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Larry Fink, le marxiste de Long Island

Larry Fink, le marxiste de Long Island

À bientôt 80 ans, l’Américain Larry Fink revient sur son parcours extraordinaire de photographe, alors qu’une nouvelle rétrospective de son travail a lieu à Cologne, en Allemagne.

« Je suis né communiste », raconte Larry Fink, qui aura 80 ans en mars. Celui qui se décrit lui-même comme le « marxiste de Long Island » se fait d’abord remarquer par la critique avec Social Graces. Cette série éclaire les contrastes entre la vie à Martins Creek, en Pennsylvanie, où l’artiste réside depuis les années 1970, et celle de la haute société de New York, au cours de la même décennie. Exposées au Museum of Modern Art en 1979, puis publiées dans une monographie par Aperture en 1984, ces œuvres le catapultent sur le devant de la scène, alors même qu’il refuse toute ambition carriériste, préférant user de la photographie pour atteindre ses objectifs politiques.

« Ma mère était communiste. Elle était douée pour l’organisation, et elle n’avait peur de rien. C’était également une bourgeoise, qui adorait les étoles de vison. Quant à mon père, c’était un homme gentil, patient, féru de philatélie. Ils avaient un peu d’argent, et ils se promenaient en Stutz Bearcat, partaient voyager en Floride et menaient la belle vie. Ils aimaient se divertir, aller en soirée et écouter du jazz. Mon enfance s’est donc déroulée dans la contradiction », se souvient Larry Fink.

The Vanities, Meryl Streep and Natalie Portman LA, 2009 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen

« Ma sœur Liz et moi-même avons été élevés à croire qu’un nouveau monde allait naître des cendres de l’ancien, que toutes les vieilles cruautés du capitalisme finiraient par se dissiper. Nos parents voulaient en finir avec le concept des classes sociales, fermement convaincus que tout allait se purifier. Ils avaient tort. Mais ce n’est pas pertinent. Ils avaient raison de croire qu’ils pouvaient y arriver. »

Vers le début des années 1960, Fink s’installe à New York, dans un appartement aménagé au dernier étage d’un brownstone. Pour un loyer mensuel de 35 dollars, il a vue sur le Tompkins Square Park, dans l’East Village, et pour 22 dollars de plus, il se loue une boutique donnant sur l’East Street, juste à côté d’un garage mafieux. « Avec 57 dollars par mois, j’avais un empire tout à moi », se souvient Fink, avec tendresse.

« Je ne travaillais pas pour avoir une carrière, mais pour la révolution. Lorsque je prenais des photos dans la rue, il ne s’agissait pas pour moi de trouver une idée de papier à vendre à Look magazine. Ce n’était pas mon genre. Le succès ne présentait pour moi strictement aucun intérêt. Ce qui me passionnait, c’était la victoire, la révolution, et la métamorphose de la culture émotionnelle humaine, qui rendrait notre monde plus merveilleux. On ne peut pas dire que la révolution ait vraiment abouti, alors ce qu’il m’est resté, c’est la carrière. »

Stag Party, March 1994 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen

Jeune homme

À l’occasion de l’exposition Larry Fink: Retrospective, à la Galerie Bene Taschen de Cologne, en Allemagne, Larry Fink passe en revue certains de ses ouvrages majeurs: The Vanities, Social Graces, The Beats, Somewhere There’s Music, et Boxing Images. Tel un grand musicien, il est conscient que le public a soif de communier avec ses grands succès. Mais en tant qu’artiste, il est constamment en quête d’autre chose, et s’impose ainsi d’explorer de nouveaux territoires. 

Un état d’esprit qui l’habite depuis ses 13 ans, alors qu’il découvre son premier appareil photo. « C’était tout simplement un loisir, et je ne répondais pas à ce que souhaitait Dickie Lipton. Lui, il photographiait les équipes de sport, et moi, je passais mon temps à me rebeller contre tout ce qui pouvait tenir du systématique. Alors ce que je prenais en photo, c’étaient les bois », se souvient-il.

Pat Sabatine’s Eighth Birthday Party, Martins Creek Pennsylvania, April 1977 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen

Élevé dans un contexte artistique, Fink a été initié aux travaux des adeptes du réalisme socialiste, farouches opposants de l’expressionnisme abstrait pour lequel la scène artistique new-yorkaise s’est enflammée. « Pour ma part, j’aime l’expressionnisme sous toutes ses formes, car il représente la force de vie. C’est ainsi que ma pensée s’est formée. Ce qui m’importait le plus, ce n’était pas le bord politique, mais plutôt qu’on ne soit jamais satisfait, car l’énergie est faite de mystère. C’est l’énergie qui nous fait vivre et avancer. »

