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Patrick Zachmann, révélateur de mémoire

Patrick Zachmann, révélateur de mémoire

Retour sur l’œuvre du photographe Patrick Zachmann, dans l’exposition « Voyages de mémoire » au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme.
Prière, rue des Rosiers, Paris, 1979 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Je suis devenu photographe parce que je n’ai pas de mémoire. La photographie m’a permis de reconstituer les albums de ma famille que je n’ai jamais eus. » écrit Patrick Zachmann. L’absence d’images dans la maison où il a grandi mais aussi le silence de ses parents l’ont guidé vers cette voie. Le silence d’un père, juif ashkénaze polonais né en France, dont les deux parents ont été déportés et assassinés en 1942 et d’une mère, juive séfarade d’Algérie, « désireuse d’oublier la misère de sa famille dans le Maghreb colonial », écrit Paul Salmona, co-commissaire (en binôme avec le photographe) de l’exposition introspective « Voyages de mémoire » qui a lieu jusqu’au 6 mars 2022 au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme. « Mon travail le plus important », affirme Patrick Zachmann.

Quand le photographe se lance dans son premier reportage en 1979 sur les juifs orthodoxes, les hassidims, « ces juifs visibles », il ne sait rien ou presque de son histoire de famille, ni du judaïsme. Patrick Zachmann est né et a grandi en France dans un foyer laïc déjudaïsé. À la maison, son père ne lui parle ni hébreu, ni yiddish. Ils ne fêtent ni shabbat, ni Yom Kippour. « Ma mère, bien que croyante, ne pratiquait plus du tout et cuisinait “français” : pas de couscous maison mais tout de même la chakchouka et ses fameuses boulettes. Mon père, fervent athée, se sentait intérieurement juif, bien sûr, mais était fier d’être français. Il aimait la France et Paris. » Aux yeux de Patrick Zachmann, les juifs orthodoxes sont eux les juifs, pas lui.

Autoportrait avec ma mère, Paris, 1983 © Patrick Zachmann / Magnum Photos
Une photographie de ma mère datant des années 1940, Nice, 2011 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

Après cette communauté, le photographe se rend en Israël photographier les rescapés de la Shoah lors du premier rassemblement mondial des survivants qui a lieu à Jérusalem. Le photographe n’est alors pas encore conscient qu’il suit les traces de ses grands-parents. « Je fais d’abord des photos, je suis attiré par un sujet que j’explore » . C’est ensuite lors de la sélection des images, durant l’editing, moment que le photographe affectionne particulièrement, que les liens se révèlent. Parfois, c’est même plus tard, des années après qu’il réalise ce qui l’a mené à photographier un sujet. Une image en rappelle une autre, la photographie devient révélatrice. « La photo, par son silence, parvenait à me faire exprimer ce que je n’arrivais pas à exprimer. La photographie est forte dans l’expression des tabous. » 

Avec le temps, Patrick Zachmann poursuit sa quête d’identité : il photographie des membres des groupes extrémistes juifs à Paris, part à la rencontre de vieux ashkénazes qui se retrouvent au parc des Buttes-Chaumont tous les jours, il fréquente les bals, inspiré là par les portraits de Diane Arbus dans les années 1950-1960 et par le court-métrage Pourvu qu’on ait l’ivresse de Jean-Daniel Pollet, dont le photographe a adoré les atmosphères du dancing où évolue l’acteur Claude Melki.

Monsieur et Madame Friedmann, Paris, 1981 © Patrick Zachmann / Magnum Photos
Salle Gaveau, Paris, 16 mars 1981 © Patrick Zachmann © mahJ

Après avoir commencé par explorer l’identité « visible » des hassidims, il réalise des portraits de toutes sortes de juifs : des religieux, des non croyants, des artistes, des commerçants, des riches, des pauvres… « Je voulais ainsi déconstruire certains clichés et dresser un portrait subjectif des juifs de France qui les montrerait dans leur diversité et, finalement, dans leurs identités multiples. »

