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Gideon Mendel : photographe du changement climatique

Gideon Mendel : photographe du changement climatique

Portrait d’un photographe qui illustre le changement climatique grâce à son expérience des questions sociales.

© Gideon Mendel 

Gideon Mendel se situe à  la frontière entre photographie et militantisme. Ceci depuis le début de sa carrière, dans les années 1980, lorsqu’il a montré la violence de l’État contre les manifestations pacifiques qui ont marqué la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Récemment, il a revisité ces archives pour un livre qui a été publié par GOST. Il a ensuite déménagé au Royaume-Uni, et s’est consacré à un projet de 20 ans illustrant l’impact du VIH/SIDA, qui vise à détruire sa stigmatisation. Une partie de ce travail – un projet photographique narratif en collaboration avec 130 personnes atteintes du VIH/SIDA dans différentes régions du monde – vient d’être également publié par Aperture.

Photographe incontestablement engagé, Mendel a décidé de consacrer le reste de sa carrière au changement climatique. « J’ai 60 ans et je n’ai pas 10 ans de travail devant moi. Je veux consacrer ce temps à travailler sur le changement climatique. Je me propose d’aborder à ma manière la question des 4 éléments – l’eau, le feu, la terre, l’air », dit-il. En 2007, il a commencé par l’eau, en photographiant deux inondations majeures – l’une au Royaume-Uni, l’autre en Inde – qui sont advenues à quelques semaines d’intervalle. Il est arrivé très tôt sur les lieux, lorsque l’eau était encore haute, et a photographié des personnes dont la vie avait été dévastée par ces inondations. « J’ai pris mon vieux Rollleiflex et j’ai immédiatement saisi des images fortes.  J’ai très vite compris que les portraits dans l’eau pouvaient exprimer la vulnérabilité, car tous la partageaient  », explique-t-il.


© Gideon Mendel 

Montrer ceux qui sont au cœur de la crise

Debout dans l’eau devant leur maison, les gens regardent directement l’objectif. Etant donné l’angle de prise de vue, nous savons que Mendel était dans l’eau jusqu’aux hanches, lui aussi. Envahissant la moitié du cadre, la ligne d’eau rectiligne homogénéise,  en quelque sorte, les paysages. Le dispositif est celui du portrait posé classique. Pourtant, les regards sont tout sauf neutres. Il existe des différences subtiles dans l’expression des gens – certains d’entre eux semblent surpris et choqués par ce qui leur est arrivé, d’autres expriment une certaine habitude. Ou est-ce de la résignation? L’immobilité des personnages et de l’eau provoque une impression de consentement.

Pendant 10 ans, Mendel a accompli plus de 19 voyages dans des zones inondées du monde entier, illustrant les ravages des conditions météorologiques extrêmes à travers une série qui met l’accent sur l’aspect humain du changement climatique. Quand certains photographes décident de couvrir la fonte des glaces, Mendel s’intéresse plutôt à ceux qui sont au cœur de la crise mondiale. Sa série est, selon lui, un « cri d’alarme visuel », et diverses organisations luttant contre le changement climatique l’ont utilisée, depuis qu’elle est tombée dans le domaine public. « Mon travail sur le changement climatique est présent dans trois sphères différentes et complémentaires : dans les médias du monde entier, dans les musées et les galeries sous forme de photos et de vidéos, et il est utilisé pour le plaidoyer sur le changement climatique dans les manifestations », explique Mendel. Parfois, ses portraits sont accompagnés de témoignages. « Ce fut une expérience terrible, mais elle a soudé la communauté », a confié une victime américaine des inondations. Implicitement, nous avons l’impression que ce n’est qu’ensemble que nous pourrons lutter contre le changement climatique.


© Gideon Mendel 

Aller plus loin dans son propos

Les témoignages jouent un rôle central dans les derniers travaux de Mendel en Australie, dans des régions qui ont été dévastées par des incendies de forêt au début de cette année. A première vue, ils évoquent ses portraits immergés – des personnes devant leurs maisons détruites,  regardant amicalement la caméra. Pourtant, ils sont très différents. « En prenant des photos en Californie puis en Australie, j’ai réalisé et appris que l’environnement est très chaotique au lendemain d’un incendie, au contraire d’une inondation où le paysage est plat et propre, explique-t-il. Faire poser les gens dans cet environnement a été très difficile. Et quand c’était possible, j’ai photographié du dessus pour montrer aussi  le paysage. »


© Gideon Mendel 

Délibérément, il ne s’est pas rendu sur place durant l’incendie. « Je ne veux pas être dans une situation d’urgence, mais venir ensuite, et avant qu’elle ne soit maîtrisée », dit-il. Sur de nombreuses photos, des touches de vert apparaissent, la nature reprenant vie, tandis que les maisons sont irrémédiablement dévastées. « Certaines personnes étaient désespérées de voir ce contraste, de voir la nature renaître alors que tout était gâché pour eux », note-t-il. Les salons douillets, les cuisines flambant neuves et les jardins luxuriants ont fait place à des morceaux de pierre et de métal noircis. « Quand je regarde autour de moi, je vois ce qui n’est pas ici, dit une Australienne d’une voix tremblante. Je ne pourrai pas reprendre à zéro, ajoute-t-elle, je suis trop âgée. Ça ne ressemblerait même pas à ce que c’était […] Ça me brise le cœur, c’est tout. Je ne suis pas différente des autres »« On montre généralement les catastrophes environnementales en Afrique ou en Inde, mettant en scène des victimes à la peau noire ou brune. Il est intéressant de faire aussi des images d’une calamité environnementale qui frappe les Blancs », note Mendel.

« La vidéo et les témoignages seront des composantes importantes de cette série », explique Mendel. Comme dans ses travaux précédents, il multiplie les angles d’approche, réalisant de gros plans abstraits de matériaux endommagés, étudiant les centaines de nuances de vert de la nature renaissante, ou encore les teintes des objets trouvés (en collaboration avec Jonathan Pierredon). Et le langage visuel perturbant de cette série, qui exprime une approche troublante et inconfortablement intime, contribue à sensibiliser le public.


© Gideon Mendel 

© Gideon Mendel 

© Gideon Mendel 

Par Laurence Cornet

Le livre  GOST  par Gideon Mendel

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