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Dans les coulisses avec Richard Avedon

Dans les coulisses avec Richard Avedon

Souvenirs – et photographies magnifiques – du chef de studio de Richard Avedon.

Lauren Hutton on set 1974 © Gideon Lewin

En juillet 1965, Richard Avedon photographiait les collections d’automne à Paris pour Harper’s Bazaar. Le rédacteur en chef, le directeur  artistique et le rédacteur de mode du magazine étaient venus par avion pour les séances de prises de vue les plus importantes, et le studio temporaire d’Avedon, ouvert 24h / 24, était une ruche bourdonnant de mannequins, stylistes et assistants. 

Ce fut une période grisante, mais stressante pour des egos surdimensionnés, tenus de respecter des délais très courts. Chacun, donc, fut pris au dépourvu lorsque le chef de studio d’Avedon, au bord de l’épuisement total, prit soudainement sa retraite après de longues années. C’est alors que le photographe de mode le plus célèbre du monde se tourna vers Gideon Lewin, un jeune assistant qui travaillait avec lui depuis moins d’un an, et lui demanda de prendre le relais. Et comme le rappelle Lewin dans Avedon: Behind the Scenes 1964-1980, c’est alors que «commença une longue carrière, où c’étaient les personnes les plus belles et les plus intéressantes au monde qu’il s’agissait d’éclairer».

Nulle exagération dans ces propos. Au cours des 16 années que Lewin passa auprès d’Avedon, il collabora à des séances de photos de Sophia Loren, Anjelica Huston, Samuel Beckett, Andy Warhol, Lauren Hutton, Audrey Hepburn, Rudolf Noureev, René Russo, Barbra Streisand, Bob Dylan, et bien autres encore. Il réalisait également des impressions, construisait des décors, réparait le matériel photo qui avait souffert du froid, effectuait toute sorte de dépannages et résolvait toute espèce de problèmes afin que la vision créatrice d’Avedon se transforme en images parfaites.


Master Class 1967 © Gideon Lewin

A l’évidence, Lewin était un excellent chef de studio, mais il a aussi des dons de photographe et son appareil ne l’a pas quitté, fort heureusement, tout au long de ces années légendaires. Les talentueuses images en noir et blanc de ce livre où Lewin se laisse guider par sa mémoire visuelle révèlent des séances photos majeures, des vernissages et autres moments clés, saisis par celui qui connaissait le mieux les coulisses du travail.

Âgé de 80 ans, Lewin a réalisé plus de 4 000 de ses propres photographies au cours des années passées auprès d’Avedon, dont quelques unes ornent les murs blancs de son espace de travail de Garment district (New York) qu’il partage avec sa femme, la célèbre créatrice de mode Joanna Mastroianni (ainsi qu’avec un loulou de Poméranie jappant). Etait-il conscient que tous ces clichés pris en coulisses allaient nourrir l’histoire de la photographie ? « C’est drôle », dit Lewin, examinant rapidement les images accrochées au mur, « je n’y avais jamais pensé à l’époque. J’ai saisi des instants où je voyais quelque chose d’intéressant, quelque chose de beau. » 

Les aficionados d’Avedon seront fascinés par cette vision alternative de ses photographies emblématiques. En 1966, lorsque l’équipe d’Avedon s’est rendue dans le « pays de neige », au Japon, pour la célèbre série de photographies de Verushka, Lewin a réalisé des images d’une poésie paisible, notamment celle d’un groupe de sumos parmi lesquels Avedon allait finalement sélectionner le partenaire sculptural de Verushka. Notons également cette image de Verushka et du sumo élu, l’un près de l’autre, tandis que des flocons de neige dansent devant l’objectif de Lewin.


