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Le séjour parisien d’un photographe chinois

Le séjour parisien d’un photographe chinois

En 2016, Feng Li arpentait essentiellement les rues de Chengdu. A l’époque il alternait encore entre son travail officiel au bureau de la propagande de la province et son travail personnel, une série intitulée White Night, dans laquelle il consigne depuis environ 15 ans ses rencontres fortuites avec ses congénères, les Hommes, qu’il a le don de capturer, au flash, dans des attitudes pour le moins surréalistes. Quatre ans plus tard, il a quitté son job officiel, touche à la photo de mode tout en restant à l’affût des rues, et enchaîne les séjours parisiens dont une résidence de quatre mois à Paris qui s’achève ce mois-ci.


De la série White Night © Feng Li

Rendez-vous Place de la République. Elle est assez calme ce matin de janvier, on l’a connu plus peuplée, plus agitée ces derniers mois avec les manifestations qui rythment encore la vie de la capitale. Ce ressac permanent n’a pas enfreint les déambulations de Feng Li en résidence à la Cité des Arts – lieu qui accueille en résidence depuis 1965 des artistes du monde entier et de toutes disciplines. Bon marcheur, adepte des lieux à forte densité humaine, agile comme un singe, Feng Li n’en est pas à sa première manif. Il en a même suivi pléthore depuis qu’il vient régulièrement à Paris, en comptant les soirées de liesse après la victoire de la coupe du monde et le défilé du 14 juillet de 2019. Pas que Feng Li soit un militant politique ou un supporter de l’équipe de France, disons plutôt que les rassemblements collectifs sont des moments propices pour lui pour se frotter au monde. « Je ne fais pas de photo journalisme ni de reportage », répète souvent Feng Li, « les lieux, les villes et les évènements qui s’y jouent importent peu pour moi, je suis dans mon monde ». 

On a beau insister, demander au photographe qu’il dresse un portrait, même subjectif de son expérience parisienne, la dimension historique ou sociale de la ville ne semble pas l’intéresser. Cela peut paraître paradoxal tant les images qu’il a produites dans la capitale ont été prises au plus près des gens, au plus près des corps et des visages, fixant au passage des expressions, des postures pleines de potentiel narratif. 

« Du point de vue de ma pratique, Paris, c’est comme Chengdu ou Berlin ou ailleurs. La seule chose dont j’ai besoin c’est de rentrer dans un rythme et de rencontrer des gens. Le vrai défi de ce séjour parisien, ça a été d’aller au-delà des photos prises à la sauvette, dans la rue. D’une part parce que je suis sur plusieurs projets de publications en ce moment et que des problèmes de droit à l’image pourraient se poser, d’autre part parce que j’ai éprouvé le besoin de gagner en profondeur, de jouer davantage avec mes sujets ». 


De la série White Night © Feng Li

Au-delà de la carte postale, la mode ?

Gagner en profondeur tout en conservant cette distance qui confère ce côté décalé à sa photo, voilà ce que le photographe a dû mettre en place durant ces quelques mois à Paris. Pas facile lorsqu’on ne parle pas français et à peine anglais. 

« Les premières semaines à la Cité des Arts, j’étais un peu déprimé, pas très satisfait de mes images. Pourtant je suis logé en plein cœur de Paris, sur les quais de Seine, un quartier mythique, peut-être trop d’ailleurs, il fallait que je sorte de la carte postale parisienne ! ».

Heureusement Feng Li est un animal social. Avec peu de mots, il lie connaissance avec toutes sortes de gens, avec une prédilection pour les individus chamarrés, vieilles élégantes en fourrure, fashionistas douteuses ou jeunes danseurs sapés en fluo. Est-ce une conséquence de son désintérêt relatif pour les histoires et les lieux ? C’est fort possible. De fait, le vêtement joue un rôle doublement important dans la manière dont Feng Li appréhende les individus, il est une émanation directe de leur personnalité en plus d’être une matière formelle centrale dans la composition de ses images. 

Il est vrai que White Night regorge de détails vestimentaires pittoresques. Dans le livre éponyme paru en 2017, entre les paysages et les scènes de vie insolites de la Chine contemporaine, on voit comment textures, couleurs, brillance, opacité et volume sont très bien rendus avec un minimum de moyen (un petit Sony et un flash basique, rien d’autre). Ce talent n’est pas passé inaperçu de la presse Mode pour qui il a enchainé les commercial jobs les derniers mois. On voit en effet tout le potentiel de collaborations avec les magazines fashion les plus avant-gardistes (System, 032C, The Face) tant les directions artistiques actuelles embrassent les nouveaux thèmes de la post modernité : hybridité, métissage, syncrétisme. Une aubaine pour un photographe qui ne se revendique d’aucune école ni mouvement, ni figure.


De la série White Night © Feng Li

Mais frayer avec la mode, n’est-ce pas perdre en spontanéité, n’est-ce pas actionner les ficelles de la mise en scène tout en tâchant de les cacher ?

A cette question, Feng Li répond avec son assurance et son flegme habituels. 

« Jusqu’à présent, le monde de la mode ne m’a pas contraint, au contraire il m’a permis d’expérimenter beaucoup de choses nouvelles. Je n’ai pas eu à adapter mon style ou à changer quoi que ce soit, disons juste que je shoote des filles avec des supers fringues mais elles doivent jouer à mon jeu. Parfois, ça marche et parfois les gens du quotidien s’avèrent plus drôle que les mannequins. En tout cas je ne me sens pas obligé de hiérarchiser ». 

Feng Li semble donc à l’aise partout (si tant est qu’il s’agisse de villes), et avec tout le monde, beautiful people ou oiseaux des rues, et c’est avec une grande fluidité que sa carrière se développe au-delà de la Chine.


De la série White Night © Feng Li

De la série White Night © Feng Li

De la série White Night © Feng Li

De la série White Night © Feng Li

De la série White Night © Feng Li

Par Léo de Boisgisson

White Not – Solo show de Feng Li 

Du 16 janvier au 29 février à la galerie F16

5 rue d’Aboukir. 

75002 PARIS 

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