Toutes ces séries résonnent avec son histoire personnelle. « J’avançais intuitivement d’une identité à l’autre pour me rapprocher de la mienne par négation, par exclusion des identités dans lesquelles je ne me reconnaissais pas », rappelle Patrick Zachmann. « La photographie est un fabuleux miroir qui, à travers les autres, anonymes ou proches, vous renvoie à votre propre image. » Mariages, Bar-mitzvahs, fêtes juives à la maison, accouchements, portraits assis ou bien debout, Patrick Zachmann finit par photographier ses proches, sa famille, il découvre les membres du côté de sa mère qu’il connaissait peu. Une famille séfarade élargie : des cousins, des cousines, des grands-tantes. En 1987, il publie aux éditions Contrejour le livre Enquête d’identité, sélection d’images prises durant toutes ces années sur et autour de l’identité juive.

Cimetière de Bagneux, 1981 © Patrick Zachmann / Magnum Photos
Mémorial de Yad Vashem, Jérusalem, 1981 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

Patrick Zachmann devient membre à part entière de l’agence Magnum en 1990 (il l’avait intégrée en 1985) et se lance dans de nombreux reportages hors de France. « Je suis photographe et journaliste mais jamais au même moment », assure-t-il. Son activité le mène en Afrique du Sud, en 1990, désireux de vivre en direct ce moment historique qu’a été la libération de Nelson Mandela. Il se retrouve dans une manifestation d’Afrikaners qui brandissent des drapeaux nazis. Il va au Chili, en 1999, à la recherche des traces des camps de prisonniers politiques dans le désert d’Atacama. « Je découvre un pays dont l’amnésie me stupéfie mais m’attire d’autant plus que je sens qu’il renvoie confusément à mes démêlés avec la mémoire. Je comprends vite que l’essentiel est souterrain, que les séquelles du régime ne sont pas visibles. » 

Six ans après le génocide des Tutsis, il se rend au Rwanda, dont il rapporte des portraits de survivants et des images d’ossuaires qui évoquent implacablement l’ampleur du crime de masse. La même année, il fait le voyage d’Auschwitz-Birkenau, où furent assassinés ses grands-parents paternels. Ce dernier voyage est presque forcé. « J’avais toujours pensé pouvoir éviter d’aller à Auschwitz. C’était pour moi le lieu de mémoire par excellence. Il existait, je le savais. C’était essentiel et cela me suffisait. » C’est un ami réalisateur qui lui demande de le remplacer à l’occasion d’un voyage avec des lycéens. « Aller à Auschwitz à la place d’un autre : l’idée nous fait sourire, mais non merci, je n’y tiens pas ! » se dit d’abord Patrick Zachmann qui finalement accepte et ne le regrettera pas. Il reviendra avec des images panoramiques glaçantes des camps et des restes des crématoires que les nazis avaient détruits avant leur déroute.

Survivants tutsis, Rwanda, 2000 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

Ce qui était mis sous silence dans le privé est devenu parole publique à travers l’appareil photo et la caméra de Patrick Zachmann, qui est aussi réalisateur. Il filmera ses parents, l’un après l’autre, il fera parler son père sur ses parents assassinés dans La Mémoire de mon père, une vidéo émouvante, et sa mère sur son passé en Algérie, dans Mare Mater, où le photographe confrontera sa propre histoire familiale à celle des migrants d’aujourd’hui. Tout le long de l’exposition, on suit le photographe enquêter sur l’histoire, la mémoire et les souvenirs enfouis, il cherche à combler les silences, les absences et les manques. Patrick Zachmann devient alors un révélateur de mémoire, juive ou non, peu importe, le photographe nous emmène à nous souvenir de notre histoire et de celle des autres.

Par Sabyl Ghoussoub

Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.

« Voyages de mémoire », de Patrick Zachmann. 2 décembre 2021 – 6 mars 2022, Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, Paris.

Voyages de mémoire, livre publié par Atelier EXB / Éditions Xavier Barral en coédition avec le MAHJ.

Soirée privée, Paris, 1981 © Patrick Zachmann / Magnum Photos
Parc des Buttes-Chaumont, 1983. À droite, Jacques et Hélène Grabstock © Patrick Zachmann / Magnum Photos

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