Pendant ses années formatrices, Fink fait ses armes sous la houlette de Lisette Model, photographe légendaire qu’il décrit comme une « énergiste », et qui lui donne le conseil suivant : « Larry, on ne doit jamais juger. On ne sait pas qui l’on va devenir. Regarde cette femme, qui pour toi n’est qu’une vieille bouffie et dédaigneuse. Un jour, tu seras peut-être comme elle, parce que chacun d’entre nous n’est qu’un organisme humain. Nous évoluons, chacun comme il peut. Tout se passe bien pour certains, et d’autres n’ont pas cette chance. Tu dois comprendre que l’énergie la plus puissante, c’est celle de l’empathie, de la compassion. »

Partant du principe que l’empathie ne relève pas de la sentimentalité, Fink comprend qu’en s’abstenant de tout jugement, il pourra dévoiler certains des aspects les plus épineux et complexes de la condition humaine. « Ma mère avait en elle une bonne dose de malveillance, et j’en ai hérité. Mais cela m’a permis de comprendre à la fois le bien et le mal. Je reconnaissais en moi la capacité à être bon, ou mauvais. »

Aller-retour de la ferme à Park Avenue

Après avoir emménagé à Martins Creek, alors qu’il s’achète une tondeuse à gazon, Fink rencontre la famille Sabatine, qui sera au cœur de sa série. « Le fait de les photographier ne correspondait pas à un projet mais à une dynamique de vie. Je photographie là où je me trouve, et ma vie, c’est ça », explique-t-il.

À l’époque, sa première épouse, l’artiste peintre Joan Snyder, fait sensation dans le monde de l’art. Elle préfère toutefois l’ambiance chaleureuse et familiale de la campagne. « Parfois, elle refusait même d’aller aux soirées. J’y allais à sa place et en quelque sorte, je lui en rapportais les preuves », raconte Fink.

Larry Fink A sabatine Christmas, Martins Creek, Pennsylvania, December 1983 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen

« Je donnais des cours à la Parson’s School of Design, et une de mes étudiantes, une fille des quartiers résidentiels, m’a présenté à la English Speaking Union et au Russian Ball, avec toutes les traditions du genre, comme les bals de débutantes. J’y suis allé avec l’idée politique que j’allais travailler comme Eugène Atget à Paris, et que cette strate de la population allait s’estomper, se dissiper avec le temps. Ce ne fut pas le cas, de toute évidence. »

Ce qui est resté, cependant, ce sont les clichés de deux mondes qui sinon ne se seraient jamais rencontrés. On y voit ce que les Américains décrivent comme les « have », ceux qui ont, et les « have-not », ceux qui n’ont pas. Le concept ne s’applique pourtant qu’au statut social et à la fortune, car sous le vernis du luxe se dissimule une autre vérité.

« S’il est une chose que j’ai apprise, c’est de ne pas avoir de hiérarchie. Je n’ai en moi aucun système de classification sociale. On est qui on est, je suis qui je suis, et c’est ainsi que nous fonctionnons ensemble », affirme-t-il.

New York Magazine Party New York, October 1977 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen

Fink raconte ses soirées en ville. Il lui faut à l’époque quatre heures pour rallier Manhattan depuis Martins Creek, et autant pour en revenir, un trajet qu’il fait à 70 kilomètres à l’heure, à bord de son vieux 4×4 antédiluvien, équipé d’une lame chasse-neige. « Je le garais sur Park Avenue. Impossible de le fermer à clé, mais personne n’aurait eu l’idée de le voler. J’en descendais, j’allais à la fête, et je me sentais angoissé. J’avais l’impression d’aller infiltrer un monde secret. Je me dirigeais droit sur le bar, et j’avalais cinq gin tonics d’un coup. Ce n’est qu’à partir de là que je pouvais me normaliser, faire bonne figure et me mettre au travail », se souvient-il.

« Je travaillais toute la soirée et vers minuit, quand les choses commençaient à se calmer, j’allais aux toilettes, je me fumais un joint, et ensuite, je remontais dans mon bahut. Quatre heures de route pour rentrer à Martins Creek, puis la chambre noire, et je développais mes clichés pour le matin même ! Il avait de l’énergie, le garçon ! Le jour suivant, ou dans la semaine, je me retrouvais à la boutique de tondeuses des Sabatine, et je passais du temps avec eux. C’était une sacrée vie. Ça l’est toujours. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen is a New York-based writer focusing on art, photography, and culture. Her work has been published in books, magazines, and websites including Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed, and Vice, among others.

George Plimpton, Jared Paul Stern, and Cameron Richardson January 1999 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen

Larry Fink: Retrospective 
Du 27 janvier au 3 avril 2021
Galerie Bene Taschen 
Moltkestrasse 81, 50674 Cologne, Allemagne
Uniquement sur rendez-vous.
https://www.benetaschen.com/exhibitions/larry-fink-retrospective/ 

Peter Beard Opening Party New York, New York, November 1977 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen
Cecilia At Home Bologna, Italy, May 2018 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen
GQ Party, August 1997 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen
The Vanities, Sean Diddy Combs LA, 2001 © Larry Fink courtesy Galerie Bene Taschen

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