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Dans l’intimité des personnes intersexes à travers le monde

Dans l’intimité des personnes intersexes à travers le monde

La série « My Own Wings » (De mes propres ailes) des photographes Katia Repina et Carla Moral présente les histoires de personnes victimes de la notion restrictive de genre binaire.
Photo d'une personne intersexuée à New York
River, Gallo, New York © Carla Moral et Katia Repina

Au cours de la dernière décennie, aux États-Unis, les futurs parents se sont lancés dans les « fêtes révélation du genre de l’enfant » : pendant la grossesse, le couple met en scène un spectacle élaboré – parfois dangereux – au cours duquel le sexe de leur futur enfant est annoncé par la « révélation » surprise d’un effet rose (fille) ou bleu (garçon).

Jenna Karvunidis, la mère qui a lancé cette mode en 2008 avec un simple gâteau, a fini par reconnaître le conflit inhérent à l’assimilation des organes génitaux à l’identité. « Qui se soucie du sexe du bébé ? », publie-t-elle sur Facebook en 2019. « Je l’ai fait à l’époque parce que nous ne vivions pas en 2019 et ne savions pas ce que nous savons aujourd’hui – que se focaliser sur le genre à la naissance met de côté tout un potentiel qui n’a rien à voir avec ce qui se trouve entre ses jambes. »

Photo d'une personne intersexuée dans un club de billards
Olga, Madrid, Espagne © Carla Moral et Katia Repina

Le rebondissement parfait de l’intrigue : Jenna Karvunidis révèle dans son post que « le premier bébé de la fête de révélation du genre est une fille qui porte des costumes ! ». Reconnaissant que la pratique qu’elle a involontairement introduite est offensante, voire carrément nocive, pour les personnes non binaires et transgenres, Karvunidis déclare au magazine ELLE : « C’est le problème avec l’oppression : seules les personnes concernées en souffrent. »

La nature a horreur de la binarité

Bien qu’elles représentent moins de 2% de la population mondiale, les personnes intersexuées sont parmi les plus touchées par l’essentialisme binaire du genre – et trop souvent passées sous silence. 

Anciennement connues sous le nom d’« hermaphrodites » – un terme désormais reconnu comme péjoratif et erroné – les personnes intersexuées sont celles dont le corps « ne correspond pas aux définitions typiques de l’homme et de la femme », selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

Photo d'une personne intersexuée dans sa salle de bain
Arisleida, New York © Carla Moral et Katia Repina

Nées avec des variations dans les caractéristiques sexuelles des chromosomes, des gonades, des hormones ou des organes génitaux, les personnes intersexuées défient l’assignation sexuelle donnée à la naissance – qui entraîne trop souvent stigmatisation et discrimination. 

Les médecins poussent souvent les parents à choisir immédiatement le sexe de leur enfant par une intervention chirurgicale pour le rendre plus « acceptable », ou par des traitements hormonaux à un âge plus avancé, malgré l’absence de preuves quant au bien-fondé de ces procédures. Les familles peuvent pratiquer l’infanticide, l’abandon ou des interventions médicales inadéquates – autant de violations des droits de l’homme.

Largement incomprises par la science et la société, qui les ont forcées à revendiquer un genre plutôt que de leur permettre d’être telles que la nature les a créées, les personnes intersexuées ont longtemps été reléguées dans l’ombre pour survivre. Ce n’est que récemment, avec l’accent mis sur l’identité non conforme au genre dans les domaines de l’art, des médias et de la culture populaire, qu’un espace a émergé pour que les personnes intersexuées puissent revendiquer leur place légitime dans le monde.

Libérez-moi

Photo d'une personne intersexuée se coupant les cheveux à la plage
Arisleida, New York © Carla Moral et Katia Repina

Dans le cadre du projet photographique et du court-métrage documentaire My Own Wings, Carla Moral et Katia Repina ont interviewé 35 personnes intersexuées originaires d’Espagne, des États-Unis, d’Ukraine, de Russie, du Mexique, du Chili, de Colombie et du Panama sur leurs expériences et les problèmes auxquels elles sont confrontées dans leurs cultures respectives.

« Carla Moral et moi nous avions toutes les deux le projet de travailler sur le genre parce qu’en grandissant, nous avons eu l’impression que cette notion était trop restreinte et que nous ne savions pas comment devenir “une femme” », se souvient Katia Repina. 

Après avoir vu une émission à la télévision, Moral suggère qu’elles enquêtent. Repina sait alors qu’il était difficile de trouver des personnes intersexuées, et encore plus de les photographier, mais les deux artistes ne se découragent pas pour autant. Au fil du temps, elles vont tisser un réseau fondé sur la confiance, la réciprocité et le respect.

