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Aux Rencontres d’Arles, des œuvres vivantes

Aux Rencontres d’Arles, des œuvres vivantes

Reflet des débats qui animent la société, les Rencontres d’Arles font cette année la part belle aux thématiques identitaires. Mais ce serait dommage de réduire cette édition 2021 aux questions ethniques ou tournant autour du féminin, du masculin et du genre. Quelques projets sur l’environnement se distinguent par l’originalité et le processus mis en œuvre, loin de l’habituelle démarche documentaire. Chacun à sa façon, Almudena Romero, Ilanit Illouz et Elsa Leydier & Michel Sedan témoignent d’un renouvellement dans la manière d’aborder la thématique de l’écologie. Attention, œuvres vivantes.

Du cresson comme support d’impression

Family Album 1, 2020. Résidence BMW 2020 © Almudena Romero

Premier exemple, Almudena Romero, exposée au Cloître Saint Trophîme, qui présente le résultat de la résidence BMW. Non seulement l’écologie est le sujet de son travail intitulé « The pigment change » articulé en plusieurs séries, mais les éléments naturels sont aussi le matériau principal du processus d’élaboration de ses images. Ainsi, l’artiste met-elle en pratique ses convictions : « Pourquoi produire ? », s’interroge-t-elle, puisant dans la nature la matière première pour concevoir son œuvre. « Je veux que mon travail transforme la compréhension du médium photographique, qu’il s’agisse des supports, des formes ou des matériaux », explique Almudena Romero. 

Ainsi pour « The Act of Producing », elle transforme des feuilles de végétaux en support d’impression, là où d’autres photographes utilisent du papier. De son côté, « Family Album » est réalisée à partir de clichés puisés dans son album de famille. La réappropriation, rien de plus banal, direz-vous. Pas tant que cela, car Almudena Romero ne fait pas appel à la chimie pour le processus de reproduction des images mais à l’organique. Plus précisément, ses tirages sont réalisés sur du cresson qu’elle est parvenue à faire pousser après de longs mois de recherches. Une œuvre vivante et éphémère, comme le cycle de la vie finalement, où s’entremêlent le passé, le présent et le futur. « Mon travail met en évidence mes points de vue et mes choix. », explique Almudena Romero. Et l’Espagnole va jusqu’au bout de ses convictions, étant pour l’extinction volontaire.

The Act of Producing, 2020. Résidence BMW 2020 © Almudena Romero

Du sel sur les tirages

Parmi les onze projets du Prix Découverte, la série « Wadi Qelt, dans la clarté des pierres » de Ilanit Illouz propose une autre forme de vivant. Ses tirages surprennent car ils sont en volume et scintillent, la photographe y ayant apposé des cristaux de sel. Comme elle l’explique : « Ces photos fossilisées par le sel convoquent tout un jeu de couches, de sédimentations, de mues, mettant en jeu différentes strates, historiques, narratives, archéologiques ou géologiques »

Sel, série Les Dolines, 2016-2021. © Ilanit Illouz. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Wadi, série Les Dolines, 2016-2021. © Ilanit Illouz. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

La démarche de Ilanit Illouz n’est pas seulement esthétique. Elle renouvelle un genre, ô combien, classique : le paysage. Son geste sert ainsi un propos qui découle de la fonction même du médium – à savoir sa capacité à fixer le réel et à témoigner – mais aussi de sa nature. Car avec le sel, l’artiste fait référence au bitume de Judée utilisé par Nicéphore Niépce, l’inventeur de la photographie. Ce sel, elle l’a collecté précisément sur le site de la Mer Morte où elle s’est rendue pour réaliser les prises de vue. Pour Ilanit Illouz, « ce territoire est comme la métaphore de la mémoire ». Un lieu qui porte les stigmates de cette mer qui, inexorablement, s’assèche, dégorgeant son sel. Une série qui alerte, elle aussi, sur les méfaits de l’impact de l’homme sur l’environnement. 

Le monde d’après?

Militante, Elsa Leydier l’est aussi à sa manière avec « Les marques », série réalisée avec la collaboration visuelle de Michel Sedan, une des quinze expositions présentées à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz dans le programme associé des Rencontres d’Arles. Son cheval de bataille ? S’attaquer à la notion de standardisation, qu’elle dénonce comme un travers de notre société contemporaine. Deux domaines ont retenu son attention : d’un côté la représentation des corps féminins dans la presse magazine ou dans les publicités qui doivent êtres parfaits ; de l’autre les brevets qui, dans l’agriculture, décident quelles graines – et donc quelles espèces – doivent être cultivées. Un système qui mène à l’éviction de centaines de milliers d’espèces et, en conséquence, met en péril la diversité du vivant.

Série Les marques par Elsa Leydier, collaboration visuelle avec Michel Sedan

L’installation présente des tirages de corps féminins accrochés au mur – et des magazines présentés sur un socle – servant de support à des plantations de graines interdites. Une œuvre évolutive, car au fur et à mesure, la végétation se développe. Et si le vivant prenait les commandes, jusqu’à tout recouvrir comme le château de la Belle au Bois dormant ? C’est peut-être à cela que pourrait ressembler le monde d’après.

Par Sophie Bernard

Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.

52e Rencontres d’Arles, du 4 juillet au 26 septembre. Expositions dans la ville et la région Sud-Paca.

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