Bathers, 1998, donne le ton de l’exposition et illustre parfaitement la question principale posée : « Comment les femmes artistes ont-elles utilisé la photographie comme outil de résistance ? ». Cette image représente bien l’obsession de Kurland de photographier des jeunes filles à l’orée de la féminité tout en les montrant en pleine maîtrise de leur environnement, comme si elles vivaient dans un monde dépourvu d’hommes.

En contrepoint, la photographie emblématique de Ruth Orkin (en Une) montrant la mannequin Ninalee Craig traversant avec assurance un groupe d’hommes admiratifs à Florence, renvoie directement aux codes de la séduction. L’image semble montée de toutes pièces, mais lorsque Orkin et Craig se rencontrent en 1951 dans le même hôtel à Rome, elles décident de parcourir la ville, de faire du shopping, de visiter les sites touristiques… Quand cette photo est interprétée comme un exemple de machisme, Craig répond : « Cette photographie n’est pas un symbole de harcèlement. C’est le symbole d’une femme qui passe un moment merveilleux… Les hommes italiens apprécient beaucoup. »

Mariana Yampolsky, Mujeres Mazahua (Mazahua Women), 1989. Gelatin silver print, 13 5/8 × 18 1/2 in. (34.6 × 47 cm). The Museum of Modern Art, New York. Gift of Helen Kornblum in honor of Roxana Marcoci. © 2022 Estate of Mariana Yampolsky
Mariana Yampolsky, Mujeres Mazahua (Femmes Mazahua), 1989. Tirage gelatino-argentique, (34,6 × 47 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Succession de Mariana Yampolsky
Catherine Opie, Angela Scheirl, 1993. Épreuve chromogène, (49,1 × 38,1 cm). Musée d'art moderne, New York. Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Catherine Opie, avec l'aimable autorisation de Regen Projects, Los Angeles et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul
Catherine Opie, Angela Scheirl, 1993. Épreuve chromogène, (49,1 × 38,1 cm). Musée d’art moderne, New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Catherine Opie, avec l’aimable autorisation de Regen Projects, Los Angeles et Lehmann Maupin, New York, Hong Kong et Séoul
Tatiana Parcero, Cartographie intérieure n° 35, 1996. Épreuve chromogénique et acétate, 23,8 × 15,7 cm (9 3/8 × 6 3/16 po). Musée d'art moderne, New York. Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Tatiana Parcero
Tatiana Parcero, Cartographie intérieure n° 35, 1996. Épreuve chromogène et acétate, (23,8 × 15,7 cm). Musée d’art moderne, New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Tatiana Parcero
Lola Álvarez Bravo, Frida Kahlo, vers 1945. Tirage gélatino-argentique, (21,3 × 15,9 cm). Musée d'art moderne de New York (Moma). Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. © Center for Creative Photography, Fondation de l'Université d'Arizona
Lola Álvarez Bravo, Frida Kahlo, vers 1945. Tirage gélatino-argentique, (21,3 × 15,9 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © Center for Creative Photography, Fondation de l’Université d’Arizona

En scrutant les œuvres de l’exposition, en ressort l’image de femmes puissantes et pleines d’assurance. Le fait d’être photographiée par une autre femme n’est pas anodin. De Head of a Dancer de Lotte Jacobi (1929), à la puissante Woman de Margaret Bourke-White (1936), en passant par l’artiste Angela Scheirl prise par Catherine Opie (1993), ces images et d’autres encore permettent au spectateur de s’imprégner du thème sans aucune impression de superficialité. 

Par moments dans l’exposition, certains sujets reviennent, sans vraiment évoquer la photographie comme outil de résistance : se maquiller en se regardant dans un miroir, des natures mortes assez classiques…

Heureusement, ces redondances sont interrompues par les autoportraits de Lorie Novak, 1987, et le portrait fascinant de Tiny, Halloween, Seattle, 1983, de Mary Ellen Mark, tiré de son étude célèbre sur des sans abri et des jeunes désoeuvrés. On découvre que la photographe américaine a suivi son sujet pendant plus de trente ans, créant ainsi l’un de ses plus importants projets au long cours.

