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Les images cachées d'Alberto di Lenardo

Les images cachées d’Alberto di Lenardo

Récemment découvertes dans un grenier, 11 900 photos prises par Alberto di Lenardo dépeignent son Italie natale avec les riches couleurs du Kodachrome. Blind s’est entretenu avec la petite-fille de di Lenardo qui a retrouvé et publié ces images magiques.
© Alberto di Lenardo

De nos jours, tout le monde recherche de nouvelles histoires légendaires comme celle de Vivian Maier, photographe dont on avait retrouvé le trésor photographique en 2009. Ce n’est pas le cas ici. Pas exactement. Mais celle d’Alberto di Lenardo est vraiment remarquable, et les 11900 photos qu’il a prises au cours de sa vie – la plupart dans son Italie natale, toutes saturées par les riches couleurs du Kodachrome – sont étonnantes, tant par leur beauté que par leur capacité à faire ressentir le tourbillon du temps qui passe. Di Lenardo a photographié toute sa vie, mais ses images sont restées enfouies dans son grenier secret (accessible uniquement par une porte dérobée) et, en dehors de sa famille, étaient inconnues jusqu’à peu de temps avant sa mort à 88 ans, en 2018. C’est alors que sa petite-fille, designer chez Mack Books, les a montrées à ses éditeurs. Ils ont été emballés et viennent de publier An Attic Full of Trains, un livre broché format roman contenant 145 images paisibles et émouvantes de di Lenardo.
 
Contrairement à Vivian Maier, cette étrangère qui réalisait des prises de vue d’inconnus et de scènes de rue singulières, di Lenardo photographiait souvent les gens qu’il aimait et les expériences qu’ils partageaient. Ce qui rend, cependant, ses images extraordinaires, c’est que loin de privilégier des moments uniques, di Lenardo a enregistré ceux que nous vivons tous, que nous voyons tous – un enfant regardant dans la rue par la fenêtre, du linge suspendu sur une corde, des bouteilles de coca abandonnées dans un stade désert -. Ils semblent, en quelque sorte, caractériser précisément ces moments, comme s’ils étaient arrachés à nos propres souvenirs sacrés. Feuilletez son album de famille, et vous aurez l’impression de parcourir les pages de votre propre vie.

© Alberto di Lenardo


Blind s’est entretenu avec la petite-fille de di Lenardo, Carlotta di Lenardo, à propos de la magie dans les photos de son grand-père, de la raison pour laquelle elles sont demeurées cachées durant des décennies, et de la manière dont ce joyau de livre a vu le jour.
 
 
Quand votre grand-père a-t-il commencé à photographier ?
Il a pris sa toute première photo en 1948 à 18 ans, à Bologne.
 
Il a réalisé près de 12 000 images en 88 ans. Avez-vous sa toute première ?
Oui. Il l’a accompagnée de cette légende : « Vue de ma maison sur l’avenue Risorgimento. Dans la maison d’en face, au dernier étage, vit une fille que j’aimerais rencontrer … » À partir de ce moment, il n’a cessé de prendre des photos. Et il a écrit des légendes détaillées pour chacune d’elles.
 
Votre grand-père n’était pas un photographe professionnel. Que faisait-il comme travail ?
Sa famille était originaire d’Udine, une région du nord-est de l’Italie, où il a vécu presque toute sa vie. C’était un entrepreneur fructicole et viticole qui travaillait dans le vignoble familial.

© Alberto di Lenardo

 
Avait-il étudié la photographie ?
Non. Il ne s’informait pas du travail des photographes célèbres et ne possédait pas de livres de photographie, mais il était abonné à des magazines qui parlaient des derniers appareils photo et des nouvelles techniques. La photographie était sa passion. La photographie et les trains.
 
D’une certaine manière, ces photos semblent susciter plus d’émotion que celles qu’un photographe prend, ordinairement, de sa propre famille. Qu’est-ce qu’il y a de particulier dans ces images ?
Je pense que le talent de mon grand-père réside, principalement, dans le choix du moment juste et la capacité à composer une image. Ses compositions sont très fortes, et il réfléchissait vraiment aux lignes, à la perspective, et à ce qu’il ne fallait pas inclure dans l’image. Mais les couleurs et l’appréhension de la lumière jouent également un rôle important, et rendent les images émouvantes à un autre niveau encore. On peut presque toujours ressentir un lien entre lui et le sujet ; c’est drôle, on ne peut pas vraiment faire la différence entre une photo de la maison où il a grandi et une maison dans laquelle il n’est peut-être resté que quelques instants. Je pense que c’est la raison pour laquelle des inconnus eux-mêmes peuvent s’identifier à ces images.