Rene + Sugan dressing room © Gideon Lewin

Certaines des photographies de Behind the Scenes révèlent le sens de l’humour de Lewin (par exemple, celle d’Avedon inspectant attentivement la ligne de démarcation du bronzage sur les fesses de deux modèles masculins nus), mais d’autres sont plus complexes, émotionnellement. Notons surtout l’image fascinante d’un jeune Avedon assis dans son atelier, entouré de ses propres travaux, le nœud de cravate défait (« C’est mon premier portrait de lui », dit Lewin, désignant de la tête une photo encadrée posée sur une corniche, dans son atelier. « Je l’ai prise seulement trois mois après avoir commencé à travailler avec lui. ») Et dans une belle mais douloureuse image, l’on voit Avedon debout devant son œuvre la plus personnelle, peut-être, un portrait de son père peu de temps avant sa mort.

Le grand format du livre (27cmx34 cm) et son design aéré sont agréables visuellement, et les anecdotes joviales de Lewin révèlent le talent d’Avedon à photographier dans des situations difficiles. Un jour, agacé par le comportement exigeant de Raquel Welch lors d’une séance de prises de vue pour Vogue, en 1974, à Cabo San Lucas, Avedon a explosé : « Pourquoi ne vous prenez-vous pas en photo vous-même ! »

Les adeptes de l’industrie qui sont curieux, malgré tout, de l’artisanat, apprécieront certains passages du livre – parmi les plus convaincants – où sont décrites les méthodes de Lewin pour résoudre des problèmes difficiles, à la demande d’Avedon. Lors d’une séance de prises de vue à Paris, par exemple, Lewin a été chargé de faire entrer un arbre tout entier dans le studio, cela dans un délai de quelques jours – et il y est parvenu. Ou encore, pour une exposition dans un musée, Lewin a dû réaliser une impression de 3m de haut sur 10m de large – ce qui est faisable aujourd’hui, mais nous étions en 1975, près d’une décennie avant que le premier ordinateur Macintosh ne voie le jour.


Veruschka + Sumo 1966 © Gideon Lewin

Lewin dit que son livre « a été écrit pour éduquer une nouvelle génération, ceux qui ont grandi à l’ère du numérique, de l’Internet et de la communication instantanée. » Quiconque voudrait devenir l’assistant d’un photographe devrait lire cet ouvrage, ne serait-ce que parce que Lewin y révèle une approche qui a fait ses preuves, une philosophie du « ne jamais dire jamais ». Par ailleurs, ce livre rappellera chaleureusement des moments plus tactiles à ceux dont les négatifs photographiques et les magazines ont marqué la jeunesse.

Mais en même temps que le livre évoque les méthodes et la frénésie du studio, sa fragrance est d’abord celle de la confiance qu’Avedon avait en Lewin, lorsqu’il autorisait son appareil à entrer dans l’intimité du maître au travail. Lewin détaille également la perfection du ballet silencieux qu’il dansait avec Avedon lorsqu’il éclairait les sujets des photographies, anticipant sans un mot les mouvements d’Avedon et les clics de l’appareil.

Quelque chose peut frapper lorsqu’on parcourt le livre et lit l’histoire de telle ou telle image célèbre : Lewin était souvent la toute première personne à voir les photographies les plus importantes d’Avedon sortir du révélateur, la première à les voir sur papier. « Même si vous fermez les yeux au moment du déclenchement du flash, vous avez tout de même vu l’image. Cela reste dans votre cerveau », explique Lewin. « Je la voyais donc du début à la fin, parce que Dick me laissait interpréter le négatif. Vous ne pouvez faire cela que si vous entretenez de très bonnes relations avec le photographe. »


Veruschka + Ara Gallant +Polly Mellen 1966 © Gideon Lewin

Avedon and Eagel, Ireland 1969 © Gideon Lewin

Avedon with collage 1965 © Gideon Lewin

Par Bill Shapiro 

Bill Shapiro est l’ancien rédacteur en chef du magazine Life, et l’auteur de What We Keep.

Avedon: Behind the Scenes 1964-1980

powerHouse Books

Gideon Lewin

Taille de coupe: 25,4cmx33,7cm

Nombre de pages: 232

ISBN: 9781576879283

75 $

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