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Trois regards sur la jeunesse russe

Trois regards sur la jeunesse russe

Avoir 10, 20 ou 30 ans en Russie ? Blind a repéré trois jeunes photographes issus d’une nouvelle génération, pour ne pas dire d’une nouvelle vague, qui s’emparent de sujets tels que l’histoire de leur pays, les disparités entre cultures rurales et grandes villes, ou encore la fête.

© Alexander Veryovkin

« J’observe les jeunes, la génération Z, qui ne connaît l’Union Soviétique qu’à travers ce qu’on leur raconte et les livres d’histoire. Ils ont été façonnés par un autre temps. Ils ont un mode de pensée différent », constate Alexander Veryovkin, photographe basé à St. Petersburg. Né peu avant la dislocation de l’URSS, il est comme beaucoup de sa génération intrigué par les indices visuels ou les situations qui témoignent d’un fossé entre l’ère soviétique et post-soviétique. 

Un véritable terrain de jeu photographique, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en regard des monuments de la fin du siècle passé et une jeunesse ultra-connectée, ouverte sur le monde et qui exprime à présent son engagement sur les réseaux sociaux, comme le prouvent les événements récents. Massivement relayées sur TikTok, les manifestations contre l’arrestation de l’opposant politique Alexei Navalny, ont galvanisé une partie de la jeunesse russe, que les autorités tentent de museler. Soit par de violentes arrestations, soit en censurant les contenus jugés « illégaux » sur les réseaux sociaux, soit en menaçant d’expulsion de leur université les étudiants qui participent aux protestations. 

Une nouvelle vague de photographes a à cœur de témoigner des changements, presque historiques, qui habitent et animent les millennials et la génération Z. Blind en a sélectionné trois. Trois regards qui dressent les portraits d’une jeunesse russe.

Alexander Veryovkin, regard sur l’histoire

© Alexander Veryovkin

« Je suis né en 1987, donc j’ai seulement eu un tout petit aperçu de la réalité soviétique (…) et même si je m’en souviens peu, j’ai le sentiment que cette ère se reflète en moi » nous confie Alexander Veryovkin, photographe de la puissante série Gazing at the Post-Soviet

Ce diplômé en astronomie, tire à l’origine le portrait de ses amis, de temps en temps, et de manière informelle. Puis de jeunes inconnus dans les rues de St. Petersburg, Volgograd, Mourmansk ou Moscou. A mesure qu’il poursuit ce travail, il est frappé par le contraste entre la génération Z et l’espace public dans lequel elle évolue. 

© Alexander Veryovkin
© Alexander Veryovkin

« Je suis arrivé à la conclusion que je suis attiré par le paradoxe entre la jeunesse russe, qui a grandi après l’effondrement de l’URSS, et l’espace dans lequel elle vit aujourd’hui, un espace toujours teinté d’idéologie, basé sur des symboles renvoyant au passé », analyse-t-il. 

Parfois, la discordance tant attendue est rattrapée par la réalité socio-économique de la Russie aujourd’hui. « J’ai assisté à une scène, à un carrefour, que je n’avais pas vue depuis la fin des années 1990 en Russie. Un jeune homme offrait de nettoyer les pare-brises. Quasiment personne n’acceptait. C’était tellement étrange que je l’ai regardé pendant un moment. Le temps était exécrable, le jeune homme était anéanti (…). Quand il a quitté la route, je l’ai photographié devant le monument de l’Ouvrier et la Kolkhozienne ». Un monument qui célèbre la classe ouvrière et la paysannerie.

© Alexander Veryovkin

Yana Pirozhok, l’introspection

© Yana Pirozhok

Pour gagner sa vie, la jeune Yana Pirozhok fait des portraits corporate à St. Petersburg. En mal de créativité, en pleine introspection sur son enfance et sa relation avec son père, elle décide de revenir sur ses terres natales dans l’Oural. Son émouvante série My dad is a school bus driver met à l’honneur les écoliers de cette zone rurale, qu’elle rencontre en suivant son père, chauffeur de bus scolaire entre trois petits villages. 

