Blind Magazine : photography at first sight
Photography at first sight
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DERRIERE L‘IMAGE – Le labyrinthe du temps

INSIDE THE FRAME – The labyrinth of time

À l’occasion d’une exposition du travail de Wright Morris au FOAM d’Amsterdam, Blind s’attarde sur l’une de ses images. L’exposition emprunte son titre à l’une des séries les plus emblématiques de l’écrivain et photographe américain, The Home Place, qui elle-même tire son nom d’une ferme familiale de Morris et dépeint la vie en Amérique rurale à la fin des années 1940.

Avril et mai 1947 furent une période d’activité intense pour Wright Morris. Agé de trente-sept ans, il retourna à Norfolk, dans le Nebraska, où il avait passé sa petite enfance avant d’adopter (par le jeu des circonstances, puis délibérément) un style de vie nomade. Les exploitations familiales d’où les gens tiraient leur subsistance, les sols brûlés par le soleil, les bancs de neige condamnant l’entrée des maisons en hiver, les silos à grains s’élançant vers le ciel comme des chapelles dans le paysage sans reliefs hantaient son imagination et nourrissaient sa prose. Équipé d’une chambre 4×5, Morris se rendit dans la maison de son oncle Harry et sa tante Clara et, en quelques semaines seulement, il réalisa un nombre impressionnant de photographies manifestant, de manière frappante, la passion réfléchie de son regard.


Wright Morris, The Home Place, Norfolk, Nebraska, 1947 © Succession Wright Morris.

Le miroir ovale encadre le reflet d’un espace domestique où une multitude de portraits de famille témoignent de la persévérance  humaine et de l’attachement à la terre. Chaque objet porte les traces d’une longue utilisation: les rideaux des fenêtres, taillés dans un tissu acheté par correspondance, sont décolorés par le soleil; le papier peint aux fleurs passées, posé avec soin et inexpérience, se gondole et se décolle sur les bords. Le tapis trop coûteux, cependant, n’est déroulé que dans les occasions festives. Les pans de motifs floraux, de part et d’autre du miroir, et le ruban champêtre qui y est gravé donnent à la maison un caractère accueillant. Un intérieur tout simple, et pourtant,  le spectateur ne peut appréhender la configuration des lieux : y a-t-il une ou deux fenêtres ? Qu’y a-t-il derrière la porte ? Que fait-elle là, coincée entre une table et un rideau tiré ? La maison est un labyrinthe: la porte avait été retirée de ses gonds et appuyée contre le mur. Le cadre rond, assombri par l’âge, est un centre décalé qui se replie sur les zones d’ombre, les attirant à lui. Le jeu des angles et des surfaces inclinées est presque vertigineux. De plus, le vieux miroir imparfait reflète une image ondulée, comme sont représentés les visions de rêve et les flashbacks dans les films.

Wright Morris recherchait « la trace d’un homme dans les artefacts révélant sa mort ». En montrant l’empreinte que laisse sur le monde celui qui l’habite, c’est la présence humaine qu’il a voulu saisir. Le miroir, métaphore par excellence de la photographie, nous renvoie une image où s’accumulent des sédiments d’existence, faisant un instant oublier au spectateur l’absence de reflet vivant.
 

Par Ela Kotkowska

Wright Morris – The Home Place

24 janvier – 5 avril 2020 

Foam Fotografiemuseum, Keizersgracht 609, 1017 DS, Amsterdam

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