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Sur les traces de la symbolique sacrée des jumeaux en Afrique occidentale

Sur les traces de la symbolique sacrée des jumeaux en Afrique occidentale

Le livre Land of Ibeji, de Sanne De Wilde et Bénédicte Kurzen, examine les différentes réponses culturelles à la gémellité au Nigeria, à travers les portraits pleins de vie de jumeaux et de sosies.
 © Sanne De Wilde et Bénédicte Kurzen

Les jumeaux sont-ils de bon ou de mauvais augure ? En Afrique occidentale, la mythification de la gémellité donne naissance à des superstitions divergentes ; dans certaines cultures, telles que celle des Igbo, les jumeaux sont perçus comme de mauvais présages, une perturbation de l’ordre naturel, tandis que celle des Yoruba les tient pour une bénédiction, au point de les considérer comme des êtres surnaturels.

Les photographes Sanne De Wilde et Bénédicte Kurzen, lauréates du 1er prix dans la catégorie Portrait au World Press Photo 2019, se sont rendues au Nigeria pour explorer la dualité du concept de gémellité, et ont réalisé ensemble l’ouvrage Land of Ibeji, qui tient son titre du mot yoruba « ibeji » signifiant « double », ou, plus métaphoriquement, « les deux inséparables ». Des jumeaux aux sosies, elles ont photographié les habitants du lieu dans une lumière rayonnante, créant des kaléidoscopes, des images en miroir, et utilisant des collages pour renforcer la symétrie naturelle. Le livre s’ouvre sur la photographie d’un homme se reflétant dans un autre (ou est-ce le même ?), leurs deux profils presque identiques se chevauchent, et l’image, baignée d’une lumière jaune néon, se teinte de bleu là où les deux visages se rencontrent.

 © Sanne De Wilde et Bénédicte Kurzen

Malgré la récurrence de certaines techniques photographiques telles que le miroir, chaque image a sa personnalité propre. Dans l’éclatante lumière qu’elles utilisent, Sanne De Wilde et Bénédicte Kurzen ont une manière qui leur est propre de mettre en valeur les traits communs (et les différences) de chaque paire de jumeaux, tantôt dans leurs ombres semblables, tantôt dans leurs reflets dans des flaques d’eau. L’indiscernabilité entre les vrais jumeaux est remarquable – et comme il se doit, de par la nature collaborative du projet, on ne peut distinguer les contributions des deux photographes qui fusionnent dans l’ouvrage. « J’ai appris », déclare Sanne De Wilde, « que la gémellité est une question d’unité dans le double ; on célèbre le lien biologique entre frères et sœurs et, ironiquement, on considère la similitude comme quelque chose qui vous distingue des autres. »

Sanne de Wilde et Bénédicte Kurzen explorent également la relation entre les personnes qu’elles ont photographiées et leur environnement. Exploitant la similitude entre les motifs des vêtements et les couleurs du ciel, l’espace négatif entre les feuilles des arbres, les deux artistes créent des parallèles visuels qui situent l’ouvrage dans le monde naturel.

 © Sanne De Wilde et Bénédicte Kurzen

Les deux artistes ont également été frappées par un autre aspect de la culture relative à la gémellité, en ce qui concerne la mort et le deuil. Les Yoruba ont un rituel particulier pour pleurer le décès d’un jumeau ; dans une région où le taux de mortalité infantile est relativement élevé, la mort d’un jumeau n’est malheureusement pas rare. Un tombeau est érigé, généralement avec une figure sculptée représentant le mort, mais parfois une photographie suffit : la photographie peut, elle aussi, détenir un pouvoir sacré.

En définitive, Bénédicte Kurzen et Sanne De Wilde ont découvert qu’il n’y avait pas qu’une seule manière de percevoir la gémellité, mais que ce concept était plutôt ouvert à l’interprétation individuelle : « L’idée de gémellité est une question plus riche et plus universelle que nous ne le croyions. Chaque fois que nous mentionnons ce projet à quelqu’un, cela l’encourage à raconter, à fournir des références et des expériences personnelles », dit Bénédicte Kurzen. « C’est arrivé très souvent, ce qui a confirmé, pour nous, l’idée que nous travaillions sur quelque chose qui fascine les gens, au-delà du Nigeria et de la simple ressemblance physique. C’est cela, le véritable pouvoir d’un mythe : il sollicite l’imagination, et a la capacité de nous ouvrir un monde caché. »

Par Christina Cacouris

Christina Cacouris est journaliste et commissaire d’expositions. Elle vit entre Paris et New York.

Land of Ibeji, de Sanne de Wilde et Bénédicte Kurzen, publié par Hatje Cantz, 54€.

 © Sanne De Wilde and Bénédicte Kurzen
 © Sanne De Wilde and Bénédicte Kurzen

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