« Tous les jours pendant une semaine, mon père me réveillait à 6h du matin. Je prenais trois appareils avec moi, un numérique et deux argentiques, et nous partions récupérer les enfants. Sur le trajet, ils discutaient, étaient silencieux, rigolaient ou se disputaient », se souvient la photographe. 

© Yana Pirozhok
© Yana Pirozhok

Son statut de fille du chauffeur de bus facilite le contact, et se développe rapidement une curiosité et une tendresse mutuelle. Les enfants se demandent pourquoi une jeune femme d’une aussi grande ville que St. Petersburg s’intéresse à eux. Au fil des voyages, certains la questionnent sur la photographie. Qu’est-ce que c’est ? Et où l’étudier ? Et comment fonctionne l’argentique ? 

Yana Pirozhok va non seulement reconnecter avec son père, mais aussi déconstruire les stéréotypes qui l’habitaient. « Ayant ma propre expérience de la vie à la campagne, j’avais un certain regard sur la vie rurale. Je voyais les villages comme quelque chose qu’il fallait corriger, améliorer ou changer, et je voulais voir les écoliers comme la preuve de ma douloureuse expérience ». 

© Yana Pirozhok
© Yana Pirozhok

En réalité, au fil de ses échanges, la photographe se rend compte à quel point ces enfants sont différents, plus ouverts et sociables. « Je n’ai pas senti qu’ils étaient privés de quelque chose. Ils ont internet, Youtube, les réseaux sociaux. Et grâce à nos discussions, j’ai pu (…) dans un sens, réécrire mon passé », conclut-elle. 

Mikhail Fedoseev, l’ode à la fête

« J’aime simplement quand les gens autour de moi font des trucs cool. C’est ce qui me fait sortir du canapé et me donne le pouvoir d’exercer ma pratique artistique ». Armé de son argentique compact bon marché, Mikhail Fedoseev est le plus désirable des photographes russes de sa génération. 

© Mikhail Fedoseev
© Mikhail Fedoseev

Depuis que l’actrice Varvara Shmykova, contactée via instagram, est passée devant son objectif haut-en-couleur, il enchaîne les collaborations. Harper’s Bazaar Russia, H&M, ou encore de jeunes designers et musiciens russes font appel à son style brut,spontané, décadent, et presque fortuit. 

« Je peux dire que je fais partie d’une tendance émergente, loin de la domination des photographes de mode vétérans que contractent les agences et les magazines. Vraiment, je pense que nous sommes au siècle des collaborations – que les créatifs puissent se contacter les uns les autres en quelques secondes et développer des projets intéressants ensemble, c’est extra-ordinaire », souligne celui qui a toujours trouvé des missions uniquement grâce à instagram.

© Mikhail Fedoseev
© Mikhail Fedoseev

Tous ses clichés semblent être ceux d’une même et grande fête qui ne finit jamais. Cette jeune fille hilare, un cocktail dans une main, un chien dans l’autre, est la chanteuse Klava Koka, une star en Russie. Le cliché, accidentel, est devenu la cover d’un de ses singles. Alors que Mikhail Fedoseev et la chanteuse fêtent la fin d’un shooting dans un bar, ils croisent un petit chien. « Je ne peux pas rater cette opportunité et je les prends en photo. Juste après, le verre glisse et se casse. J’imagine que créer une cover pour ce single valait bien la peine de se faire virer d’un bar ! », se souvient-il. 

Par Charlotte Jean

Charlotte Jean est journaliste et auteure. Ancienne collaboratrice de Beaux Arts Magazine et fondatrice de Darwin Nutrition, elle est diplômée de l’Ecole du Louvre et spécialisée en art contemporain.

© Mikhail Fedoseev

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