Photo de deux personnes intersexuées sur la plage
Olga, Barcelone, Espagne © Carla Moral et Katia Repina

Les deux photographes proposent, aux personnes intersexuées qui le souhaitent, de participer anonymement. Bien qu’elles ne posent pas de questions anatomiques, certaines personnes proposent de partager leurs expériences avec les médecins et les procédures, et l’impact que cela a sur leur vie et leur identité.

Hana, une personne intersexe qui vit à Mexico, déclare : « Pour être sincère, il est certain que j’aurais choisi l’opération. Mais si je l’avais fait, j’aurais développé une relation très différente avec moi-même et avec mon corps. La différence importante ici c’est le droit de choisir. Il y aurait eu des informations permettant de prendre des décisions et de la transparence. Il n’y aurait pas eu ce secret, cette peur que j’ai vécue pendant tant d’années. Les circonstances qui ont entouré toutes ces procédures médicales ont fini par être très destructrices. Elles ont généré ma défiance vis-à-vis du monde. La responsabilité en revient à la sphère médicale, à la façon dont les choses ont été gérées, juste pour être conformes aux attentes de la société. »

Photo d'une personne intersexuée dans son appartement
Alex, New York © Carla Moral et Katia Repina

Art et défense des droits des personnes intersexuées

En entretenant des relations avec des personnes intersexuées, Katia Repina et Carla Moral ont créé un recueil d’histoires de celles et ceux qui sont marginalisés au sein même des marges. En racontant leurs parcours, ces individus se réapproprient le récit de leurs vies.

Pidgeon Pagonis, une militante qui vit à Chicago, a grandi fille et découvert à 18 ans qu’elle était intersexe à la naissance. Après avoir découvert les documents concernant son traitement médical, Pidgeon a été choquée d’apprendre qu’elle avait subi une vaginoplastie à l’âge de 11 ans, et non une supposée opération de la vessie. 

Forte de ces informations, elle a fait de l’arrêt des opérations chirurgicales sur les enfants son cheval de bataille, pour leur permettre de grandir et de prendre la décision eux-mêmes.

Photo d'une personne intersexuée de nuit dans un stade sportif
Pidgeon, Chicago © Carla Moral et Katia Repina

« Je pense que les enfants intersexués représentent l’espoir d’un avenir », déclare Pidgeon Pagonis, elle qui aspire à vivre dans un monde où parents et enfants pourraient se faire assez confiance pour échanger librement. « Je me sens très protectrice envers les enfants intersexués. C’est d’une certaine manière, comme si je revenais en arrière et que j’essayais de me protéger, moi enfant, de revivre mon enfance, d’être là pour moi quand j’étais gamine. »

Personnes intersexes : nés comme ça

Avec « My Own Wings », Repina et Moral ont ainsi créé une plateforme pour les personnes intersexuées dont les histoires n’ont pas été racontées, permettant de comprendre les dommages causés par la société qui impose le genre. Alors que biologiquement ou culturellement, il n’est pas une évidence. 

En associant les photographies à leurs histoires, les artistes reconnaissent que ces personnes intersexuées ne pourront être représentées qu’à partir du moment où nous leur donnerons de la visibilité, et une vraie voix.

Photo d'une personne intersexuée en soirée en extérieur
Arisleida, New York © Carla Moral et Katia Repina

Alexander, qui est né en Russie et vit aujourd’hui à New York, explique : « C’était très dur. Je devais tout le temps… cacher quelque chose, cacher quelque chose aux autres, toujours cacher qui j’étais. On ressent de la culpabilité et de la honte d’être différent. Aujourd’hui, ce que je ressens est différent, mais à l’époque, j’avais le sentiment que j’étais une erreur de la nature, que quelqu’un comme moi n’était pas censé exister, qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi et que je n’aurais pas dû naître comme ça. Maintenant, je suis reconnaissant d’être ce que je suis. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment TimeVogueAperture, et Vice.

Projection du film My Own Wings (De mes propres ailes), le 2 septembre 2021 à la Galerie Dor Dor, 45 Irving Ave, Brooklyn, NY 11237, USA.

Photo d'une personne intersexuée de nuit dans un parc
Andres, Colombie © Carla Moral et Katia Repina
Photo d'une personne intersexuée dans une discothèque
Alex, New York © Carla Moral et Katia Repina
Photo d'une personne intersexuée dans une boîte de nuit
Sara, Alicante © Carla Moral et Katia Repina

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