Originaire de Red Hook, à Brooklyn, Jamel Shabazz n’avait que neuf ans lorsqu’il a découvert le livre de Leonard Freed publié en 1968, Black in White America. Ce livre, illustrant les difficultés auxquelles les Afro-Américains étaient confrontés dans la lutte pour les droits civiques, montrait à Shabazz le pouvoir de la photographie pour transformer notre vision du monde et de la place qu’on y occupe.
Fils d’un photographe de la marine américaine, Shabazz comprit que l’appareil photo était un outil que l’on pouvait utiliser à la fois pour rendre compte de la vie et la protéger. Il commença à prendre des photos au lycée, après quoi il entra dans l’armée. En 1980, lorsque Shabazz revint chez lui, il prit conscience de l’impact de la violence armée sur la communauté, et des ravages que le crack et le SIDA causeraient en quelques années seulement. La photographie est rapidement devenue une vocation pour Shabazz, qu’il a suivie durant des années sans être reconnu ni rémuneré.
Shabazz s’est plutôt fié à son instinct, comprenant que la photographie était plus qu’un médium ou une marchandise : c’était un moyen de se connecter avec une nouvelle génération d’adolescents de couleur arrivant à l’âge adulte dans une nation qui les avait systématiquement pris pour cibles depuis des siècles. Parallèlement à ses activités d’agent pénitentiaire au service de la police de New York, Shabazz parcourait les rues, profondément touché par ces gens qu’il y rencontrait, et voyant en eux quelque chose qu’il cherchait à préserver grâce à son travail.
Capturer la vie en un instant
Comme Walker Evans, Helen Levitt et Bruce Davidson, Shabazz a jugé que les transports en commun de New York étaient le cadre idéal pour faire des photos ; mais contrairement à ceux qui l’ont précédé, il s’est souvent lié avec ses sujets avant de faire leur portrait. « Pour moi, avoir des conversations constructives était beaucoup plus important que la photographie elle-même », révèle Shabazz dans City Metro (Galerie Bene Taschen), livre récemment paru qui recueille des photographies prises dans les trains et les bus de 1980 à 2018.
Comme Freed, Shabazz s’est intéressé profondément aux personnes qu’il a photographiées aussi bien qu’aux conditions dans lesquelles elles vivaient. Ce qu’il s’est attaché à montrer, c’est non seulement une beauté majestueuse, mais aussi un désespoir poignant, lié à la pauvreté et à l’absence de domicile fixe qui affectent la ville depuis des décennies. Contrairement à tant de photographes observant, de l’extérieur, les classes défavorisées, Shabazz n’a jamais méprisé les sujets de ses images, celles-ci véhiculant un sentiment d’humanité et de compassion qui est absent de tant d’autres.
Bien que l’on considère le travail de Shabazz comme un document sur la culture hip-hop des premières heures, à New York, il est beaucoup plus profond que cela. Ses portraits d’adolescents portant des lunettes Cazal, des baskets Puma, des vestes en cuir, des chaînes en or et des jeans de designer reflètent un sentiment de fierté qui définit et transcende à la fois la culture de l’époque, comme une extension naturelle du talent artistique, de la résilience et de la résistance qu’il a fallu aux noirs pour survivre en Amérique au cours des 400 dernières années.
Par Miss Rosen