Vingt ans après « reGeneration », une exposition qui avait réuni le meilleur des étudiants et anciens élèves des écoles de photographie internationales, Photo Élysée place à nouveau la jeune création au cœur de sa programmation. « Gen Z. Un nouveau regard » est « une masse », comme l’affirme Nathalie Herschdorfer, directrice du lieu culturel. « Une masse, car ce que nous souhaitions, c’est mettre en avant une voix collective. »
Ce sont 66 photographes qui se partagent ainsi les cimaises du musée pour révéler aux visiteurs les thématiques qui animent toute une génération. « Nés entre 1990 et 2010, ces auteurs vivent avec internet depuis l’enfance, ils ont été témoin de l’accélération des mouvements sociaux, qui font communautés sur les réseaux. Ils n’ont plus besoin de voyager pour avoir un avis sur ce qui se passe dans le monde, et savent qu’ils sont en mesure de diffuser leurs images partout », résume Nathalie Herschdorfer. Autant d’évolutions qui forgent, en quelques années seulement, une manière tout autre de penser la série photographique, ou même la simple création.
Au cœur de l’espace, l’humain est véritablement mis en avant : d’une pièce à l’autre, très peu de paysages, mais plutôt des variations autour de ce que l’Homme représente : un être victorieux et fier, ou bien un simple corps blessé, maltraité. Parfois solitaire, cherchant la paix par la déconnexion ou bien déterminé à proclamer son identité. Partout, il se révèle en se dénudant, se pare de costumes, s’apaise et se bat, se reflète, se déforme et s’exhibe. Il devient, en fait, pluriel. Et en partant de lui, les curatrices Hannah Pröbsting et Julie Dayer ont imaginé un parcours, de la place que l’on se trouve à la déconstruction des pensées dominantes. Au détour du parcours, des luttes : intimes, politiques, environnementales.
La maison, entre soutien et combat
Au début du voyage, il y a le foyer. Ce lieu qui nous voit grandir, symbole de refuge ou de violence. Un espace fondateur de notre identité que de nombreux photographes de la Gen Z explorent. Par la mise en scène de deux corps – le sien et celui de sa mère – la Suisse Lorane Hochstätter s’interroge sur son positionnement face aux normes féminines qu’on lui a inculquées : des concepts hérités de l’ancienne mannequin qui l’a élevée.
Sur les images, les postures troublent, oscillent entre soutien et combat, tandis que les joues des deux femmes s’écrasent et que leurs mains s’attrapent. Dans une curieuse maison de poupée, Francesca Hummler, photographe américano-allemande, brouille quant à elle toute notion d’échelle en plaçant sa sœur d’adoption au cœur de son projet. Le décor – vieil héritage familial – devient alors symbole d’une légitimité qu’elles convoquent, un lieu qu’elles clament comme leur appartenant, à l’abri de tout sentiment discriminatoire.
Mais, non loin, la maison de Sara de Brito Faustino bouleverse ensuite la représentation d’un foyer rassurant et chaleureux. « Celle-ci est le témoin des cicatrices du passé », annonce l’artiste portugaise et néerlandaise. Ici, une demeure de chair est percée par le métal de multiples cintres, là, la peau d’un corps s’écaille, ou bien l’un de ses membres plâtrés sèche, près de la vaisselle : on y devine des ruines dans les stigmates qui peinent à guérir, le corps qui a mal, et la familiarité des pièces qu’on connaît, pourtant, toujours par cœur. Une ambivalence qui interroge : comment appréhender le foyer lorsque celui-ci ne peut plus nous promettre la sécurité ?
Une question que Thembinkosi Hlatshwayo aborde à son tour. Dans son travail, le photographe sud-africain revient sur son enfance, passée dans une maison qui abritait un bar. « Les réalités auxquelles j’étais confronté dans cet endroit me poussaient à vouloir le fuir », confie-t-il. Un sentiment qu’il convoque dans ses créations fantomatiques, où des silhouettes floues apparaissent et s’effacent, anonymes et sombres dans un univers monochrome tâché d’éthanol.
Figer l’insoutenable et le merveilleux
En dehors du foyer, c’est finalement la construction d’une identité qui germe au rythme de l’émancipation des artistes de la Gen Z. Signant l’affiche de l’exposition, Daniel Obasi capture, tout d’abord, la beauté d’une manifestation : la jeunesse nigérienne s’unissant pour protester contre le gouvernement et ses systèmes d’oppression. Un rassemblement violemment réprimé par l’État que le photographe choisit d’immortaliser pour sa puissance évocatrice. Sur ses images, les corps se dressent, fiers, et revendiquent leur rêve : celui d’un Nigeria idéal. Un véritable emblème, car ce sont justement ces corps qui constituent le véritable fil d’Ariane de l’évènement.
Chez Laurence Philomène et Mahalia Taje Giotto, ils se montrent nus, posent et deviennent des toiles sur lesquelles les auteurs écrivent, leur permettant de tracer, à même leur chair, les revendications qui les animent. Dans les œuvres de Mayssa Khoury et Matthieu Croizier, ils se plient, se quadrillent, se recroquevillent ou se séparent en différentes parties : ils soulignent la mouvance, comme la métamorphose. Entre jeux de dissimulation et révélation d’une identité queer faite de « morceaux », ils s’échappent des cases pour embrasser la fluidité.
Pour Charlie Tallott et D.M Terblanche, enfin, les corps nous sauvent : ils ressentent notre euphorie, nous permettent de créer. À coups de flashs puissants ou de noir et blanc contrastés, ces artistes font tour à tour de la photographie « un refuge » ou un « règlement de compte avec la douleur et ses conséquences », comme une manière de figer l’insoutenable autant que le merveilleux. Un acte d’une honnêteté radicale qui résonne au travers des salles. Une unité inattendue, mais rendue possible « grâce à la circulation des images qui font de ces thématiques des enjeux universels », concluent les commissaires.
« Gen Z. Un nouveau regard » est à voir à Photo Élysée, à Lausanne, jusqu’au 1er février 2026.