Marie Cosindas, Masques, Boston, 1966. Impression par transfert de colorant, 25,4 × 17,8 cm (10 × 7 in). Musée d'art moderne, New York. Don de Helen Kornblum. 2022 Marie Cosindas
Marie Cosindas, Masques, Boston, 1966. Impression par transfert de colorant, (25,4 × 17,8 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum. © 2022 Marie Cosindas
Susan Meiselas, Masque traditionnel utilisé lors de l'insurrection populaire, Monimbo, Nicaragua, 1978. Épreuve chromogénique, 23 1 ⁄2 × 15 3⁄4 in. (59,7 × 40 cm). Musée d'art moderne, New York. Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. 2021 Susan Meiselas
Susan Meiselas, Masque traditionnel utilisé lors de l’insurrection populaire, Monimbo, Nicaragua, 1978. TIrage chromogène, (59,7 × 40 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2021 Susan Meiselas
Louise Lawler, Sappho et le patriarche, 1984. Tirage argentique à l'eau de Javel, 101 × 69,9 cm (39 3/4 × 27 1/2 in.). Musée d'art moderne, New York. Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Louise Lawler
Louise Lawler, Sappho et le patriarche, 1984. Tirage argentique, (101 × 69,9 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Louise Lawler

Mais c’est au milieu de l’exposition que le commissariat prend son envol, avec audace. Encadrées par l’image sans doute la plus connue de Carrie Mae Weems, intitulée Untitled (une mère et sa fille se maquillant), 1990, et Sappho and Patriarch, 1984, de Louise Lawler, les œuvres de Cara Romero, Catherine Opie, Jeanne Dunning et Amanda Ross-Ho s’attaquent à la question de la représentation des genres. La scénographie de cette section attire l’attention par son rythme, jouant magistralement avec l’échelle et la couleur.

Se faire une place

Mère et enfant, vallée de San Joaquin, 1938. Épreuve à la gélatine argentique, 7 × 9 1 ⁄2 po (17,8 × 24,1 cm). Musée d'art moderne, New York. Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. Dorothea Lange
Mère et son enfant, vallée de San Joaquin, 1938. Épreuve à gélatino-argentique, (17,8 × 24,1 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © Dorothea Lange

Dans la centaine d’images exposées, il y a des moments forts, comme avec Up in the Sky, 1997, de Tracey Moffat, et A Funeral Procession in Jinotepe for Assassinated Student Leaders, 1978, de Susan Meiselas.

Ce n’est qu’à partir de la troisième section de l’exposition, avec la série Exposure de Barbara Probst, qu’un autre fil rouge apparaît. Celui évoquant le médium au service du message. Le projet de probst est troublant et rappelle étrangement le modus operandi de la Stasi, la police politique de la RDA (République démocratique allemande) de 1950 à 1990 dont la mission principale était d’espionner la population.

La déambulation de deux femmes dans une rue de New York, où plusieurs images d’une même scène sont prises simultanément par plusieurs appareils via un système télécommandé, est empreint d’un sentiment d’inquiétude qui fait froid dans le dos.

Barbara Probst, Exposition #78, N.Y.C., Collister & Hubert St., 06.22.10, 19:56 p.m., 2010. Deux impressions jet d'encre, (chacune de 47,6 × 71,1 cm). Musée d'art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Barbara Probst
Barbara Probst, Exposition #78, N.Y.C., Collister & Hubert St., 06.22.10, 19:56 p.m., 2010. Deux impressions jet d’encre, (chacune de 47,6 × 71,1 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Barbara Probst
Rosemarie Trockel, tiré d'un magazine français, 2005. TIrage chromogène, (52,7 × 48,3 cm). Musée d'art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Rosemarie Trockel
Rosemarie Trockel, tiré d’un magazine français, 2005. TIrage chromogène, (52,7 × 48,3 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Rosemarie Trockel
Imogen Cunningham, Trois harpes, 1935. Tirage à la gélatine argentique, 9 5⁄8 × 7 1⁄2 in. (24,4 × 19,1 cm). Musée d'art moderne, New York. Don de Helen Kornblum en l'honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Succession d'Imogen Cunningham.
Imogen Cunningham, Trois harpes, 1935. Tirage gelatino-argentique, (24,4 × 19,1 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Succession d’Imogen Cunningham

A travers toutes ces photographies, Our Selves nous montre que les femmes photographes ont dû batailler pour se faire une place dans un milieu traditionnellement dominé par les hommes. Si une seule image devait résumer cette idée, c’est bien celle de Susan Meiselas, Tentful of Marks, Turnbridge, Vermont, 1974 : montrant des hommes obnubilés par les charmes d’une danseuse, dont l’image ne montre que les jambes. En se concentrant sur leurs visages qui observent la danseuse, Meiselas prend définitivement position contre la représentation traditionnelle de la femme.

Hulleah J. Tsinhnahjinnie, Vanna Brown, Azteca Style, 1990. Photocollage, (59,8 × 76,2 cm). Musée d’art moderne de New York. Don de Helen Kornblum en l’honneur de Roxana Marcoci. © 2022 Hulleah J. Tsinhnahjinnie

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