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Les grands voyages d’Hélène

Les grands voyages d’Hélène

Si les professionnels de la presse et de l’édition connaissent bien l’agence Roger-Viollet, une exposition permet de découvrir que celle qui l’a fondée il y a 83 ans, Hélène Roger-Viollet, était également photographe. Objectif : documenter le monde.
Autoportrait d’Hélène Roger-Viollet (1901-1985), au sommet du temple de Baal (ou Bel) photographiée par son guide, Palmyre (Syrie), novembre 1953
© Hélène Roger-Viollet – Roger-Viollet

Depuis 1985 propriété de la Ville de Paris, l’agence Roger-Viollet connaît un nouvel élan depuis fin 2019, date à laquelle Photononstop en a repris la gestion culturelle et commerciale. Témoignage de ce renouveau, l’ouverture en décembre dernier d’une galerie à l’adresse historique – 6 rue de Seine – au cœur du quartier Saint-Germain à Paris. Précisément là, où, en 1938, Hélène Roger-Viollet a fondé cette maison rassemblant aujourd’hui quelque six millions d’images des années 1850 à 2000.

« L’objectif de la galerie est de présenter cinq à six expositions par an pour faire connaître ce fonds exceptionnel au grand public et non plus seulement aux professionnels. Nous proposons des tirages modernes non numérotés et estampillés d’un timbre à sec avec un certificat d’authenticité. Les prix sont abordables car notre but est de nous adresser au plus grand nombre », explique Gilles Taquet, cofondateur et codirigeant de Photononstop, groupe indépendant qui détient notamment Biosphoto, une agence spécialisée dans les animaux et l’environnement.

Devanture de la galerie Roger-Viollet © Vanni Bassetti
Intérieur de la galerie Roger-Viollet avec les boîtes d’archives © Vanni Bassetti

Un sacré personnage que Hélène Roger-Viollet, née en 1901, dans une famille bourgeoise dont le père, Henri (1869-1946), ingénieur-chimiste, se passionne pour la photographie dès ses 11 ans. Hélène a de qui tenir car son père est l’auteur d’une production aussi originale qu’inventive. En tant qu’aînée de la fratrie de cinq filles et un garçon, Hélène accompagne son père dès son plus jeune âge dans la chambre noire qu’il a installée dans la maison familiale. Mais il lui faudra attendre les années 1930 pour que la photographie joue un rôle de premier plan dans sa vie, car elle suit d’abord des études de journalisme. 

En 1936, alors qu’elle est en vacances avec son mari dans la principauté d’Andorre, la Guerre d’Espagne éclate. Intrépide, le couple décide de passer la frontière pour témoigner du conflit. Leurs images seront parmi les premières à être publiées dans le monde. Ce hasard de l’histoire va changer le destin d’Hélène Roger-Viollet. Cet épisode lui fait en effet prendre conscience de l’importance de la photographie comme elle l’explique bien des années plus tard : « Nous étions arrivés à ce moment de mutation où l’image prenait une grande importance dans le monde ». Cette femme pleine d’énergie est décidément en avance sur son temps : dans ces mêmes années 1930, elle milite avec Louise Weiss pour le droit de vote des femmes. 

 Le quartier de Broadway vers la 50ème Rue, New York (Etats-Unis), décembre 1955 © Hélène Roger-Viollet – Roger-Viollet

Aidée par son mari et par une équipe qui s’agrandit rapidement pour effectuer le travail d’archivage et écrire les légendes des photos, Hélène voit les choses en grand. L’agence Roger-Viollet est essentiellement dédiée à la commercialisation des droits de reproduction à la presse et à l’édition, domaines où la photographie prend alors son essor. D’année en année, l’agence se développe au gré des opportunités de rachat d’ensembles très divers : des archives d’agences de presse, des fonds de studios – comme celui des frères Lipnitzki qui couvre le monde du spectacle parisien depuis les années 1920 –, des cartes postales, des photographes reconnus, tels Jacques Boyer, Albert Harlingue ou encore Laure Albin Guillot. 

L’ambition est de répertorier le monde en images en couvrant toutes les périodes et toutes les zones géographiques. Cet appétit insatiable conduit le couple à endosser le métier de photographe pour compléter les manques. « Nous entreprenions une fois par an de véritables expéditions de prises de vues dans les pays les plus lointains », raconte Hélène Roger-Viollet quelques années avant de disparaître tragiquement, en 1985, assassinée par son mari. 

Danseurs haïtiens, Haïti, mars 1959 © Hélène Roger-Viollet – Roger-Viollet
Balcon de la maison du khalife, Omdurman (Soudan), janvier 1966 © Hélène Roger-Viollet – Roger-Viollet

Conçue comme un hommage à la fondatrice de l’agence, l’exposition poétiquement intitulée « Les Voyages d’Hélène » témoigne de la diversité des destinations entre les années 1950 et 1970 : Afrique du Sud, Soudan, Sénégal, Haïti, Inde, Japon, Cambodge, Mexique, Guadeloupe… Sa démarche est avant tout documentaire, attachée à montrer aussi bien la végétation, les habitants célèbres ou anonymes, les scènes de rue, les monuments, les événements festifs, les cérémonies religieuses. Ces images en noir et blanc sont aujourd’hui autant précieuses pour le témoignage qu’elles apportent sur une époque révolue que pour leur qualité esthétique. Assurément Hélène Roger-Viollet maîtrisait l’art de la composition et avait un œil.

Par Sophie Bernard

Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.

« Les Voyages d’Hélène, Une vie à documenter le monde ». Galerie Roger-Viollet – 6, rue de Seine, 75006 Paris. Jusqu’au 26 juin 2021. Plus d’informations ici.

Les quais près du port de Pondichéry (Inde), 1961 © Hélène Roger-Viollet – Roger-Viollet
Marchand de journaux. Taibei (Taiwan), 1962 © Hélène Roger-Viollet – Roger-Viollet

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