© Alberto di Lenardo

Était-il quelqu’un d’émotif ?
Il l’était au fond de lui, mais il ne le montrait jamais. Il était presque courtois dans ses manières, portait un veston même dans les occasions ordinaires. Il était calme et un peu formel, même avec nous. Il avait été éduqué ainsi. Donc le caractère romantique et doux de certaines de ses images a été une révélation, car il ne s’était jamais montré à nous sous ce jour-là. Lorsqu’il racontait des histoires, il avait des expressions de visage singulières et amusantes qui sont profondément gravées dans ma mémoire. Je peux voir sa personnalité dans chaque photo, et c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis si attachée à elles. C’était aussi l’une des personnes les plus méticuleusement organisées que j’aie jamais connues : il conservait chaque notice d’utilisation, chaque boîte, et tout, dans son studio, était soigneusement rangé et étiqueté. Très tôt, il a acheté un scanner et numérisé toutes ses photographies, puis il a jeté les négatifs. Pour lui, ils ne faisaient que prendre de la place. Comme vous pouvez l’imaginer, cette décision m’a brisé le cœur!
 

Comment avez-vous connu ses archives?
J’avais environ 16 ans, c’était un déjeuner du samedi comme les autres, chez mes grands-parents. La seule raison pour laquelle il m’a montré certaines de ses images était que, pendant le déjeuner, il m’avait raconté une histoire sur mon père et avait voulu que je voie des photos de ce moment-là. Je suis immédiatement tombée amoureuse de ces images et, à la fin du premier dossier, j’étais, en gros, devenue son marchand.

© Alberto di Lenardo

Quelqu’un d’autre avait-il vu ses photos?
Tout le monde dans la famille connaissait sa passion, mais personne ne s’est rendu compte qu’il s’agissait d’autre chose que de clichés de famille « ordinaires ».
 
Quel effet ces photos ont-elles eu sur vous?
Ces photos, et la manière dont il s’enthousiasmait en me les montrant, m’ont fait tomber amoureuse de la photographie et, vraiment, ont influencé toute ma vie professionnelle. Je pense que regarder ses images m’a inconsciemment orientée vers une certaine esthétique et, grâce à lui, j’ai décidé d’aller à Milan pour étudier la photographie. J’ai finalement étudié la retouche photo, la recherche d’images et la reliure de livres, et je suis tombée amoureuse des livres de photographie. Cela m’a conduite à Londres, où je travaille actuellement comme designer chez MACK.
 
Comment les photos sont-elles passées du grenier de votre grand-père à un livre publié?

Je travaillais par intermittence sur un livre de ses photos depuis près de cinq ans, mais quand j’ai appris que mon grand-père était vraiment malade, j’ai compris que je devais finaliser le projet. C’était en 2018, je vivais à Londres et travaillait chez MACK. J’ai imprimé un prototype et je l’ai apporté au bureau ; l’équipe en est tombée amoureuse et a décidé de le publier. Je ne pouvais y croire. C’était mon rêve de faire connaître mon grand-père à tout le monde. J’ai donné une maquette à mon père qui l’a apportée à mon grand-père, lors de l’une de ses dernières visites. C’est l’un des ultimes moments d’insouciance que mon père et son père ont passés ensemble, regardant simplement le livre, revivant des souvenirs, parlant de chaque image. Mon père a laissé la maquette à mon grand-père, qui est décédé peu de temps après.

© Alberto di Lenardo

Quand vous regardez ses photos aujourd’hui, que voyez-vous?
Mon grand-père a pris tellement de photos, depuis son très jeune âge jusqu’à ses toutes dernières années, que j’ai l’impression qu’il m’a livré tous ses souvenirs et secrets. Je connais chaque image par cœur. Lui et moi avions l’habitude de parler de ses amis et des voyages qu’il faisait comme si j’avais été là, avec lui, et donc, d’une certaine manière, nous avons pu partager ces souvenirs. La plupart des photographies ont été prises lors de voyages – sur des bateaux, dans la voiture, etc. – donc pour moi, elles traduisent une volonté de liberté et une attention à la vie. Chaque fois que je parcours ses archives, j’ai envie de prendre le large et vivre autant d’aventures que possible.


Par Bill Shapiro
Bill Shapiro est l’ancien rédacteur en chef du magazine LIFE.

An Attic Full of Trains

Editions Mack Books

£25.00 GBP

https://mackbooks.co.uk/products/an-attic-full-of-trains

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